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Le pays de la semaine de 35 heures a besoin de meilleures incitations au travail, pas d’une réduction des congés.

Par Lionel Laurent, est chroniqueur pour Bloomberg Opinion. Il écrit sur l’avenir de l’argent et l’avenir de l’Europe. Auparavant, il était journaliste pour Reuters et Forbes.

François Bayrou aborde le « moment de vérité ». Photographe : THOMAS SAMSON/AFP

Cette semaine, il n’y a eu qu’un seul sujet de conversation dans les brasseries françaises : la proposition du Premier ministre François Bayrou de supprimer deux des trois jours fériés du mois de mai afin de contenir la spirale du déficit budgétaire. Dans le pays de la semaine de 35 heures, cela équivaut à une trahison. La plupart des citoyens semblent détester cette idée, les syndicats l’ont qualifiée de déclaration de guerre et l’extrême droite l’a qualifiée de provocation.

L’indignation est un peu exagérée. La suppression de deux jours fériés laisserait aux Français neuf jours fériés, ce qui semble très germanique, jusqu’à ce que l’on ajoute leurs 25 jours de congés payés, ce qui place la France presque au même niveau que l’Espagne. (Sans parler des jours supplémentaires dont bénéficient de nombreux salariés du secteur privé qui travaillent plus de 35 heures.) Et même si la description du mois de mai par Bayrou comme un fromage « gruyère » – plein de trous – a suscité beaucoup de réactions négatives, elle est en quelque sorte vraie. La France est un pays où le calendrier est un puzzle de Sudoku pour trouver la combinaison idéale de jours fériés et de vacances ; cette année, il a été possible de placer stratégiquement cinq jours de vacances et d’obtenir 32 jours de congé.

Des écarts à combler

Les taux d’emploi par âge montrent que la France est à la traîne par rapport aux autres pays malgré les réformes.

Mais même si cette idée survit d’une manière ou d’une autre à la réaction politique, elle pose deux problèmes. Le premier est qu’en termes de sortie de l’économie française du marasme, c’est une goutte d’eau dans l’océan. Elle permettrait théoriquement d’ajouter environ 4,2 milliards d’euros (4,9 milliards de dollars) aux caisses publiques, ce qui représente environ 10 % des économies que le gouvernement souhaite réaliser l’année prochaine. L’autre est qu’elle revient à travailler plus pour moins, au lieu de la philosophie « travailler plus pour gagner plus » promue par le président Emmanuel Macron lors de sa première élection. Les travailleurs ne recevraient aucune rémunération supplémentaire pour le mois, tout en étant exposés à d’autres mesures d’austérité prévues par le gouvernement. Il s’agit d’une solution provisoire, et non d’une réforme structurelle.

Et ce sont des réformes structurelles dont la France a besoin pour éviter que son modèle social ne touche à sa fin. S’il est faux de dire que la France est la nouvelle Grèce, elle affiche néanmoins l’un des ratios dette/PIB et déficit/PIB les plus élevés de la zone euro et l’un des taux de croissance les plus faibles (même si elle devance l’Allemagne). Son économie « ouverte » subit une pression à long terme due au déclin démographique et à la faible productivité. Et si les récentes réformes vont dans la bonne direction, même Macron est revenu à ses anciennes habitudes en dépensant beaucoup pendant la crise, mais sans réduire les dépenses lorsque la tempête s’est calmée. Cela rend plus difficile à long terme d’investir dans les compétences, les technologies et les infrastructures qui sont essentielles pour stimuler la prospérité à long terme.

Au lieu d’adopter le discours d’un ménage vivant au-dessus de ses moyens, qui ne fera qu’aggraver les querelles parlementaires sur l’imposition des riches et la réduction de l’État, l’administration Macron devrait parler davantage des ressources précieuses qui restent inexploitées. Il s’agit notamment d’inciter davantage de personnes à travailler, et non de faire travailler deux jours de plus ceux qui ont déjà un emploi. Les données de l’OCDE suggèrent que le taux d’emploi global de la France, qui s’élève à 69 %, reste inférieur à la moyenne. Selon Patrick Artus, économiste chez Natixis SA, combler cet écart pourrait augmenter la production de 10 %. La création d’emplois pour les travailleurs âgés, l’augmentation du nombre de femmes actives et une approche intelligente de l’immigration contribueraient à la croissance, compenseraient le défi démographique posé par la vague de départs à la retraite des baby-boomers et réduiraient la pression sur les finances publiques. La charge fiscale qui pèse sur les travailleurs sape déjà la capacité des entreprises à augmenter les salaires.

Cela ne mettra évidemment pas fin du jour au lendemain aux querelles dans une société divisée. Cela ne créera pas non plus un miracle de productivité, à moins que des start-ups spécialisées dans l’intelligence artificielle comme Mistral ne réalisent soudainement une percée. Mais si l’objectif est de préserver le mode de vie français et européen à une époque de ralentissement de la croissance, il existe de meilleurs moyens d’y parvenir que de redécouper le gruyère des jours fériés.

Bloomberg