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par Edouard Husson

Elon Musk est-il libertarien ou néoconservateur?

Elon Musk se présente volontiers comme un libertarien mais son comportement est plutôt, depuis des années, celui d’un néoconservateur. Il a officiellement rompu avec Donald Trump parce qu’il était en désaccord avec la loi de finances du président américain. En réalité, plaider pour l’équilibre budgétaire ne suffit pas à faire de vous un libéral, encore moins un libertarien ! Surtout quand on a pu construire toutes ses entreprises grâce à de l’argent public. Et qu’on met sa technologie – jusqu’au moment où nous parlons – au service des guerres américaines pour les changements de régime. Plus que jamais, il faut regarder ce que les gens font plutôt que ce qu’ils disent.

Je publie ce jour un article sur les dévoiements du capitalisme, pourtant développé, au Moyen-Age, comme un système fondé sur la responsabilité personnelle et le respect de principes éthiques.

J’en donne en même temps, en traitant le cas Elon Musk, une illustration pratique.

Comment Elon Musk a collaboré à la tentative de changement de régime en Iran

Quelques jours après la Guerre d’Iran, Alan MacLeod, excellent journaliste américain, écrivait:

En s’associant activement au gouvernement américain pour faire passer clandestinement du matériel de communication en Iran, Elon Musk aide une fois de plus Washington dans ses tentatives de changement de régime. (…)

Depuis des décennies, Washington cherche à renverser le gouvernement de Téhéran. Aujourd’hui, son allié le plus important dans cette entreprise n’est peut-être pas la CIA ou le Pentagone, mais la Silicon Valley.

Elon Musk, grâce à son système de satellites Starlink, aide désormais à faire passer clandestinement des milliers de terminaux de communication en Iran, permettant ainsi aux réseaux d’opposition de contourner les restrictions gouvernementales et de se coordonner en secret. Son partenariat avec l’appareil sécuritaire américain a fait de lui une figure centrale de l’une des campagnes de changement de régime les plus ambitieuses de l’époque moderne.

On peut même aller plus loin en soulignant que Musk a aidé les agents occidentaux et les opposants éventuellement actifs à contourner les barrages technologiques mis en place par l’appareil de sécurité du régime de Téhéran:

On peut même aller plus loin et dire qu’Elon Musk a procuré aux agents occidentaux et aux éventuels opposants, l’une des rares chances de contourner la neutralisation par l’appareil de sécurité iranien des technologies jusque-là utilisées pour subvertir le régime de Téhéran.

Après le début des bombardements israéliens, le ministère iranien des Communications a imposé de sévères restrictions sur les communications en ligne. Cela a eu pour effet d’entraver la capacité des agents américains et israéliens à l’intérieur du pays à communiquer.

Starlink est un service Internet qui permet à ceux qui disposent d’un terminal de se connecter directement à des milliers de satellites SpaceX en orbite basse. Les terminaux sont en fait de petites antennes paraboliques portables qui peuvent être installées n’importe où et utilisées par les personnes se trouvant à proximité pour contourner les restrictions gouvernementales en matière de communication.

Ce n’est pas la première fois que Musk utilise Starlink pour semer le chaos en Iran. En 2023, au plus fort d’un mouvement de protestation soutenu par les États-Unis, le ploutocrate d’origine sud-africaine a répondu à une déclaration du secrétaire d’État Antony Blinken annonçant que les États-Unis prenaient des mesures « pour faire progresser la liberté d’Internet et la libre circulation de l’information pour le peuple iranien… afin de contrer la censure du gouvernement iranien ».

« Activation de Starlink », a déclaré Musk. Quelques semaines après cette annonce, Musk a révélé qu’il aidait à faire entrer clandestinement des centaines de Starlinks dans le pays. « Près de 100 Starlinks sont actifs en Iran », a-t-il indiqué par la suite.

L’ampleur de l’opération est considérable, puisque seulement 18 mois plus tard, on estime à 20 000 le nombre de dispositifs Starlink clandestins en service dans le pays, aidant un vaste réseau d’activistes, d’espions et d’autres forces antigouvernementales à se coordonner et à communiquer.

Partout Musk est un acteur technologique au service du changement de régime

Ce n’est pas le seul pays où Starlink a été utilisé pour promouvoir les intérêts de Washington.

On estime que 42 000 équipements Starlink sont installés en Ukraine. Et ils ont, au moins dans un premier temps, permis à l’armée ukrainienne de contourner la destruction ou la neutralisation par les Russes des autres moyens de transmission utilisés par l’armée. On rappellera ici que l’objectif américain, depuis le début de la Guerre d’Ukraine, est de renverser le régime de Vladimir Poutine en l’enlisant dans une guerre longue.

Et puis, continue MacLeod:

Le magnat de la technologie a également mené une tentative de renversement des élections présidentielles de l’année dernière au Venezuela, affirmant que le candidat d’extrême droite Edmundo Gonzalez avait remporté le scrutin.

Musk a partagé de fausses vidéos prétendant montrer une fraude électorale massive, a suspendu le compte Twitter du président Nicolas Maduro et a même menacé de traîner le dirigeant vénézuélien dans la tristement célèbre prison de Guantanamo Bay. Compte tenu des déclarations passées de Musk, ces propos ne sont pas pris à la légère en Amérique latine.

Le milliardaire a admis avoir collaboré avec le gouvernement américain pour renverser le président bolivien Evo Morales en 2019. La Bolivie possède les plus grandes réserves mondiales de lithium facilement extractible, un élément essentiel à la production de batteries pour véhicules électriques. Morales avait refusé d’ouvrir le pays aux entreprises étrangères désireuses d’exploiter la Bolivie à des fins lucratives. Il avait proposé à la place de développer une technologie souveraine afin de conserver les emplois et les profits dans le pays.

Une insurrection d’extrême droite soutenue par les États-Unis l’a renversé en novembre 2019. Le nouveau gouvernement a rapidement invité Musk à des pourparlers. Lorsqu’il a été directement accusé de complicité, le magnat a déclaré sans ambages : « Nous renverserons qui nous voulons ! Faites avec. » En Bolivie, cette affaire est souvent qualifiée de « coup d’État du lithium ».

Plus récemment, Musk s’est ingéré dans la politique allemande en soutenant fermement le parti d’extrême droite AfD, affirmant aux électeurs qu’ils ne devaient pas avoir honte de leur passé (c’est-à-dire le fascisme). En Grande-Bretagne, Musk finance et promeut Tommy Robinson, un agitateur raciste d’extrême droite. Et au Canada, il a tenté de faire basculer les élections de cette année en faveur du candidat conservateur de droite, Pierre Poilievre.

Cette tentative s’est toutefois retournée contre lui de manière spectaculaire, car son arrogance perçue (il a qualifié à plusieurs reprises le Premier ministre Justin Trudeau de « gouverneur », laissant entendre que le Canada n’était pas une nation souveraine, mais le 51e État des États-Unis) a rallié les Canadiens autour du candidat libéral Mark Carney. L’histoire s’est répétée en avril dernier dans le Wisconsin, où Musk a dépensé des dizaines de millions de dollars pour tenter (sans succès) d’acheter une élection.

Néanmoins, malgré ses récents échecs, il est peu probable que Musk ait renoncé à la politique nationale et internationale. Il est également peu probable que ce soit la dernière fois que Washington planifie ouvertement un changement de régime à Téhéran.

Sans le Pentagone, Musk aurait-il pu développer ses entreprises à la même vitesse et avec la même ampleur

MacLeod pose les jalons d’une biographie non autorisée, comme diraient les Américains, d’Elon Musk:

Comme on peut le constater, Musk et ses entreprises entretiennent donc des relations très étroites avec les services de sécurité nationale américains. SpaceX, le fabricant de Starlink, a signé une multitude de contrats lucratifs avec diverses agences de renseignement américaines.

En 2021, l’entreprise a remporté un contrat de 1,8 milliard de dollars avec le National Reconnaissance Office pour construire un réseau de centaines de satellites espions. Elle a également été choisie pour mettre en orbite un système d’espionnage Lockheed Martin d’une valeur de 500 millions de dollars et pour livrer un satellite de commandement de l’armée de l’air dans l’espace.

Cependant, l’agence d’espionnage qui a travaillé le plus étroitement avec Musk et SpaceX est la CIA. Mike Griffin, alors directeur d’In-Q-Tel, la branche de capital-risque de la CIA, a contribué à la création de SpaceX. In-Q-Tel identifie et finance des entreprises technologiques de pointe dont les technologies et les produits donneront à la CIA un avantage sur ses rivaux.

Griffin a accompagné Musk dès le premier jour, allant même jusqu’à l’accompagner à Moscou en 2002, où les deux hommes ont tenté de lancer SpaceX en achetant à bas prix des missiles balistiques intercontinentaux russes. Musk pensait qu’en s’approvisionnant en missiles à moindre coût dans le monde entier, il pourrait proposer des prix nettement inférieurs à ceux de ses concurrents tels que Lockheed Martin et remporter des contrats dans le domaine de la défense.

La tentative a échoué, mais ce voyage a scellé un partenariat qui dure encore aujourd’hui. Griffin est devenu le principal soutien de Musk au sein de la communauté du renseignement, le qualifiant de « Henry Ford » de l’industrie spatiale et faisant constamment la promotion de son nom dans les couloirs du pouvoir.

Griffin deviendra plus tard directeur de la NASA, occupera un poste important au Pentagone et sauvera SpaceX à plusieurs reprises de la faillite en lui attribuant des contrats gigantesques.

Peut-être aucune autre personnalité n’a eu autant d’influence sur la vie de Musk que Griffin, qui occupe aujourd’hui le poste de conseiller principal chez Castelion, une organisation dérivée de SpaceX spécialisée dans les systèmes de défense antimissile. Musk a appelé son aîné Griffin et a ensuite baptisé son deuxième enfant X Æ A-12, en référence à un avion de combat de la CIA.

Musk en Docteur Folamour?

Elon Musk, c’est l’homme qui a rétabli la liberté d’expression sur X et qui a contribué à la victoire de Donald Trump, le candidat de MAGA. MPais il y a aussi un autre personnage, chez Musk, qui relèverait plutôt de la psychologie du Docteur Folamour:

Castelion a été créée en 2022 pour aider le Pentagone à gagner une guerre nucléaire. Depuis des décennies, les stratèges militaires à Washington sont déterminés à trouver un moyen d’empêcher les missiles nucléaires étrangers d’atteindre les États-Unis. À cette fin, ils ont recruté Musk dans le but de construire un énorme « dôme de fer américain » composé de satellites SpaceX modifiés capables d’abattre les roquettes ennemies, rendant ainsi les États-Unis invulnérables aux attaques.

Si cette technologie peut sembler défensive à première vue, elle donnerait en réalité aux États-Unis toute latitude pour attaquer n’importe quel pays à tout moment, avec la certitude qu’il n’y aurait aucune possibilité de représailles. La doctrine de la destruction mutuelle assurée, qui maintient une paix fragile depuis la fin des années 1940, serait brisée, et les États-Unis, seul pays à avoir utilisé des armes nucléaires contre une autre nation, seraient invincibles.

Des documents internes montrent depuis des décennies que c’est précisément et uniquement la menace des missiles balistiques intercontinentaux russes, chinois ou nord-coréens qui a retenu Washington.

Musk a minimisé à plusieurs reprises les conséquences d’un hiver nucléaire et a même suggéré de tirer plus de 10 000 ogives nucléaires sur Mars, dans une tentative chimérique de déclencher un effet de serre rapide qui réchaufferait suffisamment la planète pour la rendre habitable.

Libertarien? Non! Néoconservateur!

Il existe aux Etats-Unis d’authentiques libertariens. En 2009, j’avais fait venir au Collège des Bernardins, pour un colloque sur le thème de la paix, le regretté Justin Raimondo, fondateur du très bon site antiwar.com. Je pense aux animateurs du Mises Institute. Pensons au dernier tenant de l’école autrichienne d’économie, Murray Rothbard. Ou à l’homme politique Ron Paul, aujourd’hui âgé de 89 ans, qui fut membre de la Chambre des Représentants pendant 24 ans.

Ces authentiques libéraux sont aussi des hommes de paix. Ron Paul a toujours milité pour le retour à l’étalon-or. Il a régulièrement voté contre les guerres américaines.

On voit bien qu’Elon Musk n’est pas du tout de cette trempe-là. Sa carrière industrielle a été lancée et reste financée par le Pentagone – ce qui n’enlève rien à son génie d’industriel. Mais il ne faudrait pas nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Constatons en effet que Musk est un acteur engagé des guerres américaines, en particulier pour les changements de régime.

Il ne s’agit pas de déboulonner une statue pour le plaisir. Mais constatons que l’argumentation de Musk pour reprocher à Trump d’augmenter encore le déficit public sonne faux. En réalité, Musk était, politiquement parlant, plus fait pour l’ère Reagan que pour l’ère Trump. Au fond, le keynésianisme militaire ne le gêne pas: l’Etat peut bien réduire ses dépenses sociales ou faire diminuer drastiquement le nombre de fonctionnaires, pourvu qu’il continue à subventionner ou signer des contrats avec SpaceX, Starlink, etc….Et l’on a souligné à juste titre qu’il est furieux que la loi budgétaire de Trump, adoptée voici une semaine par le Congrès, ait supprimé des subventions au véhicule électrique.

Ce qui signe définitivement l’appartenance de Musk à un camp néoconservateur rénové et qui s’est rallié à Trump sur un malentendu, ce sont les menaces qu’il profère à l’égard du président en place, invoquant par exemple l’affaire Epstein contre lui. Musk répand aussi l’idée qu’il pèse suffisamment lourd financièrement pour défaire Donald Trump comme il prétend l’avoir fait réélire à lui tout seul.

Le Courrier des Stratèges