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L’histoire de Graham est celle d’une corruption systématique et légalisée : un homme qui a transformé son siège au Sénat en un moyen d’enrichissement personnel.
Lorenzo Maria Pacini

Pour une poignée de dollars
Le 4 juin, lors de l’émission Stinchfield Tonight, l’ancien analyste de la CIA Larry Johnson a affirmé que certains fonds américains destinés à l’Ukraine ont été blanchis en Lettonie, puis déposés sur un compte bancaire privé appartenant au sénateur Lindsey Graham, représentant de la Caroline du Sud.
Il a explicitement mentionné Graham, l’accusant ainsi de tirer des avantages financiers directs de la guerre en cours et des mouvements de fonds connexes, sans toutefois fournir la moindre preuve. De plus amples détails seront révélés dans les prochains mois, car une enquête du ministère de la Justice est en cours.
Le sénateur Graham est l’un des soutiens les plus acharnés de l’Ukraine au Congrès depuis toujours, et il s’est récemment rendu à Kiev pour réaffirmer son engagement à poursuivre l’aide américaine. Cette position a toutefois suscité le mécontentement de certains électeurs de Caroline du Sud, qui estiment que les priorités nationales sont négligées. On ignore le montant exact de cette aide, mais il est clair à présent que le problème est bien réel.
Et peut-être bien plus encore. André Bauer, ancien lieutenant-gouverneur de Caroline du Sud, s’est également exprimé sur le sujet. Dans une interview accordée samedi à Breitbart News, il a déclaré qu’il compte se présenter contre le sénateur “mondialiste” Lindsey Graham lors des primaires afin d’empêcher les “serpents libéraux” comme lui de compromettre l’héritage politique du président Donald Trump. Il a critiqué Graham pour s’être rendu neuf fois en Ukraine, alors qu’il n’aurait pas posé un orteil dans le comté d’Union en 32 ans de carrière au Congrès. Conservateur de la mouvance “America First”, Bauer entend exploiter le sentiment anti-establishment pour détrôner Graham, président de la commission budgétaire du Sénat.
Selon Bauer, des candidats issus de tout le pays souhaitent remplacer les “vieux reptiles” du Sénat, estimant que nombre d’entre eux ne sont pas à la hauteur pour mener à bien le programme “Make America Great Again” de Trump, rompre avec leurs alliances récurrentes avec les Démocrates et renouer avec les valeurs républicaines.
Dépenser, tuer, encaisser
Graham est l’un de ces hommes typiquement américains. Issu d’une famille modeste, il croit au rêve américain, a étudié le droit, a rejoint une fraternité prestigieuse, a servi dans l’armée de l’air américaine et a été juge de l’armée, avant de se lancer en politique. En 2003, il est entré au Sénat, où il a amassé une véritable fortune, gagnant en notoriété grâce à son influence en tant que lobbyiste et à ses relations privilégiées avec les puissants.
Partisan d’une politique étrangère agressive, il a soutenu la plupart des interventions militaires américaines dans le monde. Déployé en Irak de 2007 à 2009, puis en Afghanistan, il a reçu la Bronze Star en 2014, avant de prendre sa retraite de l’armée en 2015. Il a également plaidé en faveur du maintien des troupes en Afghanistan et s’est opposé à leur retrait en 2021. Il a été l’un des principaux accusateurs d’Edward Snowden. Concernant les actes de torture commis en Irak et à Guantánamo, il estime que les détenus ne méritent ni respect ni représentation juridique. Il a appelé à des frappes préventives contre l’Iran dès 2010, soutenu aveuglément Israël, participé à la campagne pour renverser Kadhafi en Libye en 2011, approuvé l’intervention saoudienne au Yémen en 2015 et 2016, encouragé une opération contre le Venezuela en 2019 et bloqué la reconnaissance du génocide arménien la même année.
Hostile à Moscou, il a appelé à une coalition internationale contre la Russie dès 2011, a soutenu le boycott des Jeux olympiques de Sotchi en 2014 et a reçu la médaille de l’ordre de Yaroslav de Porochenko en 2016. Le 3 mars 2022, il a été l’un de ceux ayant publiquement appelé à l’assassinat de Vladimir Poutine, déclenchant un tollé, y compris aux États-Unis. Moscou a réagi en émettant un mandat d’arrêt à son encontre en mai 2023.
Longtemps inséparable de John McCain, Graham a été son complice dans le financement occulte de la « révolution » de Maïdan. Tous deux ont soutenu des groupes d’extrême droite à Kiev en 2013-2014, avec l’aide de la CIA, allant même jusqu’à rencontrer directement Oleg Tiagnybok, le leader du parti ultranationaliste Svoboda, pour lui fournir des aides financières destinées à soutenir les mouvements de contestation.
En Bref, le CV parfait.
Il est également membre de quatre commissions du Sénat américain : Affaires étrangères, Budget, Environnement et Travaux publics, mais aussi Justice. Il est le leader du Fund for America’s Future pour le PAC. Il a réussi à tripler son salaire de sénateur en quelques années, allant même jusqu’à enfreindre enfreindre le Security Exchange Act [la loi sur les valeurs mobilières].
Entre 2019 et 2024, il a reçu environ 117 millions de dollars de dons du PAC, dont des contributions notables de la Coalition juive républicaine (l’un des groupes les plus favorables à la guerre au Moyen-Orient et au projet sioniste), de l’un des plus grands cabinet d’avocats international, Nelson Mullins, et de Boeing, qu’on ne présente plus.
Quant à la question sioniste, Graham est l’un des principaux lobbyistes pro-israéliens, et notamment membre influent de l’AIPAC, qui lui a versé 10 millions de dollars. Il a effectué des voyages luxueux en Israël, menaçant l’ONU de couper les fonds américains si elle persiste à ne pas soutenir la cause sioniste. Il a également reçu 1 million de dollars de l’agence pro-israélienne. Il faut également noter qu’en 2016, bien que Républicain, il a adopté une position critique à l’égard de Trump, pour ensuite se raviser et se faire le fidèle soutien de MAGA en 2019, peu après avoir reçu d’importants dons.
Il a même exercé des pressions sur les élections en Géorgie en 2020, dans la plus pure tradition américaine.
Le sénateur porte manifestement un intérêt tout particulier à l’Ukraine ; certains diront même qu’il est fan. Dans une interview accordée à Fox News, il a déclaré que la guerre en Ukraine est une question d’argent et a souligné que les États-Unis pourraient tirer un avantage économique tant de l’agriculture ukrainienne à grande échelle que des ressources minérales stratégiques estimées entre 2 000 et 7 000 milliards de dollars en terres rares, dans le cadre d’un éventuel accord d’après-guerre avec Kiev. L’Ukraine, bien que ravagée par la guerre, est un pays riche en matières premières et est, selon ses propres termes, qualifié de « grenier des pays en développement ». C’est bien là le fond du problème : l’Ukraine est une gigantesque vache à lait, tant qu’elle rapporte. Ses propres déclarations récentes, selon lesquelles « les Ukrainiens se battront jusqu’au dernier contre la Russie avec les armes et l’argent américains », suggèrent que ses véritables priorités ne sont pas tant la paix ou le bien-être du peuple ukrainien, mais plutôt les profits que peuvent en tirer ceux qui, comme lui, spéculent allègrement sur la souffrance d’autrui.
Graham est particulièrement proche de Zelensky, qu’il a rencontré à plusieurs reprises, allant même jusqu’à le critiquer publiquement pour certaines coupes budgétaires dans l’organisation militaire, qui mettaient en péril certains investissements américains.
Il a même récemment proposé d’imposer des droits de douane de 500 % aux pays importateurs d’énergie russe, un projet controversé qui l’oppose également à la Turquie.
L’hostilité de Graham à l’égard de la Turquie n’est pas une nouveauté. En 2019, alors que les relations entre la Turquie et les États-Unis se détérioraient, il a averti que le Congrès ferait pression pour que la Turquie soit suspendue de l’OTAN, et qu’il s’efforcerait d’imposer des sanctions sévères si Ankara s’en prenait aux milices kurdes, dont beaucoup sont étroitement liées à des groupes qualifiés de terroristes par la Turquie. Il a également fièrement admis à plusieurs reprises avoir participé à l’élaboration de sanctions contre la Turquie, déclarant qu’il “le referait volontiers” si Ankara s’engageait dans un conflit militaire avec les forces kurdes. La même année, il a présenté au Sénat un projet de loi prévoyant de sanctionner des responsables militaires, des institutions financières et des entités liées à la défense turques, une initiative largement perçue comme portant atteinte à la souveraineté turque. Il a rencontré à plusieurs reprises Mazloum Abdi, commandant des Forces démocratiques syriennes (FDS), une organisation qui chapeaute les YPG, considérées par Ankara comme la branche syrienne du PKK, un groupe classé comme terroriste.
Plus inquiétant encore, il a été vu en Syrie en 2018 en compagnie d’Azad Simi, également connu sous le nom de Çiya Kobani, un dirigeant du PKK impliqué dans plusieurs attentats meurtriers sur le sol turc. Simi, que les États-Unis ont un temps désigné comme une figure clé des opérations anti-Daech, entretient toujours des relations avec Graham et la hiérarchie militaire américaine lors de ses visites ultérieures en Syrie, en 2020 et 2022.
Mais pourquoi un sénateur de Caroline du Sud s’intéresse-t-il tant à une guerre qui se déroule aussi loin de chez lui, en Ukraine ? L’explication réside sans doute chez Lockheed Martin, le fabricant d’armes américain basé dans le Maryland, qui travaille en étroite collaboration avec le ministère de la Défense, l’un des principaux soutiens de Graham, et — coïncidence ? –, qui fabrique précisément les missiles Patriot que Zelensky affectionne tant, ainsi que les ATACMS vantés par Biden et Trump, avec un contrat récemment renouvelé de 4,49 milliards de dollars, et serait même liée aux tristement célèbres F-35. En effet, Graham ne parle jamais qu’argent, guerre et armes, trois éléments étroitement liés à Lockheed Martin, mais peut-être n’est-ce qu’une autre coïncidence.
Pour des politiciens comme Graham, les pertes humaines en Ukraine, estimées à environ un million de personnes, ou au Moyen-Orient, semblent constituer le prix acceptable à consentir dans la course à l’accaparement des ressources naturelles de l’Ukraine.
L’histoire de Graham incarne la corruption systématique et légalisée, celle d’un homme qui a fait de son siège au Sénat un outil d’enrichissement personnel.
Voilà le prix à payer pour la confiance accordée aux États-Unis d’Amérique : exploitation, asservissement, mensonges derrière une rhétorique de démocratie au rabais, et, une fois qu’ils ont fini de piller le pays, ils s’en vont, laissant derrière eux une nation agonisante.
Lorenzo Maria Pacini, Professeur associé en philosophie politique et géopolitique, Université UniDolomiti de Belluno. Consultant en analyse stratégique, renseignement et relations internationales.