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Opération Ajax, comment la CIA et le MI6 ont renversé Mohammad Mossadeq, démocratiquement élu.

Giacomo Gabellini

En août 1953, les services secrets américains et britanniques ont déposé le Premier ministre iranien démocratiquement élu, Mohammad Mossadeq. Ce premier coup d’État clandestin organisé par la CIA inaugure la saison des interventions secrètes américaines au Moyen-Orient et dans le monde. L’opération Ajax est devenue le modèle de référence pour les futures stratégies de « changement de régime ». Un modèle qui, sous diverses formes, reste d’actualité.

Le 17 juin dernier, alors que le conflit entre Israël et l’Iran faisait rage, Reza Cyrus Pahlavi, fils du dernier Shah, a publié un message sur son profil X dans lequel il affirmait que « le guide suprême de l’Iran, Ali Khamenei, se préparait à fuir avec sa famille et d’autres hauts responsables ». Il a ensuite ajouté : « Le régime est à bout de souffle. L’armée est divisée alors que le peuple est uni. Les fondations de cette dictature de 46 ans sont en train de s’effondrer. C’est notre mur de Berlin […]. Aujourd’hui, des millions de compatriotes poursuivent cette lutte et ne demandent pas la liberté, ils la conquièrent […]. Notre patrie bien-aimée a été entraînée dans un conflit dévastateur par Ali Khamenei et sa faction corrompue et destructrice ». L’invective se terminait par un appel à la démission adressé à l’ayatollah Khamenei lui-même : « Si vous le faites, vous aurez la garantie d’un procès équitable, ce qui est plus que ce que vous avez jamais accordé à un Iranien ».

Pahlavi, qui, même en Italie, a bénéficié d’un large espace médiatique à la suite de l’agression israélienne contre l’Iran, s’est en somme accrédité en tant que nouvelle figure de proue pour fournir à l’Iran post-révolutionnaire un leadership fiable. Outre la description complètement déformée des développements internes en Iran (« le régime est à bout de souffle » ; « l’armée est divisée alors que le peuple est uni » ; « les fondations de cette dictature de 46 ans sont en train de s’effondrer »), il semble étrange que ce soit le fils du Shah qui parle de « libération nationale ».

Son père, comme l’atteste une masse très impressionnante de documents désacralisés en juin 2017, était revenu au pouvoir en Iran dans le cadre d’un coup d’État contre le premier ministre dûment élu Mohammad Mossadeq. Mené en août 1953 par les militaires et des segments de la classe moyenne supérieure iranienne, le coup d’État avait bénéficié du soutien décisif des services de renseignement américains et britanniques. Une circonstance que le gouvernement américain a officiellement reconnue dès le mois d’août 2013.

Mohammad Reza Pahlavi, Shah d’Iran, dans un portrait officiel de 1973. Wikimedia Commons, domaine public.

Il s’agit de l’un des premiers coups d’État réalisés par la CIA, sur la base d’un schéma opérationnel qui a également été utilisé dans les années suivantes pour un grand nombre d’opérations de changement de régime. La raison : ce schéma permettait d’assurer une forte probabilité de succès grâce à l’utilisation de ressources limitées et, surtout, en laissant les instigateurs relativement dans l’ombre.

Pour bien comprendre la dynamique des événements, il faut remonter aux premières années du XXe siècle, lorsque Mozaffar al-Din Shah Qajar signe avec des émissaires du gouvernement londonien un accord qui sanctionne l’octroi de droits de prospection pétrolière en territoire persan pour les 70 prochaines années à la puissante société pétrochimique britannique William Knox D’Arcy, moyennant le paiement de seulement 20 000 livres sterling.

En 1908, le premier gisement avait été découvert et la toute nouvelle Anglo-Iranian Oil Company (Aioc, contrôlée à 51 % par le gouvernement britannique) a immédiatement commencé à l’exploiter pour soutenir l’ambitieux mais très coûteux programme de conversion du charbon au naphte de la Royal Navy, imposé par le Premier Lord de l’Amirauté Winston Churchill. Ainsi, le pétrole persan a fini non seulement par alimenter la thalassocratie britannique, mais aussi par jouer un rôle moteur dans le processus d’industrialisation lancé par la Grande-Bretagne.

La situation changea nettement après l’installation du cosaque Reza Khan, qui prit le contrôle du gouvernement en 1921, déposant le membre beaucoup plus conciliant de la dynastie des Cagiara (dynastie turque qui a régné sur la Perse de 1794 à 1925, ndlr). Le premier geste du nouvel « homme fort » de Téhéran consiste à équilibrer la position hégémonique des Britanniques au Moyen-Orient, due à la disparition de l’Empire ottoman, par la normalisation des relations avec l’Union soviétique.

L’URSS était considérée, surtout après l’éviction des Britanniques de la République de Transcaspienne (une entité étatique antibolchevique éphémère qui a existé entre 1918 et 1920 sur le territoire de l’actuel Turkménistan du sud-ouest, ndlr), comme un partenaire fiable dépourvu des ambitions hégémoniques nourries par le régime tsariste. Un régime qui, en 1907, s’était entendu avec les Britanniques sur le partage de l’Asie centrale, transformant la Perse en un semi-protectorat britannique, que Londres a d’ailleurs cherché à formaliser avec l’accord anglo-persan de 1919.

Fort de sa nouvelle position de force, le nouveau Shah Reza Khan lance un programme de sécularisation de l’État et, surtout, de modernisation économique qui envisage d’utiliser les revenus des exportations pétrolières pour soutenir un plan industriel et d’infrastructures colossal.

Le processus a été grandement accéléré par Mossadeq qui, en tant que membre du Majlis (le Parlement iranien), a rassemblé et exposé publiquement une vaste documentation attestant de la fraude systématique que l’Anglo-Iranian Oil Company avait menée contre l’État pendant des années, le privant d’une partie considérable des bénéfices légitimes liés aux revenus du pétrole.

L’ancien siège de l’Anglo-Persian Oil Company à Téhéran, aujourd’hui siège du ministère iranien des affaires étrangères. Photo par Wikimedia Commons, licence CC BY-SA 4.0.

Les détournements structurels mis en lumière par Mossadeq ont aiguisé le ressentiment des Iraniens à l’égard des exploitants pétroliers étrangers. Il fournit au gouvernement le consensus nécessaire pour exiger de Londres une renégociation radicale des accords afin de réduire les territoires accordés à l’Anglo-Iranian Oil Company et de l’obliger à payer une redevance fixe en échange d’une extension des droits d’extraction pour 30 années supplémentaires.

L’opposition du gouvernement britannique a encore exacerbé la tension, provoquant un net rapprochement – attesté par l’augmentation considérable du commerce bilatéral et l’arrivée de techniciens et de scientifiques allemands – entre l’Iran et l’Allemagne. Un phénomène favorisé par ailleurs par la détérioration rapide des relations de Téhéran avec Moscou, due également à la décision de Reza Khan de mettre hors-la-loi le parti communiste local.

Le repositionnement international radical de l’Iran est ainsi entré en relation avec les dynamiques géopolitiques complexes qui ont conduit au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, incitant les Britanniques et les Soviétiques, alliés contre l’Allemagne nazie, à envahir le pays pour garantir l’accès au pétrole iranien.

Au même moment, Reza Khan est contraint d’abdiquer en faveur de son fils Mohammad Reza Pahlavi, tandis que les États-Unis, entrés entre-temps en guerre aux côtés de Moscou et de Londres, s’installent durablement en Iran et imposent rapidement leur soft power aux dépens des Britanniques.

La Grande-Bretagne s’achemine alors vers un rapide déclin stratégique, qui se manifeste précisément lors de la conférence de Téhéran en 1943. Lors de ce sommet, Iosif Staline et Franklin D. Roosevelt s’accordent sur la manière de contrer les forces de l’Axe, reléguant Winston Churchill et les intérêts de la Couronne au second plan.

L’Iran, dont l’économie avait été convertie de force au profit de l’effort de guerre des Alliés, était littéralement sorti en lambeaux de la Seconde Guerre mondiale. Cela a contribué à un débat parlementaire houleux sur le renouvellement des concessions à l’Anglo-Iranian Oil Company, contre lequel des millions de citoyens sont descendus dans les rues de toutes les grandes villes du pays.

Dans le climat assombri par l’assassinat du Premier ministre Ali Razmara, qui avait annoncé son intention de reconsidérer radicalement les conditions de renouvellement des concessions, le Majlis confie à l’unanimité le rôle de chef de gouvernement à Mossadeq, le 28 avril 1951. Le nouveau Premier ministre nationalise l’Anglo-Iranian Oil Company, qu’il rebaptise National Iranian Oil Company (Nioc), provoquant ainsi une sévère riposte britannique : déploiement de cuirassés dans le golfe Persique, blocus économique, boycott commercial et gel des ressources iraniennes.

Le Premier ministre iranien Mohammad Mossadek au Conseil de sécurité des Nations unies s’entretenant avec Ernest A. Gross, représentant américain par intérim aux Nations unies, New York, octobre 1951.

Quelques mois plus tard, les Britanniques exigent le versement d’une indemnité proportionnelle non pas à la quantité de pétrole extraite par la compagnie qui leur a été expropriée, mais à la valeur estimée de toutes les activités liées à l’exploitation des champs pétrolifères. Une exigence intenable, dans laquelle les Iraniens voyaient la volonté de Londres d’écraser le pays.

Et tandis que les Britanniques prévoient l’étranglement de l’économie iranienne, John Sinclair, directeur du MI6 (les services secrets britanniques, ndlr), se rend à Washington pour rencontrer Allen Dulles, le très puissant chef de la CIA. Motif : se mettre d’accord sur une opération secrète qui garantirait la destitution de Mossadeq.

Du point de vue de l’establishment économique américain, la politique nationaliste menée par le premier ministre iranien – dont le fondateur d’Eni Enrico Mattei se serait également inspiré – risquait de saper la légitimité du mécanisme sur lequel reposait le contrôle effectif exercé par les grandes compagnies énergétiques américaines sur le pétrole mondial.

D’un point de vue stratégique, d’autre part, Mossadeq était soupçonné d’incarner un neutralisme trop tolérant à l’égard de l’URSS, menaçant ainsi le fragile équilibre de la guerre froide. Cette perspective était totalement inconciliable avec la doctrine du retour en arrière élaborée par John Foster Dulles, frère d’Allen et secrétaire d’État sous l’administration Eisenhower. Selon Kermit Roosevelt, neveu de Theodore Roosevelt et chef de la division Moyen-Orient de la CIA, cette doctrine était d’ailleurs beaucoup plus en phase avec les positions des Britanniques qu’avec la politique de l’administration américaine précédente.

Le président Harry Truman et le secrétaire d’État Dean Acheson avaient jugé nécessaire d’intervenir pour réduire Mossadeq, mais sans le renverser, car cela aurait pu favoriser la montée des communistes du parti Tudeh. Sous Dwight Eisenhower, en revanche, les frères Dulles ont fait pression sur le président Eisenhower pour qu’il soutienne la déposition de Mossadeq, dont les actions étaient interprétées comme un prélude à l’éviction du shah Reza Pahlavi et à l’entrée de l’Iran dans la sphère d’influence soviétique, ce qui limiterait drastiquement l’accès des Etats occidentaux au pétrole iranien.

Les frères Dulles avaient réussi à s’imposer comme les principaux représentants de l’État profond américain (le tristement célèbre État profond, ndlr) dès avant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’ils travaillaient au cabinet d’avocats new-yorkais Sullivan & Cromwell, en charge de la gestion des investissements américains en Allemagne. Après le déclenchement du conflit, John Foster devient conseiller juridique de la Banque des règlements internationaux à Genève, tandis qu’Allen est engagé par l’Oss (le prédécesseur de la CIA, ndlr) et envoyé en Suisse.

Le futur secrétaire d’État John Foster Dulles (à droite) est accueilli par son frère Allen Welsh Dulles, futur directeur de la CIA, à son arrivée à l’aéroport LaGuardia de New York en 1948. Photo Flickr. Domaine public.

L’entourage dont ils bénéficient et les rapports alarmants qu’ils portent à l’attention du Conseil national de sécurité permettent aux frères Dulles de manipuler les actions d’Eisenhower, qui s’était déjà prononcé en faveur du « droit inaliénable de toute nation d’établir un gouvernement et un système économique de son choix ».

En conséquence, la CIA a obtenu l’autorisation de développer des capacités opérationnelles exécutives dans tous les pays neutres considérés comme risquant de tomber dans la sphère hégémonique de Moscou. L’Iran a été le premier d’une longue série de pays (Guatemala, Congo, Indonésie, Cuba, Chili…) que les États-Unis ont tenté de « maintenir sur la bonne voie » par le biais d’opérations secrètes visant à changer le régime.

Entre mai et juin 1953, la CIA a lancé l’opération Ajax. Sur les conseils du MI6 britannique, l’agence a contacté le général iranien à la retraite Fazlollah Zahedi. Elle lui fournit quelque 100 000 dollars et un soutien logistique pour regrouper les opposants en un seul noyau révolutionnaire.

Le chef de la division Moyen-Orient de la CIA, Kermit Roosevelt, a mandaté l’équipe de conseillers militaires américains dirigée par le général Robert McClure, qui formait les forces armées iraniennes depuis 1950, pour opérer au nom de la CIA. Dans le même temps, le groupe devait rester en contact avec la faction locale du coup d’État.

Le chef de la division Moyen-Orient de la CIA, Kermit Roosevelt, a donc chargé l’équipe de conseillers militaires américains du général Robert McClure, qui était stationnée en Iran depuis 1950 pour former les forces armées locales, d’agir en tant que capteur avancé sur le territoire iranien pour le compte de la CIA. Le groupe devait en même temps établir un lien avec la faction du coup d’État iranien.

Pour faciliter ce plan, Roosevelt a débloqué 5 millions de dollars supplémentaires. L’objectif était de faciliter – grâce à l’instrument toujours utile de la corruption – la tâche consistant à gonfler les rangs de la main-d’œuvre à utiliser pour le coup d’État, prévu pour la nuit du 14 août.

Le problème est que Mossadeq avait été informé par des informateurs de l’imminence du coup d’État. Le Premier ministre prend les devants en mobilisant l’armée et en déployant des forces blindées pour protéger sa résidence. Le contingent de la garde impériale, venu avec l’intention de pénétrer impunément dans le bâtiment et d’arrêter Mossadeq, se retrouve encerclé et contraint de déposer les armes.

Le général putschiste Zahedi se réfugie alors dans une planque secrète de la CIA et, le 15 août 1953, le shah Reza Pahlavi s’exile à Rome. Des documents rendus publics en 2017 indiquent que Dulles se trouvait en Italie, où il s’était rendu confiant dans la réussite de l’opération, lorsqu’il a appris l’échec du coup d’État.

Le shah Mohammad Reza Pahlavi et son épouse Soraya Esfandiary-Bakhtiari à Rome, le 17 août 1953. Wikimedia Commons, domaine public.

Les documents révèlent que la réaction spontanée de Langley a été d’ordonner aux agents sur le terrain de se retirer et de nettoyer le terrain de tout indice qui aurait pu permettre aux services de renseignement iraniens de retracer la forte implication de la CIA.

Mais il y a eu un rebondissement. On ne sait pas si c’est en raison d’une insubordination dans la chaîne de commandement de l’agence ou – ce qui est beaucoup plus probable – d’un coup monté dans les moindres détails par la CIA afin de « protéger » politiquement la Maison Blanche, Kermit Roosevelt a décidé de passer à la vitesse supérieure. Quatre jours à peine après la première tentative de coup d’État , le 19 août, le chef de la division Moyen-Orient de la CIA a coordonné l’afflux à Téhéran de centaines de bus et de camions transportant des opposants iraniens recrutés par la CIA.

Dès leur arrivée à destination, les émeutiers ont immédiatement pris d’assaut les centres névralgiques de l’Etat : les ministères, la radio nationale, les quartiers généraux de la police et de l’armée, aidés par des unités de la garde impériale qui avaient échappé aux représailles du gouvernement en place. Un affrontement acharné avec les forces loyalistes s’ensuit, qui se solde par des centaines de morts et l’arrestation de Mossadeq, qui se voit abandonné même par les hauts responsables du clergé chiite, avec à leur tête l’ayatollah Abol-Ghasem Mostafavi Kashan.

Dès son arrivée au pouvoir, le général Zahedi, grassement payé par la CIA, déclenche une série de purges contre toute forme d’opposition. Il autorise également le retour du Shah, qui impose immédiatement la loi martiale et décrète, en 1955, l’adhésion de l’Iran au Pacte de Bagdad, émanation orientale de l’alignement géopolitique dirigé par les Etats-Unis.

Bien avant de devenir une pierre angulaire de la politique des « deux piliers » forgée par Richard Nixon et Henry Kissinger, l’Iran était ainsi devenu le bastion méridional de l’architecture de défense euro-atlantique chargé de surveiller les manœuvres des Soviétiques par le biais de ses très puissants services secrets (la Savak, dont les cadres étaient formés par des formateurs américains et israéliens), inextricablement liés à la CIA et au MI6 britannique.

Mohammad Mossadeq lors de son procès à Téhéran, le 8 novembre 1953. Photo Wikimedia Commons, domaine public.

Sur le plan économique, les retombées du changement de régime ont été tout aussi déstabilisantes. Dans son livre, l’historien et ancien fonctionnaire du département d’État William Blum explique qu’en 1954, « le gouvernement a signé un contrat avec un consortium international de compagnies pétrolières. Parmi les nouveaux partenaires étrangers de l’Iran, les Britanniques ont perdu les droits exclusifs dont ils jouissaient auparavant, voyant leur part réduite à 40 %. Un autre 40 % a été accordé aux compagnies pétrolières américaines, le reste à d’autres pays. Les Britanniques ont toutefois reçu une contrepartie très généreuse pour le transfert de leur propriété ».

Blum poursuit en expliquant qu’en 1958, Kermit Roosevelt a quitté la CIA et, par coïncidence, est allé travailler pour la Gulf Oil Co, l’une des compagnies pétrolières américaines qui faisaient partie du consortium. En 1960, Gulf le nomme vice-président. Plus tard, Roosevelt fonde une société de conseil, Downs & Roosevelt, qui reçoit officiellement 116 000 dollars de bénéfices par an pour ses services au gouvernement iranien entre 1967 et 1970.

« Un autre client, la Northrop Corporation, une société aérospatiale basée à Los Angeles, poursuit Blum, versait à Roosevelt 75 000 dollars par an pour l’aider à conclure des contrats avec l’Iran, l’Arabie saoudite et d’autres pays. Un autre membre américain du nouveau consortium était la Standard Oil Co. du New Jersey (l‘actuelle ExxonMobil, contrôlée comme à l’époque par la très puissante famille Rockefeller), un client de Sullivan & Cromwell, le cabinet d’avocats new-yorkais dont John Foster Dulles était depuis longtemps l’un des principaux associés. Son frère Allen, directeur de la CIA, avait également été associé dans ce cabinet ».

A la lumière de la reconstitution de l’opération Ajax, il est pour le moins paradoxal que ce soit Reza Cyrus Pahlavi lui-même, héritier direct de cette monarchie remise au pouvoir par des appareils de renseignement étrangers, au détriment d’un gouvernement démocratiquement élu, qui parle de « libération nationale ». Et ce n’est pas tout. Dans un court-circuit historique, ce qui fut probablement la première opération secrète de changement de régime menée par les États-Unis fut induite, dès 1953, par le même enchevêtrement d’intérêts économiques et stratégiques qui est encore à l’origine de nombreuses crises politiques contemporaines.

Giacomo Gabellini . Analyste géopolitique et économique, il est l’auteur de nombreux essais, dont Krisis. Genèse, formation et effondrement de l’ordre économique américain (2021), Ukraine. Le monde à la croisée des chemins (2022), La doctrine Monroe. L’hégémonie américaine sur l’hémisphère occidental (2022), Taïwan. L’île sur l’échiquier asiatique et mondial (2022), Dédollarisation. Le déclin de la suprématie monétaire américaine (2023). Il a à son actif de nombreuses collaborations avec des publications italiennes et étrangères.

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