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par Edouard Husson

Bayrou ressert des recettes perdantes au lieu de saisir les solutions qui lui tendent les bras

LE REGARD DES STRATEGES – François Bayrou nous a confirmé hier, si nous en avions besoin, que le monde politique français est à bout de souffle. Alors même que des solutions lui tendent les bras. On ne trouve, dans ses propositions que des choses déjà essayées et qui n’ont pas marché. En revanche, il n’y a rien de ce que l’on pourrait faire. Florent Machabert vous expliquait hier soir que l’argumentation budgétaire n’est pas convaincante pour les marchés. Nous comprenons que c’est avant tout une question de méthode. François Bayrou n’est pas capable d’innover: cela consisterait d’abord à comprendre que, l’Allemagne étant affaiblie, la France a beaucoup plus d’outils à sa disposition qu’elle ne le croit.

Dans les propositions budgétaires qu’a faites François Bayrou, il n’y a rien qui n’ait déjà existé et qui n’ait échoué. Le Premier ministre a annoncé:

  • l’État va réduire son train de vie pour ne pas dépenser davantage en 2026 par rapport 2025, à l’exception de l’augmentation de la charge de la dette et des dépenses supplémentaires pour le budget des armées,
  • une règle de non-remplacement d’un fonctionnaire sur trois partants à la retraite va être instaurée avec la suppression de 3 000 emplois publics en 2026,
  • l’État va créer une société foncière pour réduire, gérer et rendre utile le patrimoine improductif,
  • le Gouvernement appelle à un « effort » de 5 milliards d’euros sur les dépenses de santé avec une réforme sur la prise en charge des affections longue durée pour sortir du remboursement à 100 % des médicaments qui sont sans lien avec les affections déclarées,
  • le Premier ministre veut supprimer des agences « improductives qui dispersent l’action de l’État » avec la suppression de 1 000 à 1 500 emplois.

Le recyclage de politiques qui ont échoué

+ Réduction du train de vie de l’Etat? Pour avoir été en cabinet ministériel en 2010 puis avoir été recteur en 2011 et 2012, je peux vous assurer que si tous les ministres prenaient le temps de diriger leur ministère, les dépenses baisseraient de 20% sans aucune difficulté.

Evidemment, ce n’est pas aussi glamour que de communiquer et déjeuner ou dîner en ville. Mais cela permettrait de faire des économies sans pressurer les Français les plus fragiles.

+ Règle de non-remplacement d’un fonctionnaire sur trois partant à la retraite? C’est sans doute la moins irréaliste des mesures présentées. Mais il faut se rappeler qu »il s’agit d’une mesure mise en place il y a vingt ans et qu’il faut moduler ministère par ministère. Et puis on se rappellera que c’est avec la RGPP (Revue Générale des Politiques Publiques ») mettant en oeuvre le nom remplacement d’un fonctionnaire sur deux, que l’on a a commencé à dépenser massivement en dépenses de conseil commandées par l’Etat.

En réalité l’Etat n’a jamais franchi le pas de réformer le statut de la fonction publique: les nouvelles embauches devraient être faites sur des « CDD d’Etat », la fonction publique à vie étant abandonnée.

+ Une société foncière? Mais il y a un service de Bercy, la Direction de l’Immobilier de l’Etat, qui s’occupe de cela depuis des années! Et qui fait mal son travail: l’Etat a bradé des trésors de son patrimoine, à vil prix, faute que ses représentants sachent négocier et du fait de la connivence de beaucoup de responsables gouvernementaux avec les acheteurs. L’Etat s’est aussi montré incapable de piloter correctement des « partenariats public-privé » qui ont quasiment tous dérapé budgétairement.

La stratégie proposée consiste à vendre les bijoux de famille, rien de plus. Alors que l’Etat pourrait effectivement valoriser son patrimoine, en en rénovant et louant une partie. Or il faudrait garder la propriété d’un patrimoine qui appartient aux Français, au lieu de le brader et l’aliéner à bas prix pour avoir du cash vite englouti dans le tonneau des Danaïdes du déficit.

+ On remarquera le paradoxe consistant à expliquer qu’on va supprimer des agences de l’Etat tout en annonçant la création d’une « société foncière » qui va simplement se juxtaposer à la Direction de l’Immobilier de l’Etat sans que cette dernière soit réformée en profondeur.

+ Quant à réduire les « dépenses de santé, on serait heureux que le Premier ministre explique ce qui va changer dans la méthode. Car l’annonce en elle-même n’est pas révolutionnaire.

Ces mesures à portée de main

Nous pourrions passer en revue l’ensemble des objectifs qui ont été annoncés, et nous arriverions au même constat à chaque fois.

Simplifier la vie des entreprises? Combien de fois cela n’a-t-il été proclamé? Si l’on veut vraiment simplifier la vie des entreprises, il faut faire comme pour le chantier de Notre-Dame! Supprimer des milliers de lois et de décrets qui ne servent à rien d’autre qu’à justifier l’entretien d’armées de bureaucrates! Et puis, si nous dépensons trop par rapport à nos recettes, n’est-il pas temps de songer à baisser les taux d’imposition pour faire augmenter l’activité et donc les recettes fiscales, au bout du compte?

Supprimer deux jours fériés? C’est du Raffarin Plus? Aucun gouvernement n’a eu le courage de supprimer les 35 heures – en laissant à chaque secteur, à chaque branche son autonomie de décision !

Un Premier ministre qui ne parle pas du coût de l’énergie est-il crédible?

François Bayrou a confirmé qu’il n’avait aucune crédibilité en ne traitant pas sérieusement la question du prix de l’énergie. C’est un paradoxe bien souligné par Fabien Bouglé. Au moment où la Guerre d’Ukraine renchérissait considérablement le prix de l’énergie pour l’Allemagne, la France n’en a absolument pas profité pour affirmer la compétitivité de son économie – entre autres grâce à son parc de centrales nucléaires:

La hausse du tarif de l’électricité n’est donc pas vraiment le fruit du conflit russo-ukrainien mais serait davantage due « au financement du raccordement des énergies intermittentes au réseau électrique pour un montant de 200 milliards, à la hausse des taxes qui financent la transition énergétique vers l’éolien et le solaire, au dispositif de l’ARENH [accès régulé à l’énergie nucléaire historique, permet à d’autres fournisseurs d’électricité d’accéder à une partie de la production nucléaire d’EDF à un prix régulé], au mécanisme spéculatif du marché européen de l’électricité et au faible investissement du nucléaire ces vingt dernières années… », liste Fabien Bouglé. En d’autres termes, l’augmentation que vont subir les Français – qui ont pourtant largement financé le plan Messmer censé garantir une indépendance énergétique et une électricité à bas coût – n’est donc pas (…) directement liée au conflit russo-ukrainien.

En outre, l’expert déplore le manque d’une véritable vision de la géopolitique électrique. Alors que les États-Unis et la Russie ont une indépendance énergétique assurée (grâce au pétrole et au gaz), l’Europe est à la traîne. Alors que la France aurait dû être l’un des pays leaders du Vieux Continent grâce à un parc nucléaire civil, celle-ci se trouve confrontée à la hausse des coûts de ses tarifs électriques et embourbée dans le financement de son parc éolien. « Les Français subissent de plein fouet une guerre énergétique mondiale non prise en compte par nos dirigeants qui se rassurent en invoquant des arguments purement politiciens », conclut l’auteur de Guerre de l’Énergie, sorti en septembre 2023.

Alors que la France avait largement assuré non seulement son indépendance mais aussi, face aux partisans dogmatiques d’une énergie décarbonée, son exemplarité, nous nous sommes laissés entraîner dans une série de politiques qui pénalisent notre croissance et don, inévitablement, renforcent notre déficit.

Non, décidément, François Bayrou n’a pas fait preuve d’originalité!

Le Courrier des Stratèges