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Arabie Saoudite, Donald Trump, Gaza, Guerre de Gaza, Israël, reconstruction, Riviera de Gaza, Urbicide
Jonathan Silver , professeur de géographie urbaine, Université de Sheffield

Les États-Unis et Israël ont suscité la condamnation internationale après la fuite de leur projet de reconstruction d’une Gaza dévastée. Le plan de développement urbain semble avoir évolué depuis son apparition au début de l’année. Il comprend désormais des moteurs économiques tels que des initiatives commerciales basées sur la blockchain, des centres de données et des « complexes touristiques de classe mondiale ».
Son alignement sur le réseau logistique régional proposé, le corridor Inde-Moyen-Orient-Europe (Imec), vise à le placer au centre d’une architecture régionale pro-américaine.
Les images et les détails qui ressortent du projet « Gaza Reconstitution, Economic Acceleration and Transformation (Great) Trust » révèlent une vision qui rend clairement hommage à l’urbanisme du Golfe. Des mégaprojets similaires, des tours et des projets immobiliers spéculatifs ont transformé Dubaï et d’autres villes du Golfe depuis les années 1980.
Ce document de 38 pages, initialement publié dans le Washington Post, est une fantaisie architecturale représentant une enclave côtière hypermoderne. Son origine semble double. Tout d’abord, il s’inspire des idéologies libertaires de ce que l’on appelle une « ville charter », c’est-à-dire des espaces de développement urbain dotés de lois et d’institutions différentes de celles de la juridiction dans laquelle ils se trouvent, comme Prospera au Honduras.
Deuxièmement, il semble s’inspirer du contrôle autoritaire exercé par les monarchies riches en pétrole telles que les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite. Ces États sont désormais étroitement alignés sur le président américain Donald Trump et Israël lui-même.
Le plan aurait été élaboré avec l’aide du Boston Consulting Group, et le personnel du Tony Blair Institute aurait été au courant des discussions précédentes. Le Boston Consulting Group a depuis déclaré que deux de ses anciens partenaires avaient participé à ce travail à son insu. Le Tony Blair Institute a également pris ses distances, affirmant n’avoir jamais « rédigé, élaboré ou approuvé » de plans visant à déplacer les habitants de Gaza.
Ce projet de 100 milliards de dollars (74 milliards de livres sterling), mené par des investisseurs, présente tous les ingrédients habituels d’une nouvelle ville. Il comprend notamment des aménagements prestigieux en bord de mer destinés à l’élite internationale. Il prévoit la construction d’immeubles d’appartements appartenant à des promoteurs immobiliers internationaux, qu’il s’agisse de fonds publics saoudiens ou de trusts américains.
Des zones économiques spéciales bénéficiant de conditions fiscales avantageuses promettent un potentiel de production manufacturière avancé. Diverses technologies vertes et durables sont également proposées, ce qui pourrait permettre de masquer l’empreinte carbone considérable du conflit.
Il est toutefois peu probable que Gaza devienne le prochain Dubaï. Le projet prévoit en effet la création de vastes zones tampons de sécurité israéliennes, ce qui laisse présager une résistance des groupes militants palestiniens à l’occupation. Selon toute vraisemblance, il mettrait également fin à toute perspective de solution à deux États.
Les risques pour les investisseurs financiers seront énormes. Il s’agit notamment de responsabilités juridiques éventuelles liées au vol de terres et d’une éventuelle implication dans des procédures judiciaires pour génocide devant la Cour internationale de justice si cela devait se produire. Il n’est donc pas étonnant que ce projet ait été qualifié de « fou » par un associé principal du groupe de réflexion Royal United Services Institute et qu’il ait été rejeté par certains médias israéliens.
Cependant, pour comprendre les dimensions urbaines du projet « Gaza Riviera », il ne suffit pas de se limiter à une perspective urbanistique. Il faut replacer son développement dans le contexte historique et géographique plus large de la Palestine. Ce faisant, on peut considérer que cette initiative s’inscrit moins dans un effort de reconstruction que dans une nouvelle étape vers l’effacement de la présence palestinienne sur le territoire.
Les spécialistes du colonialisme de peuplement ont démontré que sa logique repose sur l’élimination. Cela, expliquent-ils, permet d’exercer un contrôle territorial et d’établir une nouvelle société de colons sur ces terres. Comme l’a déclaré Theodor Herzl, père fondateur du sionisme et très estimé par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu : « Si je souhaite remplacer un ancien bâtiment par un nouveau, je dois démolir avant de construire. »
Israël a déjà affirmé son contrôle territorial sur Gaza, notamment par le transfert forcé des Palestiniens vers ce territoire en 1948, qu’ils appellent la Nakba (la catastrophe), ainsi que par la construction de colonies illégales entre 1967 et 2005 et le blocus de la bande de Gaza depuis 2007. Toutes ces formes de contrôle doivent être comprises dans la logique de l’élimination. La dernière offensive militaire à Gaza illustre la phase la plus récente de ce processus.
Le plan repose sur deux facteurs concrets qui dépassent le cadre financier et géopolitique : l’urbicide et l’expulsion. Premièrement, la création de cette nouvelle société implique la destruction de plusieurs siècles d’environnement bâti historique et des réseaux de soutien de la vie urbaine. Cet urbicide de Gaza consiste en la destruction délibérée de ses infrastructures civiles, de son environnement bâti, de ses routes et de ses hôpitaux, supprimant ainsi son caractère physique et sa fonctionnalité en tant que colonie.
Ce que ce plan signifierait pour les Palestiniens
Forensic Architecture est un groupe de chercheurs qui utilise des techniques architecturales pour enquêter sur les violences étatiques et les violations des droits humains. Sa base de données Cartography of Genocide (Cartographie du génocide) a documenté que la violence spatiale des Forces de défense israéliennes a été presque totale dans de nombreuses zones de Gaza. Cela crée les conditions nécessaires à la mise en œuvre du plan.
Le plan laisse peu de place aux 2,3 millions de Palestiniens vivant à Gaza. Selon certaines informations, les habitants se verraient offrir jusqu’à 5 000 dollars américains pour laisser la place à la « Riviera », soi-disant à titre temporaire.
Pendant ce temps, l’armée israélienne continue de tuer des civils palestiniens et de provoquer des déplacements massifs au sein même de Gaza, tandis que des politiciens israéliens d’extrême droite affichent publiquement leur volonté d’expulser les Palestiniens du territoire.
Les accusations selon lesquelles Israël commet un génocide à Gaza – notamment celles de l’Association internationale des chercheurs sur le génocide – se multiplient. Les actions d’Israël ont causé la mort et blessé des dizaines de milliers de Palestiniens. Le plan de réaménagement de Gaza s’inscrit également dans cette logique coloniale : un projet urbain qui, pour être réalisé, nécessite l’effacement de tout ce qui existait auparavant, par l’expulsion de la population et l’urbicide de l’environnement bâti.