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Laurent Dupuis

Catholique traditionaliste, Pierre-Edouard Stérin, qui se définit lui-même comme un libertarien conservateur qui “rêve de devenir saint”. ©D.R.

Pierre-Edouard Stérin a longtemps été un homme d’affaires discret, préférant l’ombre à la lumière. Mais les activités extra-entrepreneuriales – politiques même – de l’homme d’affaires français de 51 ans, fondateur de Smartbox, l’amènent à s’exposer de plus en plus et à retrouver son nom en Une de la presse.

Ce jeudi, Le Monde a révélé que le milliardaire, né à Évreux (Eure) et résidant en Belgique depuis 2012, a été entendu en tant que suspect libre, le 11 juin 2024, dans le cadre d’une enquête préliminaire sur des faits de financement illégal de campagne électorale. La justice investigue sur des prêts octroyés à des candidats d’extrême droite lors des élections municipales 2020 et régionales de 2021. Elle s’interroge sur l’origine de ces prêts, pour un montant total d’1,8 million d’euros, et sur le rôle du milliardaire.

Sollicitées par le site Politico, les équipes de l’homme d’affaires ont affirmé ce vendredi que « M. Pierre-Edouard Stérin n’a jamais participé, directement ou indirectement, à un quelconque financement illégal de campagne. Les prêts en question, effectués à titre personnel, ont été structurés par un conseiller expert en matière de financement politique et ont été déclarés. »

Cette enquête éclabousse de nouveau le Rassemblement national (RN), dont le siège a été perquisitionné ce mercredi dans le cadre d’une autre enquête, cette fois pour financement illicite des campagnes présidentielle et législatives de 2022.

De la Smartbox au redressement de la France

Né dans une famille de classe moyenne, Pierre-Edouard Stérin accumulera tout d’abord les échecs entrepreneuriaux avant de créer sa société de coffrets cadeaux en 2003, puis d’investir dans d’autres entreprises, dont La Fourchette. Ultralibéral, il déménage en Belgique en 2012. Il déclare en juin 2022 dans une interview à la chaîne YouTube Angelsquare qu’il est « criminel de continuer à engraisser l’État français pour lui permettre de continuer à faire ce qu’il fait aujourd’hui dans une certaine mesure, à savoir n’importe quoi. L’économie fiscale que l’on fait aujourd’hui, c’est pour la reverser à différentes œuvres. »

Fervent catholique aux idées conservatrices, opposé à l’avortement, favorable à la remigration, le milliardaire met sa fortune au service de ses idées, et de ceux qui les soutiennent. En 2021, il a ainsi lancé un fonds de dotation philanthropique, le Fonds du bien commun, qui détient une structure d’investissement, Otium Capital, qu’il dirige. Les bénéfices engendrés sont ensuite utilisés « pour donner, prêter ou investir, sur des sujets utiles au redressement de la France et à la promotion du Christ », indique Pierre-Edouard Stérin dans cet entretien de 2022. « Très concrètement, nous sommes très portés sur les sujets d’éducation, de pauvreté, de handicap, de patrimoine, de culture. »

Investissant dans des médias en ligne, il veut aussi racheter, en juin 2024, l’hebdomadaire Marianne mais les journalistes, à la lumière de plusieurs articles troublants, s’y opposent. Le Monde met par exemple au jour les liens entre Pierre-Edouard Stérin et le RN. Le magazine Challenges révèle de son côté que les Le Pen ont vendu la villa familiale pour 2,5 millions d’euros à une société détenue par le milliardaire et le gestionnaire de son fonds d’investissement.

Le projet Périclès

Le 18 juillet 2024, le quotidien L’Humanité dévoile pour sa part de larges extraits d’un document établi à l’automne 2023, celui du projet Périclès de Pierre-Edouard Stérin. Périclès étant ici l’acronyme de : patriotes, enracinés, résistants, identitaires, chrétiens, libéraux, européens, souverainistes. « Notre projet découle d’un ensemble de valeurs clés (liberté, enracinement et identité, anthropologie chrétienne, etc.) luttant contre les maux principaux de notre pays (socialisme, wokisme, islamisme, immigration). Pour servir et sauver la France, nous voulons permettre la victoire idéologique, électorale et politique. Pour cela, Périclès prévoit de déployer environ 150 millions d’euros sur les dix prochaines années via le financement ou la création de projets », avance le texte. Avec entre autres objectifs : « 300 villes à gagner absolument par le RN en 2026 », aux élections municipales.

Sur le site Web de Périclès, parmi les projets soutenus : l’Institut de formation politique (IFP), un organisme de formation libéral-conservateur, ou Politicae, école pour futurs maires, « un collectif non partisan »cofondé par Antoine Valentin, maire de Saint-Jeoire (Haute-Savoie) et membre de l’Union des droites pour la République (UDR) d’Éric Ciotti, allié du RN.

Ces révélations poussent la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’organisation des élections en France à convoquer Pierre-Edouard Stérin en mai 2025. Mais il refuse à trois reprises de s’y rendre. Le président de la commission, le député Thomas Cazenave (Renaissance), saisit la justice, mais cela n’a pas échaudé M. Stérin, qui compte bien peser de tout son poids – et de sa fortune – dans la bataille des idées jusqu’aux prochaines élections, en 2026 puis en 2027.

Avec Vincent Bolloré, un autre milliardaire français fervent catholique et ultra-conservateur, il a coorganisé le Sommet des libertés, ce 24 juin, à Paris. Tous les deux rêvent d’une large union des droites. À la tribune : Jordan Bardella (RN), Éric Ciotti (UDR), Sarah Knafo (Reconquête), Marion Maréchal (Identité Libertés) et Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France). Les ténors de la Droite républicaine n’ont pas assisté à ce sommet qui ressemblait, à ce stade, à celui de l’union de l’extrême droite.

La libre