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La reconnaissance tardive par l’Europe de l’existence d’un État palestinien est une manœuvre géopolitique pure et simple, qui s’inscrit dans le cadre d’une normalisation plus large mettant à l’écart la libération de la Palestine, tout en présentant la défaite comme un progrès diplomatique. Assistons-nous à la naissance d’un État ? Ou à la déclaration de sa défaite ?
Malek al-Khoury

Depuis sa création en 1948, Israël n’a jamais opéré à l’intérieur de frontières fixes. L’expansion a toujours été sa doctrine, sans contrainte légale, mais par la force et avec le soutien indéfectible de l’Occident. Israël refuse de définir ses frontières depuis près de huit décennies parce que son identité même est ancrée dans une ambition coloniale qui n’a jamais vraiment pris fin.
De la Nakba (Catastrophe) à la Naksa (Recul), des invasions territoriales à l’annexion de Jérusalem, du Golan et de la Cisjordanie, l’État d’occupation n’a cessé de redessiner ses frontières en fonction du pouvoir et non de la légitimité.
Ce projet expansionniste n’a fait que se renforcer avec la montée du courant messianique-nationaliste à l’intérieur d’Israël, qui considère le contrôle total du « Grand Israël » comme un droit historique qui ne peut faire l’objet d’aucun compromis.
Aujourd’hui, 77 ans après la Nakba, Israël est passé en mode expansion à plein régime – dépossédant les Palestiniens, détruisant des villes et des villages entiers, implantant des colonies juives illégales et appliquant l’apartheid. Pourtant, paradoxalement, des États européens comme la France et le Royaume-Uni se préparent à reconnaître un « État palestinien » précisément au moment où la géographie politique palestinienne est la plus fragmentée et où le projet sioniste est le plus agressif.
Que signifie donc cette reconnaissance ? S’agit-il d’une réussite stratégique pour les Palestiniens ou d’une ruse diplomatique qui fait passer la capitulation pour un succès ?
Un État sans frontières, un projet sans limites
La déclaration Balfour de 1917 a marqué le lancement officiel d’un projet de colonisation en Palestine. Il s’en est suivi non pas une immigration, mais une dépossession calculée, depuis les saisies de terres et les massacres facilités par les Britanniques jusqu’aux expulsions massives de la Nakba de 1948, qui ont entraîné le nettoyage ethnique de plus de 750 000 Palestiniens.
Il ne s’agissait pas d’un simple colonialisme. Il s’agissait d’un remplacement ethnique : Les terres ont été saisies sous la protection impériale, puis conquises militairement. Cette campagne n’a jamais pris fin. Elle s’est poursuivie avec l’occupation de Gaza, de Jérusalem et de la Cisjordanie, et s’est intensifiée après 1967. L’objectif d’Israël n’a jamais été la coexistence. Il a toujours été la suprématie juive.
Le plan de partage des Nations unies de 1947 ( Résolution 181 ) a accordé plus de 55 % de la Palestine historique au mouvement sioniste, alors que les Juifs ne possédaient que 6 % du territoire. Le mouvement sioniste a accepté ce plan sur le papier pour obtenir une légitimité internationale, puis a immédiatement violé ses conditions en occupant 78 % du territoire par la force.
À ce jour, l’État d’occupation n’a pas adopté de constitution officielle, et la raison en est que le fait de se fonder sur le plan de partage aurait limité ses ambitions expansionnistes. La doctrine sioniste n’a jamais reconnu de frontières définitives, établissant plutôt un État sans frontières officielles – parce que ses ambitions s’étendent au-delà de la géographie palestinienne pour inclure des parties de la Jordanie, de la Syrie, du Liban et de l’Égypte.
Le débat interne en Israël sur la déclaration d’un « État juif » n’est pas simplement un argument juridique, mais une tentative de consolider une identité fondée sur l’exclusion et le remplacement – une identité qui consacre légalement la discrimination raciale et dénie aux Palestiniens leur statut de peuple autochtone.
Réalignement de la résistance : Le 7 octobre et le passage à deux États
Le tremblement de terre provoqué par l’opération Al-Aqsa Flood a ébranlé non seulement Israël, mais aussi le discours politique du mouvement palestinien. Il est frappant de constater que les factions palestiniennes – y compris le Hamas – ont commencé à exprimer explicitement leur soutien à la « solution des deux États » après avoir insisté pendant des années sur la libération de la Palestine historique dans son intégralité.
Dans une déclaration sans précédent, Khalil al-Hayya, haut responsable du Hamas, a déclaré en mai 2024 :
« Nous sommes prêts à nous engager positivement dans toute initiative sérieuse pour une solution à deux États, à condition qu’elle implique un véritable État palestinien sur les frontières de 1967, avec Jérusalem comme capitale et sans colonies. »
Cette adaptation tactique est le signe d’un changement important. Après avoir insisté pendant des décennies sur une libération totale, les principaux acteurs palestiniens envisagent désormais ouvertement un État tronqué. S’agit-il d’un reflet de l’évolution de la dynamique du pouvoir ? Ou un réalignement imposé sous la contrainte régionale et internationale ?
La reconnaissance comme levier : La France, l’Arabie saoudite et la normalisation
La semaine dernière, dans un post sur X, le président français Emmanuel Macron a déclaré :
» En cohérence avec son engagement historique en faveur d’une paix juste et durable au Proche-Orient, j’ai décidé que la France reconnaîtra l’État de Palestine. Je ferai cette annonce solennelle devant l’Assemblée générale des Nations unies en septembre prochain… Nous avons besoin d’un cessez-le-feu immédiat, de la libération de tous les otages et d’une aide humanitaire massive pour la population de Gaza. Nous devons également assurer la démilitarisation du Hamas, sécuriser et reconstruire Gaza. Enfin, nous devons construire l’État de Palestine, garantir sa viabilité et faire en sorte qu’en acceptant sa démilitarisation et en reconnaissant pleinement Israël, il contribue à la sécurité de tous dans la région. Il n’y a pas d’alternative.
La reconnaissance anticipée par la France d’un État palestinien en septembre n’est pas motivée par des principes, mais constitue une manœuvre géopolitique dure et froide. Il semblerait que Paris cherche à resserrer ses liens avec Riyad, qui a lié la normalisation avec Tel-Aviv à des progrès dans le dossier palestinien. La reconnaissance française est donc un signal calculé à l’intention de l’Arabie saoudite, et non un geste de solidarité avec les Palestiniens.
Dans cette équation, la Palestine devient une monnaie d’échange. Son statut d’État n’est pas affirmé comme un droit, mais présenté comme une condition préalable dans les accords de normalisation entre les monarchies arabes et l’État d’occupation.
Alignements stratégiques : L’axe Ankara-Londres
Avec un tiers des députés appelant le Premier ministre britannique Keir Starmer à reconnaître la Palestine, la pression s’accentue également sur Londres.
Dans un communiqué, Starmer a déclaré :
« Aux côtés de nos alliés les plus proches, je travaille sur un chemin vers la paix dans la région, axé sur les solutions pratiques qui feront une réelle différence dans la vie de ceux qui souffrent de cette guerre. Cette voie définira les mesures concrètes nécessaires pour transformer le cessez-le-feu, si désespérément nécessaire, en une paix durable. La reconnaissance d’un État palestinien doit être l’une de ces mesures. Je suis sans équivoque sur ce point ».
La Grande-Bretagne, elle aussi, ne s’oriente pas vers une reconnaissance par clarté morale, mais pour renforcer son axe stratégique post-Brexit avec la Turquie. Ankara, partenaire commercial clé d’Israël et soutien politique du Hamas, considère la reconnaissance de la Palestine comme un outil lui permettant d’élever sa stature régionale et son influence énergétique. Pour Londres, l’approfondissement des liens avec la Turquie promet des dividendes économiques et géopolitiques. Il en résulte une convergence des voies de reconnaissance Paris-Riyadh et Ankara-Londres.
Ainsi, deux axes informels sont en train de se former : Paris-Riyadh et Ankara-Londres, qui convergent tous deux vers la reconnaissance d’un État palestinien. Cependant, aucun des deux axes ne l’aborde en se basant sur une croyance de principe dans les droits des Palestiniens, mais plutôt à travers le prisme du pouvoir, de l’influence et de la realpolitik.
L’État palestinien : Reconnaissance sans souveraineté
Même si tous les pays européens reconnaissaient la Palestine, ce ne serait guère plus que du symbolisme sans application. Il n’y aurait pas de frontières définies pour l’État, pas de contrôle sur son propre territoire et pas d’arrêt de l’expansion des colonies ou des politiques d’annexion poursuivies par l’État d’occupation.
Tel-Aviv rejette totalement cette hypothèse. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a insisté sur le fait que tout futur État palestinien serait « une plate-forme pour détruire Israël » et que le contrôle souverain de la sécurité devait rester entre les mains d’Israël. Il a exclu à plusieurs reprises un retour aux conditions qui existaient avant le 7 octobre.
En réalité, 68 % de la Cisjordanie, classée en zone C, reste sous le contrôle total d’Israël. Plus de 750 000 colons sont installés sur ce territoire, sous la protection totale de l’armée d’occupation. Comment un État peut-il exister sur un territoire occupé, fragmenté, constamment assiégé et sans souveraineté ?
« Je viens de rentrer d’une tournée de conférences à travers le monde et je peux affirmer avec certitude que l’image et la position d’Israël dans le monde sont au plus bas dans l’histoire », écrit le journaliste israélien Ben-Dror Yemini.
Malgré cela, le gouvernement d’extrême droite de M. Netanyahou redouble d’efforts : il pousse à l’annexion totale de la Cisjordanie occupée, cherche à prendre pied dans le Sinaï, le sud de la Syrie et même la Jordanie, tout en conservant des positions militaires au Sud-Liban.
L’image de marque d’Israël dans le monde s’érode peut-être, mais son projet stratégique progresse.
Si Israël s’étend et s’enracine, tandis que le mouvement palestinien réduit ses exigences et que les États de la région normalisent leurs relations, qu’est-ce qui a été accompli exactement ?
Les factions de la résistance qui rejetaient autrefois l’existence de Tel-Aviv proposent aujourd’hui la création d’un État à ses conditions. La reconnaissance européenne n’a pas de mordant. Les colonies se multiplient. Les déplacements se poursuivent. Il ne s’agit pas d’une libération. C’est l’enterrement du rêve sous couvert de diplomatie.
La solution provisoire deviendra l’arrangement final. L' »État » palestinien devient un euphémisme diplomatique – une structure vide louée dans les discours, mais niée sur le terrain.