Le débat porte sur l’avenir du pays, et non sur la forme d’un programme de conduite automobile. Ceux qui prônent la remise des armes de la résistance prônent la capitulation, rien d’autre, et ceux qui se satisfont d’un tel choix sans qu’il fasse l’objet d’un consensus national ne doivent pas s’étonner que d’autres refusent de se soumettre, sans attendre non plus le consensus national.
Ibrahim Al-Amin
Il est évident qu’il existe un débat au Liban sur l’ordre des priorités concernant le conflit avec Israël. Mais en réalité, le profond désaccord porte toujours sur le fond de l’approche.
Ce qui s’est passé après la dernière guerre, c’est que le groupe interne opposé, hostile ou réfractaire à la résistance, considère que les actions d’Israël sont la preuve de l’échec de l’idée ou du choix de la résistance. Il s’en tient à ce point de vue lorsqu’il estime que l’alternative est la capitulation, en ne résistant pas aux demandes des Américains, qui appellent à mettre fin à la résistance, tant sur le plan idéologique qu’organisationnel et militaire. Le problème de ce groupe réside essentiellement dans le fait qu’il n’a jamais approuvé l’option de la résistance contre l’occupation israélienne, bien que la majorité de ses membres aient participé à des guerres qu’ils ont qualifiées d’opérations contre les Palestiniens ou les Syriens, et se soient donné le nom de « résistance ». Et lorsqu’ils l’ont fait, ils n’ont pas attendu un consensus national sur leur choix, ils n’ont pas non plus pris en considération les risques pour l’État qu’ils contrôlaient, mais ils ont mobilisé ses institutions civiles, militaires, sécuritaires, politiques et même économiques au service de leur projet. Lorsqu’ils ont mené de grandes batailles militaires et que des dizaines de milliers de Libanais ont été tués à cause de ces guerres, ils considéraient les membres des forces qui combattaient à leurs côtés comme des martyrs de la libération du Liban des étrangers. Ils considéraient les victimes civiles comme le prix nécessaire à payer pour la libération.
Mais ces forces, qui ont été vaincues par leurs propres fils et non par leurs ennemis, n’ont jamais reconnu la légitimité de la résistance contre Israël. Car elles ne considéraient pas Israël comme un véritable ennemi. Même lors de la signature de l’accord de Taëf, ces forces ont commencé à désigner Israël comme l’ennemi dans leur discours public. Mais elles n’ont jamais agi de manière responsable pour affronter cet ennemi. Parmi les parties du front libanais dirigé par le parti des Phalanges, certains considéraient que la révision était terminée dès lors que l’on acceptait le résultat du règlement politique qui classait Israël comme ennemi.
C’est ainsi que l’on peut aborder aujourd’hui la question de la résistance et de ses armes. Il sera très difficile, voire impossible, de mener un débat constructif avec une partie qui ne considère pas Israël comme une menace pour son pays, son peuple ou son rôle dans la région. Elle accepte même le discours américain selon lequel les Arabes doivent se plier à l’idée de la normalisation et de la coopération avec Israël. Plus encore, ces derniers partagent l’avis des Américains et de leurs Arabes selon lequel il faut se débarrasser de tous les ennemis d’Israël. Leur seul argument est le suivant : Israël est une partie forte que nous ne pouvons pas affronter !
La contradiction ici n’est pas flagrante au sens linguistique du terme, entre ceux qui voient dans la puissance de leur ennemi une raison de se rendre, mais elle découle essentiellement du fait que ceux qui appellent à la capitulation de la résistance sont les mêmes qui ont mené des guerres au nom de la résistance, sans jamais mesurer les forces en présence, même lorsqu’ils se remémorent leur histoire. ils ne parlent pas d’une erreur de calcul, mais rejettent la responsabilité sur l’Occident qui les a laissés à la merci des Syriens et des Palestiniens. Il s’agit donc d’une contradiction morale, nationale et humaine. C’est là le cœur du problème actuel. Sinon, quelqu’un pourrait-il demander au ministre des Affaires étrangères, par exemple, ou au ministre des Finances, ou peut-être au ministre des Communications, ou à tout autre ministre, le nombre et les noms des prisonniers libanais détenus par l’ennemi ?
Malheureusement, il est probable que le demandeur n’obtienne pas de réponse directe. Mais l’idée n’est pas de ne pas s’occuper de leur sort, mais plutôt de ne pas considérer leur enlèvement par l’ennemi comme une question qui doit être abordée dans tous les discours, toutes les prises de position et toutes les visites des présidents et des responsables à l’étranger.
Il suffit de mentionner ce sujet, car il revêt une dimension purement humaine. Pourtant, ceux qui appellent à la capitulation devant l’ennemi ne voient pas en lui un dossier qui doit être présent dans toutes les discussions avec les visiteurs arabes ou étrangers qui nous posent l’équation de l’ennemi : rendez les armes ou nous vous enlèverons la vie, et pas seulement vos personnes !
La référence au dossier des prisonniers n’est pas destinée à contrarier ceux qui appellent à la capitulation, mais plutôt à montrer que cette question reflète l’essence même des positions des parties internes sur le conflit avec Israël. Si quelqu’un ne considère pas la libération des prisonniers comme une question nationale, comment pouvons-nous croire qu’il considérera la question de la reconstruction comme une question nationale fondamentale, comment pouvons-nous accepter qu’il se soucie de garantir que l’ennemi ne viole pas toutes les formes de souveraineté libanaise, et surtout, comment convaincre les gens que l’État dont ils veulent qu’il assume la défense de la souveraineté sera prêt et capable d’affronter l’ennemi ?
En ce sens, parler de hiérarchisation des priorités devient une perte de temps. Car celui qui ne considère pas Israël comme un ennemi contre lequel il faut lutter, qui ne fait rien pour l’empêcher d’atteindre ses objectifs, qui ne fait pas le minimum pour faire face aux conséquences de son agression, n’est pas en mesure de se voir confier le sort et la subsistance du peuple avant que celui-ci ne compte sur lui pour préserver sa dignité et sa liberté. Cela doit être une raison valable pour que les résistants refusent d’abandonner l’un des principaux atouts dont ils disposent, à savoir les armes.
Aujourd’hui, beaucoup au Liban se soumettent à la pression américaine. Ils nous disent que nous ne sommes pas en mesure de résister aux exigences des États-Unis. Ils ajoutent que l’avenir de notre économie et de notre société dépend des décisions des États-Unis. Ainsi, lorsqu’ils demandent à la résistance de se rendre, ils partent du principe que le peuple doit accepter que les États-Unis décident de son destin. Mais ils ne s’interrogent pas sur les actions des États-Unis dans le monde entier, et pas seulement dans la région et au Liban. Ils ne veulent pas demander aux États-Unis ce qu’ils font pour mettre fin au massacre en Palestine, lever le blocus sur le Yémen et l’Iran, mettre fin aux opérations de sabotage en Syrie et en Irak, ou assouplir la pression exercée sur les dirigeants d’Égypte, la jordanie et du Maroc, en plus de continuer à faire chanter les dirigeants des pays de la péninsule arabique.
Il est vrai que le pays ne peut supporter de nouvelles querelles et divisions, mais il est encore plus vrai que les gens doivent faire la distinction une dernière fois entre ce qui est logique et réaliste, et ce qui revient à consacrer la logique de la capitulation en tout, et pas seulement en matière de résistance. Et s’il est difficile pour certains de comprendre que les peuples ne doivent pas se soumettre à la volonté de l’occupant ou du colonisateur, il ne leur est pas difficile de comprendre et de réaliser que le coût de la résistance à l’ennemi restera – aussi élevé soit-il – bien inférieur au coût de la capitulation… C’est pour cette seule raison qu’il faut dire : ne rendez pas les armes !