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accord sur le nucléaire iranien, Guerre en Ukraine, Russie-France, Traité de non-prolifération nucléaire
La France cherche à jouer un rôle dans la situation en Iran
par M. K. BHADRAKUMAR

Le 1er juillet, avez-vous entendu le craquement de la glace sur le lac gelé des relations entre la Russie et la France ? La décision du président Vladimir Poutine de prendre un appel téléphonique ce jour-là de son homologue français Emmanuel Macron, pour la première fois depuis septembre 2022, signifie que le récit occidental visant à « effacer » la Russie dans la guerre par procuration en Ukraine s’est complètement effiloché.
Ce discours, qui visait à donner une image hostile de la Russie, reposait sur l’idée saugrenue que le Kremlin avait l’intention d’envahir l’Europe, mais il n’a plus aucune raison d’être aujourd’hui, car les principaux protagonistes de la guerre par procuration dans l’Occident collectif – les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne – se rendent compte que la guerre est irrémédiablement perdue et qu’il est temps de passer à autre chose.
Les premiers signes sont apparus lors des récents sommets du G-7 et de l’OTAN le mois dernier. Dans la foulée du sommet de l’OTAN, Poutine a donné son feu vert à un sommet russo-américain dans un avenir proche, ce que le président Trump cherchait à obtenir. (Voir mon blog Trump nudges Europe to ease off on Russia, Deccan Herald, June 1, 2025.)
C’est maintenant au tour de Macron de synchroniser sa montre. Selon certaines rumeurs, le chancelier allemand pourrait suivre les traces de Macron très bientôt.
De toute évidence, Poutine et Macron considèrent qu’il est nécessaire de renouer le dialogue afin de ramener les relations russo-françaises à la normale. On se rend de plus en plus compte que la demande de la Russie de négocier une architecture de sécurité pour l’Europe, qui était l’une des principales exigences du Kremlin lorsqu’il a opté pour les opérations militaires spéciales en Ukraine en février 2022, montre des signes d’une lenteur et d’une constance à gagner du terrain auprès de Trump. Il a commencé à assouplir unilatéralement certaines sanctions financières à l’encontre de la Russie, ce qui signifierait également qu’il prend le contrôle des mesures imprudentes prises par l’Union européenne à l’encontre de la Russie. Il se peut que cette hypothèse soit trop ambitieuse, mais elle est tout à fait logique.
Le compte-rendu russe de la conversation entre Poutine et Macron montre que la discussion a porté sur deux sujets : la situation critique au Moyen-Orient et la guerre en Ukraine. La discussion, qui a duré deux heures, a certainement dépassé le stade d’un échange approfondi.
Le compte-rendu russe adopte une note positive sur le fait qu’en ce qui concerne la situation au Moyen-Orient, malgré la discorde et l’acrimonie passées, les deux pays peuvent trouver une convergence en ce qui concerne la situation en Iran à la suite de l’attaque américaine, dans la mesure où ils « portent une responsabilité particulière dans le maintien de la paix et de la sécurité » en Asie occidentale en tant que membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU « ainsi que dans la préservation du régime mondial de non-prolifération ».
De manière significative, les deux dirigeants « ont noté qu’il était crucial de respecter le droit légitime de Téhéran de développer une technologie nucléaire pacifique et de continuer à remplir ses obligations en vertu du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, ce qui inclut la coopération avec l’AIEA ». Il s’agit d’une position russe constante avec laquelle la France semble être d’accord.
La conversation tombait à point nommé, car le groupe E-3 [France, Grande-Bretagne et Allemagne] doit maintenant notifier au Conseil de sécurité des Nations unies s’il a l’intention d’invoquer le mécanisme dit de « snapback » pour réimposer le régime de sanctions à l’Iran [au motif que l’Iran a violé les dispositions du JCOPA], étant donné que l’accord de 2015 lui-même est censé expirer en octobre. Le temps presse.
Ironiquement, cette idée inhabituelle a été imaginée par les négociateurs russes pour garantir aux Européens que l’Iran avait l’intention de respecter l’esprit et la lettre du JCPOA au cours de la période de dix ans à venir, jusqu’en octobre de cette année.
Les États-Unis ne sont plus qualifiés pour invoquer le JCPOA et l’E-3 n’a pas la tâche facile dans les circonstances actuelles, car l’Iran pourrait quitter le traité de non-prolifération nucléaire [TNP] si les choses devaient se précipiter, de sorte qu’il ne soit plus responsable devant les Nations unies.
La formulation du communiqué russe – « pour préserver le régime mondial de non-prolifération » – indique que la Russie et la France ont un intérêt constant à ce que l’Iran reste membre du TNP. La grande question est de savoir si nous entrevoyons une solution possible au problème, basée sur une certaine souplesse de la part des États-Unis, qui concéderaient à l’Iran le droit d’enrichir de l’uranium.
Une telle possibilité ne peut être exclue, même si Israël ne renoncera pas à sa position maximaliste selon laquelle l’Iran ne devrait avoir aucun droit d’enrichir de l’uranium, quel que soit le TNP.
En fin de compte, la Russie et la France ont souligné l’impératif de « régler la crise autour du programme nucléaire iranien et tout autre différend survenant au Moyen-Orient exclusivement par des moyens politiques et diplomatiques ». Poutine et Macron se sont entendus pour « maintenir le contact afin de coordonner leurs positions si nécessaire » dans la volatilité actuelle où il y a des parties en mouvement.
Il est intéressant de noter que la veille de la conversation avec M. Poutine, M. Macron s’est entretenu avec le président iranien Masoud Pezeshkian, qui lui a fait part de ses préoccupations concernant la décision de Téhéran de suspendre sa coopération avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
En ce qui concerne la guerre en Ukraine, les positions russes et françaises restent très éloignées. C’est tout à fait normal. Il est peu probable que Poutine change d’avis, comme l’indique clairement le texte de la déclaration. Quoi qu’il en soit, la Russie compte sur les États-Unis comme principal interlocuteur. Et la révélation que les livraisons d’armes américaines à l’Ukraine ont pratiquement cessé est un signal fort pour les Européens, qui doivent repenser leurs propres engagements.
Macron se trouve dans une impasse, comme jamais auparavant au cours des dernières années. L’axe franco-allemand ne fonctionne plus dans l’Union européenne. Macron s’est rapproché du Premier ministre britannique Keir Starmer, mais ce dernier est lui-même confronté à des critiques virulentes au sein du parti travailliste, selon lesquelles son implication excessive en Ukraine s’est faite au prix d’une négligence des questions intérieures. Dans les sondages d’opinion, le parti travailliste est désormais distancé par le parti populiste Reform UK de Nigel Farage.
En tout cas, Starmer a abandonné l’idée folle d’une « coalition des volontaires » pour poursuivre la guerre en Ukraine même sans les États-Unis. Macron se retrouve donc en porte-à-faux au milieu de nulle part, avec Trump qui le tient à distance. En marge du sommet du G-7, Trump a publiquement ridiculisé Macron. Des signes précurseurs montrent que la France bat déjà en retraite sur la guerre en Ukraine. Poutine a compris tout cela, mais il ne l’a pas montré.
Poutine et Macron se connaissent depuis longtemps. Mais ils semblent avoir décidé d’oublier que pas plus tard qu’en mars, ils s’insultaient mutuellement.