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par Francesco Bascone

Entre Realpolitik et références historiques inquiétantes, la rencontre du 15 août semble avoir redonné une place centrale à Moscou, sans que celle-ci n’ait fait de réelles concessions. Washington réduit son engagement, tandis que l’Europe discute des garanties pour Kiev. Les questions les plus épineuses, susceptibles de faire échouer les négociations, sont la cession de la partie non encore conquise du Donbass et les clauses de sécurité, compte tenu des doutes sur la crédibilité des accords avec la Russie. Une partie qui se joue entre des ouvertures ambiguës et le risque de poursuite de la guerre. « Compte tenu des rares lueurs d’espoir et des nombreuses zones d’ombre », conclut l’ambassadeur Bascone, « il faut constater que nous ne sommes pas encore à un tournant, mais que quelque chose bouge ».

Nous ne savons pas si le sommet russo-américain d’Anchorage est destiné à figurer dans les livres d’histoire comme la première étape vers la sortie de cette guerre ou s’il finira dans la poubelle des occasions manquées. La grande majorité des commentateurs observent que l’agresseur a obtenu une réhabilitation totale de la part de Washington sans rien concéder (ce point méritera d’être approfondi) et que Donald Trump, convaincu de le charmer par ses flatteries, s’est laissé charmer. À tel point qu’il a rapidement renié sa promesse de sanctions sévères en cas de refus de la trêve.

Cette concession à la méthodologie de Poutine – viser rapidement à convenir des grandes lignes d’un accord de paix tout en continuant à se battre – serait défendable s’il s’agissait de quelques semaines, délai prévu par Trump pour un bilatéral Volodymyr Zelensky – Vladimir Poutine, suivi peut-être d’un trilatéral avec lui-même, et si, en échange, on avait obtenu une volonté claire de la part de la Russie d’atténuer ses prétentions.

À première vue, cela ne semble pas être le cas : le président russe a réaffirmé que les objectifs de l’opération militaire spéciale restaient inchangés et qu’une rencontre au sommet devait être précédée d’une longue phase préparatoire.

Trump, répétant une fois de plus que Joe Biden est responsable de la guerre, a donné un coup de pouce à Poutine. Le président russe y a vu une confirmation de sa thèse selon laquelle la Russie avait de bonnes raisons d’attaquer l’Ukraine en 2022 et que la guerre ne peut désormais être arrêtée que si les causes de cette décision sont éliminées. C’est-à-dire convenir d’un nouveau Yalta.

Si l’on tient également compte de l’invitation cynique au « réalisme » adressée par Trump à Zelensky, et implicitement à ses amis européens (« la Russie est une grande puissance, l’Ukraine non »), il n’y a guère lieu de se faire d’illusions sur les conditions de paix que, selon lui, Kiev devrait se résigner à accepter.

Dans cette logique de Realpolitik (l’alternative, une « paix juste », relève du vœu pieux), Poutine a le couteau par le manche, car son armée avance et est en mesure de conquérir – même lentement et au prix de dizaines de milliers de morts supplémentaires – les territoires que Zelensky refuse de céder.

Cette situation avantageuse sur le terrain est à l’origine de la demande arrogante d’évacuer la partie de Donetsk actuellement contrôlée par les Ukrainiens. Une demande qui va au-delà de ce qui était considéré comme le prix inévitable de la paix : la cristallisation de la ligne de front (sans reconnaître la souveraineté russe sur les territoires perdus, à l’exception de la Crimée), ainsi que la non-adhésion à l’OTAN.

Comme l’a fait remarquer le négociateur Steve Witkoff aux dirigeants européens sceptiques, quelque chose d’important aurait toutefois été obtenu à Anchorage : cette intransigeance sur l’acquisition de tout le Donbass serait compensée par un assouplissement de Poutine sur la question – prioritaire pour Zelensky – des garanties contre une future reprise de l’expansionnisme russe au détriment de l’Ukraine désormais redimensionnée. Il reste à clarifier lors de futures négociations la portée réelle des garanties que la Russie considérera comme compatibles avec ses intérêts de puissance hégémonique.

Poutine se dit prêt à donner des assurances sur l’intention de Moscou de respecter l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Ukraine dans ses nouvelles frontières (alors qu’il a nié par le passé qu’elle soit une nation à part entière) et d’autres pays d’Europe de l’Est, et à consacrer ces assurances dans une loi spécifique. Mais les précédents historiques (non seulement le souvenir des promesses allemandes de septembre 1938, après Munich, mais aussi les violations désinvoltes, en 2014 et 2022, du mémorandum de Budapest de 1994) minent la crédibilité de tels engagements politiques et juridiques.

Le dialogue du 18 août entre Trump et les sept dirigeants européens à la Maison Blanche s’est donc concentré sur les formes possibles de dissuasion en faveur de l’Ukraine. Il est sans aucun doute positif que le président américain ait promis une sorte de soutien extérieur – c’est-à-dire des renseignements, une surveillance aérienne et satellitaire, de la technologie – même s’il a souligné que la responsabilité première et la totalité de la charge financière incombent aux Européens, ne serait-ce que pour des raisons géographiques, et qu’il n’y aura pas de « bottes sur le terrain » américaines.

Par la suite, Trump a encore revu cet engagement à la baisse. Il est également encourageant de constater qu’à la suite de la réunion d’Anchorage, il a jugé acceptables les différentes options présentées par les Européens ; mais il reste à vérifier dans quelle mesure Poutine s’est réellement montré flexible à cet égard, ou le sera dans la suite des négociations. Les déclarations publiques russes restent très restrictives.

Même si Trump et Witkoff les ont surestimées, il ne fait aucun doute que des ouvertures ont été faites sur ce sujet au cours du sommet, ce qui signifie que l’un des principaux nœuds du conflit est en train de se desserrer. Jusqu’à présent, en effet, l’un des principaux objectifs de l’« opération militaire spéciale » était toujours la « démilitarisation » de l’Ukraine, ce qui se traduisait par la volonté de lui imposer de lourdes servitudes militaires (un précédent : Versailles 1919).

Lors des négociations d’Istanbul en mars-avril 2022, les Ukrainiens avaient accepté d’en discuter, mais leurs positions respectives étaient restées très éloignées. Si Moscou est désormais disposée à parler de garanties de sécurité pour l’Ukraine, cela peut signifier qu’elle renonce à son projet d’en faire un État tampon sans défense.

On peut donc supposer que Poutine a décidé de mettre fin au conflit en conquérant tout le Donbass et une grande partie de deux autres régions, abandonnant son projet initial de soumettre tout le pays, car il vise à normaliser ses relations avec les États-Unis et l’Union européenne. Il s’agit bien sûr d’une interprétation discutable, et la sécurité de l’Ukraine et d’autres pays européens doit être protégée contre les futurs revirements de Poutine (comme ceux de Trump) et de ses successeurs.

Les garanties possibles discutées à la Maison Blanche le 18 août, et dont on ne sait pas vraiment dans quelle mesure les ouvertures de Poutine communiquées par Witkoff aux Européens sont réelles, sont au nombre de trois. La première est la force d’interposition franco-britannique, à laquelle pourraient adhérer d’autres « volontaires ». Certainement pas l’Italie et les États-Unis ; peu probable l’Allemagne (les socialistes s’y opposent, le parti du chancelier est ouvert à cette possibilité).

Même si elle devrait compter environ 20 000 soldats, ce qui ne constituerait qu’un obstacle temporaire à une hypothétique nouvelle invasion, un « tripwire » (déclencheur d’une mobilisation massive), Moscou a désormais clairement indiqué qu’elle s’opposerait à son déploiement sur le territoire ukrainien. On envisage donc de la placer en Pologne et/ou en Roumanie, et de l’appeler « force de réassurance » plutôt que « force d’interposition ». Pour cette variante également, il faut vérifier qu’il n’y ait pas de veto de Moscou.

Un autre point faible de cette proposition est le doute légitime quant à la volonté politique des gouvernements de Paris et de Londres de la mettre en œuvre après le départ de Macron et Starmer. Poutine serait plutôt orienté vers une opération de maintien de la paix de type casques bleus avec la participation de nombreux pays non membres de l’OTAN, y compris la Chine, et un armement léger.

L’expérience de la Force de protection des Nations unies en Bosnie (Unprofor) et de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Unifil) (cette dernière n’ayant pas empêché les invasions israéliennes répétées, même très récemment) rend cette formule peu attrayante, c’est le moins qu’on puisse dire, pour Kiev. Une solution encore pire avait été proposée par les Russes lors des négociations susmentionnées à Istanbul : une « garantie » contre de futures invasions donnée par une série de pays, dont la Russie, tous dotés d’un droit de veto sur une éventuelle intervention militaire pour défendre l’Ukraine !

Cette proposition incroyable, qui tient presque de la plaisanterie, devrait être rappelée pour démystifier la légende selon laquelle ces négociations d’il y a trois ans auraient abouti à un accord raisonnable, qui aurait été torpillé par une intervention de l’ancien Premier ministre britannique Boris Johnson. En réalité, elles avaient donné lieu à un projet présentant diverses lacunes sur les points principaux, qu’il peut certes être utile d’étudier car il contient certains points de départ, mais pas comme modèle.

Face aux nombreuses incertitudes et objections entourant le projet d’Emmanuel Macron et Keir Starmer, la proposition, avancée il y a déjà quelque temps et relancée aujourd’hui par Giorgia Meloni, d’étendre à l’Ukraine, bien qu’exclue de l’adhésion à l’OTAN en raison du veto russe, un engagement d’assistance en cas d’agression similaire à celui de l’article 5 qui constitue le cœur de l’obligation de solidarité entre les membres du Pacte atlantique, a pris de l’ampleur.

Il faudra tout d’abord vérifier si Moscou renoncera réellement à s’y opposer, étant donné que cela réduirait la non-adhésion à l’OTAN à une simple dimension géopolitique, bien différente de la demande traditionnelle de neutralité. Il convient également de rappeler que l’article 5 n’implique pas une obligation d’intervention militaire contre l’agresseur, mais seulement le devoir de porter assistance à la victime, en prenant les mesures que chacun jugera nécessaires.

Étant donné que le recours à la force armée n’est mentionné que comme l’une des formes d’assistance possibles, on peut être sûr que les avertissements de l’agresseur hypothétique, voire la menace nucléaire, feront en sorte qu’elle soit écartée. Il est donc compréhensible que pour le gouvernement ukrainien, il s’agisse d’une « garantie » plus fragile que la « force de dissuasion », déjà loin d’être satisfaisante.

La forme de dissuasion la plus sûre pour Kiev consiste donc à s’armer jusqu’aux dents, avec l’aide de pays amis, en se concentrant sur des moyens (principalement, mais pas exclusivement, défensifs) à forte teneur technologique et à faible utilisation d’infanterie. C’est ce qu’Ursula von der Leyen, utilisant une image initialement référée à Taïwan, dont nous ne savons pas si elle est appréciée par Moscou, a appelé « un porc-épic d’acier ».

Zelensky a trouvé le moyen de satisfaire Trump en précisant que cela inclura l’achat de matériel militaire (Patriot, autres missiles, chasseurs-bombardiers, etc.) auprès d’entreprises américaines pour un montant de 100 milliards de dollars. La facture sera évidemment payée par les Européens.

Venons-en maintenant à l’autre grande question, celle du territoire. Étant donné que nous ne sommes pas actuellement dans une phase d’impasse mais dans une phase de lente avancée des forces russes, Poutine ne se contente pas des territoires déjà occupés, mais réitère sa demande de cession intégrale des deux régions qui constituent le Donbass. C’est-à-dire le retrait ukrainien de la partie encore libre de Donetsk (Lougansk est déjà pratiquement entièrement conquise). À titre de compromis, il propose de renoncer à achever l’acquisition des deux régions méridionales – Zaporizhzhia et Kherson – bien qu’il ait déclaré en septembre 2022 l’annexion de celles-ci également.

Il s’agit d’une concession par rapport à la position maximaliste initiale, mais pas d’un « échange de territoires » comme l’avaient compris Trump et Witkoff (un véritable échange pourrait avoir lieu entre la petite bande de Lougansk encore sous contrôle ukrainien et les fragments d’autres régions récemment occupées par les Russes).

La cession du nord de Donetsk est donc le principal obstacle à un accord de paix. Les Ukrainiens résisteront farouchement, non seulement pour des raisons de principe, mais aussi pour d’autres motifs valables. Ce territoire est un rempart contre une future attaque directe contre Dnipro et Kiev même ; il a été défendu pendant des années au prix de dizaines de milliers de morts ; c’est une région économiquement importante qui comprend des villes de taille moyenne (Kramatorsk et Slovjansk). Le céder reviendrait à exposer ses habitants aux vexations subies par leurs compatriotes non pro-russes dans les régions déjà occupées.

Si les deux parties se montrent disposées à rechercher une solution de compromis à ce problème, diverses formules pourraient être explorées, visant à protéger dans une certaine mesure les exigences de prestige de Moscou et la sécurité des habitants : d’une démilitarisation du nord de Donetsk en le laissant sous souveraineté ukrainienne (probablement insatisfaisante pour Moscou) à un statut spécial similaire à celui de l’après-guerre du Territoire libre de Trieste sous supervision internationale.

La question territoriale a été renvoyée par Trump au sommet bilatéral hypothétique entre Poutine et Zelensky, comme cela avait été prévu dans le projet d’accord d’avril 2022 déjà mentionné. Moscou prend son temps, parle d’élever le niveau des négociateurs, mais d’impliquer les présidents seulement une fois tous les nœuds dénoués. Le président ukrainien souhaite rencontrer son adversaire dans un délai de deux semaines ou un peu plus, mais pas avant d’avoir obtenu des garanties claires de la part des Européens en matière de sécurité.

En l’absence de médiateur, l’issue est plus incertaine que jamais, même dans l’hypothèse où Poutine serait réellement intéressé par une fin négociée du conflit. Zelensky fera valoir que la cession de territoires est interdite par la Constitution et provoquerait une révolte et sa destitution, raison pour laquelle il peut tout au plus renoncer à reprendre ceux qui sont occupés. Mais Poutine rétorquera qu’il est prêt à poursuivre la guerre jusqu’à la conquête intégrale du Donbass, et à ce stade également des deux régions méridionales, et peut-être d’autres encore.

En ce qui concerne la question des frontières et celle de la démilitarisation, l’objectif russe de « dénazification » apparaît comme un obstacle surmontable : initialement conçu comme un « changement de régime », avec la mise en place d’un gouvernement fantoche, il a été redéfini à Anchorage comme l’abrogation des lois discriminatoires contre la langue russe et contre l’Église orthodoxe ukrainienne jusqu’en mai 2022, canoniquement dépendante du Patriarcat de Moscou. Ces conditions semblent raisonnables, ou en tout cas constituent un prix acceptable pour l’abandon du changement de régime.

Compte tenu des quelques lueurs d’espoir et des nombreuses zones d’ombre, force est de constater que nous ne sommes pas encore à un tournant, mais que quelque chose est en train de bouger. Dire qu’en Alaska, tout s’est résumé à un tapis rouge et à de nombreux compliments adressés à un criminel de guerre serait réducteur. Lues de manière pessimiste, les déclarations de Sergueï Lavrov, qui joue désormais le rôle du méchant flic (et porte un t-shirt avec l’inscription provocante « URSS »), révèlent peut-être que les prétendues ouvertures faites par Poutine à Anchorage n’étaient en réalité que de l’ambiguïté, et que Moscou vise, par ses tergiversations, à lasser Trump et à le pousser à se désintéresser de l’Ukraine.

Les déclarations de Lavrov peuvent toutefois également être interprétées comme une technique visant à faire monter les enchères avant le début des négociations directes. Des négociations auxquelles les Européens peuvent contribuer en renforçant la position de négociation de Zelensky, plutôt qu’en lui recommandant de refuser tout compromis, au risque de devoir continuer à se battre jusqu’en 2026.  

Francesco Bascone a été élève de l’École normale de Pise et de la SAIS/Johns Hopkins University à Bologne et Washington, ambassadeur à Belgrade, Nicosie et Vienne/OSCE (précédentes fonctions diplomatiques : Bonn, Pretoria, Salisbury, La Haye, Tel Aviv), professeur à l’université de Trieste, campus de Gorizia. Il écrit pour divers magazines de politique internationale en ligne et sur papier.

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