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Anna Lodeserto

(Crédit image: Anna Lodeserto)

Ce mardi 15 juillet à 12h30, des manifestant-e-s venu-e-s de toute l’Europe se rassemblent devant le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), au 234 de Petite la rue de la Loi, pour exiger la suspension immédiate de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël. À la veille d’un important sommet des ministres des Affaires étrangères des 27 pays membres de l’Union européenne, la pression citoyenne s’intensifie en Belgique, à travers le reste du continent et dans le monde entier: grèves de la faim, veillées, actions juridiques et interpellations politiques se succèdent d’heure en heure pour dénoncer la complicité de l’UE et de ses gouvernements dans le carnage en cours à Gaza, et réclament des mesures concrètes, à commencer par la suspension des relations commerciales.

Signé à Bruxelles le 20 novembre 1995 et entré en vigueur en 2000, l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël constitue la base juridique des relations bilatérales. Il va bien au-delà d’un simple accord de libre-échange : il encadre une coopération politique, économique, agricole, industrielle, scientifique (notamment dans le secteur pharmaceutique et de la défense) et académique.

Remplaçant les accords entre Israël et la Communauté économique européenne (ancêtre de l’UE) de 1975, l’accord d’association actuellement en vigueur en 2000 ne constitue pas un simple texte commercial à visée exclusivement économique, mais il repose sur une clause essentielle de respect des droits humains. L’article 2 de l’accord stipule que les relations entre l’UE et Israël doivent se fonder sur le respect des droits fondamentaux et des principes démocratiques, conformément aux valeurs consacrées à l’article 2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Pas exclusivement les représentants de la société civile européenne, mais aussi plusieurs États membres considèrent aujourd’hui que cette clause est gravement violée par Israël dans le cadre des attaques menée à Gaza. À ce jour, dix-sept pays ont appelé à l’activation de l’article 2, soulignant que les gouvernements israéliens successifs à la signature de l’accord – de Sharon à Netanyahou – ont intensifié, la colonisation des territoires palestiniens, les bombardements et le blocus de Gaza, en totale contradiction avec les engagements contenus dans l’accord.

Malgré ces violations, le partenariat n’a cessé de se renforcer. Israël est intégré à la politique européenne de voisinage, au partenariat Euromed, et participe à plusieurs programmes de l’Union, notamment Erasmus+ et Horizon Europe. Sur le plan économique, les liens restent particulièrement étroits : selon un rapport récemment présenté à l’Assemblée nationale française par les députées Mathilde Panot et Clémence Guetté, l’Union européenne « représente le premier partenaire commercial d’Israël devant les États-Unis et la Chine. Israël est en revanche le 31e partenaire commercial de l’Union. Ainsi, 30 % des importations israéliennes proviennent de l’Union, 24 % des exportations israéliennes sont destinées à l’Union. »

Face à l’aggravation de la situation humanitaire à Gaza, la cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, a annoncé le 20 mai dernier un réexamen de l’accord, dont la décision a déjà été reportée une première fois le mois dernier car une telle suspension nécessiterait l’unanimité des 27 États membres, en raison des contraintes du processus décisionnel de l’Union. Les manifestant-e-s réclament encore une fois des mesures concrètes et urgentes, à commencer par sa suspension, au nom du droit international et des principes et valeurs fondamentaux de l’Union européenne en rappelant que l’article 17 du Traité sur l’Union Européenne (TUE) impose à la Commission européenne, en tant que gardienne des traités, de veiller « à l’application des traités ainsi que des mesures adoptées par les institutions en vertu de ceux-ci ».

Les voix fortes au Parlement européen

Présente à Bruxelles lors d’une veillée de la manifestation organisée à la House of Compassion dans la place du Béguinage, l’eurodéputée irlandaise Lynn Boylan présidente de la Délégation du Parlement européen pour les relations avec la Palestine (DPAL), a partagé sa position à partir du principe du respect du droit à l’autodétermination des peuples :

« Ce n’est pas à nous de décider quel type d’État ou de gouvernement les Palestiniens doivent avoir. Mais nous devons, de toutes nos forces, veiller à ce qu’ils survivent, afin qu’ils puissent exercer leur droit à l’autodétermination face au processus d’extermination génocidaire en cours. »

Lynn Boylan accuse l’Union européenne de trahir ses propres principes fondamentaux : « L’UE, telle qu’elle est représentée par ses États membres, continue de privilégier le commerce et les intérêts financiers au détriment des droits humains. Ses gouvernements cèdent aux pressions américaines et préfèrent censurer des artistes plutôt que d’arrêter les massacres. »

tout en concluant avec un appel direct et immédiat : « Le 15 juillet, il est temps de faire ce qui est juste : suspendre l’accord d’association UE-Israël et démontrer au reste du monde que aucun commerce est possible avec les génocidaires et les fauteurs de guerre. »

Une mobilisation transnationale et intergénérationnelle

La manifestation de ce mardi s’inscrit dans une mobilisation continue amorcée à Bruxelles avec l’arrivée de la Marche Mondiale vers Gaza et prolongée par une série de grèves de la faim. Parmi les organisateurs, House of Compassion et le collectif Palestinian Refugees for Dignity jouent un rôle moteur. Leur action vise à rappeler l’article 2 du Traité sur l’Union européenne, qui fonde l’UE sur « le respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, de l’égalité, de l’État de droit et des droits de l’homme ».

Au cœur de la manifestation trône la « Géante de la Dignité », nommé Sabine, une figure symbolique déjà présente lors des précédentes mobilisations, entourée de pancartes exigeant la fin de la complicité européenne avec les crimes israéliens.

Des grèves de la faim pour éveiller les consciences

À Gand, du 7 au 12 juillet, une nouvelle étape s’est ouverte avec le lancement de la campagne « Hunger Strike 4 Justice in Palestine ». Quelques semaines plus tôt, à Bruxelles, une première grève de la faim avait eu lieu du 16 au 21 juin dans l’église du Béguinage où une trentaine de bénévoles y ont transformé l’espace en un mémorial vivant, avec des poupées d’enfants, des tissus ensanglantés, et une banderole de 15 mètres listant des centaines de noms de victimes.

Ces grèves de la faim s’inscrivent dans un mouvement plus vaste. Depuis janvier 2024, plus de 750 personnes dans au moins dix pays (France, Suisse, Pays-Bas, Allemagne, Espagne, Royaume-Uni, Turquie, Liban, États-Unis, Canada) ont rejoint des campagnes de jeûne pour dénoncer l’inaction face à l’horreur.

Une offensive juridique sans précédent

Alors que les regards se tournent vers Kaja Kallas, haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères, attendue pour présenter d’éventuelles sanctions ce 15 juillet, des juristes européens préparent une action en justice inédite. L’Association JURDI (Juristes pour le respect du droit international) va déposer ce jeudi un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne à Luxembourg avec objet : une plainte contre la Commission et le Conseil pour « carence fautive » dans l’application du droit international face aux crimes commis à Gaza. Ce recours, fondé sur l’article 265 du Traité sur le fonctionnement de l’UE, reproche aux institutions européennes leur inaction prolongée depuis octobre 2023.

« Pendant que 18 paquets de sanctions ont été votés contre la Russie, aucune mesure concrète n’a été prise à l’encontre d’Israël, malgré des violations massives du droit humanitaire », déclare l’avocat pénaliste Alfonso Dorado, conseiller auprès de la CPI et coauteur du recours.

Une lettre de mise en demeure avait déjà été envoyée le 12 mai. Deux mois plus tard, l’action est lancée à travers une procédure qui s’appuie notamment sur le rapport du SEAE publié à la suite de la demande de 17 États membres de réexaminer l’accord UE-Israël listant centaines de violations du droit international humanitaire par Israël à Gaza et en Cisjordanie.

Des anciens diplomates en renfort en un contient à un tournant moral

Un autre signal fort est venu de 27 anciens ambassadeurs de l’UE au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Dans une lettre adressée aux dirigeants européens, ils dénoncent l’inaction de l’Union face à la crise humanitaire à Gaza et appellent, eux aussi, à la suspension immédiate de l’accord d’association avec Israël.

Dans ce contexte, la mobilisation du 15 juillet marque la continuité des efforts citoyenne collectives de redonner un sens aux principes fondateurs de l’Union. Une génération de militants, de réfugiés, d’intellectuels et d’élus tente de forcer l’UE à sortir de son immobilisme, à l’instar de Lynn Boylan : « Leur réputation est en lambeaux. Il est temps d’agir. »

Et encore, comme dessiné sur un placard : « L’Union est fondée sur le respect de la dignité humaine. » Ce 15 juillet, les manifestants demandent aux dirigeants européens de se montrer à la hauteur de cette promesse.

Anna Lodeserto Autrice, analyste des relations internationales et chercheuse, Anna Lodeserto possède une longue expérience de travail auprès d’organisations publiques et privées dans plusieurs pays européens, où elle a exercé diverses responsabilités et fonctions d’engagement. En tant qu’écrivaine, elle s’est toujours attachée, depuis son adolescence, à donner une voix aux lieux, aux récits, aux dynamiques culturelles et aux événements des périphéries et des régions du monde peu ou mal représentés dans les médias traditionnels. Diplômée en « Sciences internationales et diplomatiques » avec une spécialisation en « Politique de développement et pays non européens » de l’Université de Bologne – Forlì Campus, elle est également titulaire d’un master universitaire en « Peacekeeping and Security Studies », spécialisé dans la gestion des crises à l’échelle européenne et internationale, et d’un second diplôme universitaire en « Relations internationales comparatives – Études globales (Comparative International Relations – Global Studies) » délivré par l’Université Ca’ Foscari de Venise. Toujours en quête d’enrichissement académique, elle a poursuivi ses formations et ses activités de recherche et enseignement dans plusieurs pays, dont l’Allemagne, la Belgique, la France, la République tchèque, la Grèce et la Bosnie-Herzégovine. Elle a débuté sa carrière au sein d’organisations internationales, travaillant sur la lutte contre la criminalité transnationale organisée aux côtés de coalitions de la société civile actives dans toute l’Europe. Par la suite, elle s’est consacrée au développement de la participation citoyenne aux processus décisionnels, assumant des fonctions de responsabilité au sein de secrétariats de réseaux internationaux au Royaume-Uni, en France, en Belgique, en Italie, en Espagne et en Pologne. Au cours des dix dernières vingt années, elle a coordonné des campagnes de sensibilisation et des initiatives euro-méditerranéennes visant à renforcer la participation citoyenne aux processus décisionnels, principalement dans les domaines de la libre circulation et de la mobilité transnationale, du pluralisme de l’information, de l’inclusion numérique et sociale, ainsi que des politiques migratoires. Ces engagements l’ont conduite à travailler directement sur le terrain, dans des contextes variés, tant ruraux que périphériques, dans plus de trente pays européens et non européens, ainsi que dans douze régions italiennes. Dans son approche méthodologique, elle s’attache à promouvoir globalement la participation et le rôle actif des jeunes, particulièrement ceux et celles exposé(e)s à des discriminations multiples. Elle œuvre ainsi au sein de contextes périphériques où les nouvelles générations sont davantage confrontées à la marginalisation et à l’exclusion systémique de la vie sociale et professionnelle. Sur le plan éditorial, elle contribue actuellement à des revues internationales spécialisées ainsi qu’à des publications thématiques sur la participation politique des jeunes dans les États membres de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe, notamment dans le cadre des activités de la « EU-CoE Youth Partnership » (le partenariat entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe dans le domaine de la jeunesse), et sur l’actualité des pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne, en particulier les Balkans occidentaux et le Caucase du Sud.

Pressenza