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Le régime de sanctions stupide de l’Europe Moscou et Pékin se moquent de Bruxelles

« À moins d’un changement radical, l’avenir du continent sera marqué par la stagnation et l’insignifiance ». John Thys/AFP via Getty.

Thomas Fazi

« Il est temps de fermer le robinet », a déclaré la semaine dernière la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dans sa 19e tentative de faire pression sur la Russie. Le dernier ensemble de sanctions proposé comprend une interdiction des importations de gaz naturel liquéfié (GNL) russe à partir de janvier 2027, soit un an plus tôt que prévu initialement, et étend les sanctions aux raffineries et aux négociants en pétrole de pays tiers, tels que la Chine et la Russie, accusés d’aider la Russie à contourner les sanctions.

Sur le papier, cette mesure est présentée comme une étape décisive visant à « réduire les revenus de guerre de la Russie » et à forcer Moscou à s’asseoir à la table des négociations. Dans la pratique, elle n’est guère plus que la poursuite d’une politique qui a échoué à maintes reprises. La Russie n’a pas été mise à genoux et a réorienté ses flux énergétiques vers d’autres destinations, tandis que l’Europe a été paralysée par la hausse des prix et s’est enfermée dans une position de dépendance permanente vis-à-vis des États-Unis.

Avant l’invasion de l’Ukraine en 2022, la Russie était le premier fournisseur de pétrole et de gaz naturel de l’UE. Depuis lors, la part de la Russie dans les importations de pétrole de l’UE est passée de 29 % à 2 %, et celle du gaz de 48 % à 12 %. Cependant, les importations n’ont pas complètement cessé. Deux gazoducs restent opérationnels : le gazoduc Druzhba, qui continue d’acheminer du pétrole vers la Hongrie et la Slovaquie, et le gazoduc TurkStream, qui alimente en gaz la Bulgarie, la Hongrie, la Grèce et la Roumanie. Dans le même temps, l’UE s’est empressée de remplacer le gaz russe acheminé par gazoduc par du GNL beaucoup plus cher et volatil, dont la part dans les importations totales de gaz de l’UE a plus que doublé, passant de 20 % à 50 %. Près de la moitié de ce GNL provient désormais des États-Unis, faisant de l’Europe le marché le plus important pour les exportations américaines de GNL.

L’ironie, c’est que tandis que l’UE se vantait d’avoir réduit ses importations par gazoduc depuis la Russie, elle a discrètement augmenté ses achats de GNL russe, dont la majeure partie est destinée à la France, l’Espagne, les Pays-Bas, la Belgique et l’Italie. Il s’agit simplement d’une question de réalité économique : non seulement le GNL russe est « nettement moins cher » que le gaz liquéfié américain, mais les accords existants lient les acheteurs européens aux approvisionnements russes.

Cependant, rien n’illustre mieux l’absurdité du régime de sanctions de l’UE que le fait que l’Europe continue d’importer indirectement de grandes quantités de pétrole russe. Au lieu d’acheter directement du pétrole brut bon marché à la Russie, comme elle le faisait auparavant, elle achète désormais des produits raffinés à des pays comme l’Inde et la Turquie, qui importent du pétrole brut russe, le raffinent et le revendent à l’Europe avec une marge bénéficiaire importante. Au cours des six premiers mois de 2025 seulement, l’UE et la Turquie ont importé 2,4 millions de tonnes de produits pétroliers en provenance d’Inde. Selon les estimations, les deux tiers de cette quantité provenaient de pétrole brut russe. En réalité, l’UE et la Turquie ont versé à l’Inde environ 1,5 milliard d’euros pour du pétrole qui était russe dans tout sauf le nom.

Cela signifie que l’Europe paie désormais plus cher le même pétrole russe qu’auparavant, tout en payant également plus cher le GNL destiné à remplacer le gaz russe acheminé par gazoduc. L’Union européenne s’est donc tirée une double balle dans le pied : d’abord en remplaçant le gaz russe bon marché acheminé par gazoduc par du GNL américain (et russe) plus coûteux, puis en remplaçant les importations directes de pétrole russe par des achats indirects et plus onéreux auprès de l’Inde et de la Turquie.

Les conséquences ont été brutales. L’Europe a connu trois années consécutives de stagnation industrielle. L’Allemagne, autrefois moteur du continent, connaît aujourd’hui une désindustrialisation pure et simple, avec 125 000 emplois industriels perdus au cours des dernières semaines seulement.

La Russie, quant à elle, s’en est relativement bien sortie, réorientant ses exportations vers l’Asie et consolidant son partenariat avec la Chine. Du point de vue des intérêts à long terme de l’Europe, la voie évidente serait de renormaliser les relations économiques avec Moscou, de reprendre les importations d’énergie bon marché et d’œuvrer à une fin négociée de la guerre. Mais la rationalité a depuis longtemps disparu de la politique européenne. En effet, Bruxelles a doublé la mise, annonçant non seulement l’interdiction du GNL, mais aussi une interdiction de facto de toute utilisation future des gazoducs Nord Stream, tout en sabotant tout effort de paix.

Une fois encore, la justification avancée est que les sanctions obligeront la Russie à mettre fin à la guerre selon les conditions fixées par l’Occident. La réalité est que les 18 séries de sanctions précédentes n’ont pas permis d’atteindre cet objectif, et la 19e ne fera pas mieux. En revanche, elle ne fera qu’accroître la dépendance de l’Europe vis-à-vis des États-Unis.

En effet, le moment choisi pour l’adoption du nouveau train de sanctions n’était pas fortuit. Quelques jours auparavant, Donald Trump avait lancé un ultimatum aux alliés de l’OTAN. Il avait déclaré que les États-Unis n’imposeraient de nouvelles sanctions « importantes » à la Russie qu’une fois que les Européens auraient accepté de cesser d’acheter du pétrole russe. Il était allé plus loin en suggérant à l’OTAN d’imposer des droits de douane de 50 à 100 % à la Chine et à l’Inde, qu’il accusait toutes deux de contourner les sanctions. Il a insisté sur le fait que de telles mesures affaibliraient le « contrôle étroit » exercé par la Russie sur ses partenaires. Trump a même affirmé que l’arrêt des importations d’énergie russe, combiné à des droits de douane élevés sur la Chine, serait « d’une grande aide » pour mettre fin au conflit.

La logique est déroutante. L’Europe n’a pas le pouvoir de forcer la Chine ou l’Inde à cesser d’acheter du pétrole russe. L’imposition de droits de douane à ces pays alimenterait une inflation galopante et déclencherait des contre-mesures qui dévasteraient les exportateurs européens, sans pour autant modifier leur comportement d’achat. Même les diplomates de l’UE reconnaissent en privé que les conditions de Trump sont irréalistes, comme Trump lui-même le comprend sans doute très bien. Pourtant, ses exigences révèlent la nature transactionnelle de la politique transatlantique actuelle.

L’ultimatum de Trump s’inscrit dans une stratégie américaine plus large : dominer le marché énergétique européen. Le secrétaire américain à l’Énergie, Chris Wright, l’a clairement exprimé : « Vous voulez avoir des fournisseurs d’énergie sûrs qui sont vos alliés, pas vos ennemis. » Selon le plan de Washington, les États-Unis pourraient représenter près des trois quarts des importations européennes de GNL d’ici quelques années. En effet, ExxonMobil s’attend désormais à ce que l’Europe signe des contrats pluridécennaux pour l’achat de gaz américain dans le cadre de son engagement à acheter pour 750 milliards de dollars d’énergie américaine.

Jusqu’à récemment, les pays de l’UE résistaient à ce type d’accords, craignant une dépendance aux énergies fossiles et la remise en cause des objectifs climatiques. Mais le vent a tourné. L’italien Eni a récemment signé un accord de 20 ans avec Venture Global, son premier accord à long terme avec un producteur américain de GNL. Edison et l’allemand Sefe ont signé des accords similaires. Il en résulte une dépendance structurelle au gaz américain — qui est non seulement plus cher, mais qui a également une empreinte carbone bien plus élevée que le gaz russe acheminé par gazoduc — pour les décennies à venir. C’est un exemple typique de vassalité géopolitique.

Mais il y a pire. Alors même que l’Europe est invitée à rompre tout lien avec l’énergie russe, des informations font état de pourparlers secrets entre ExxonMobil et la compagnie pétrolière russe Rosneft en vue de reprendre leur coopération sur le gigantesque projet Sakhaline, dans l’Extrême-Orient russe. Si cela se confirme, cela signifierait que, tandis que les Européens se voient interdire d’acheter du gaz et du pétrole russes bon marché, les entreprises américaines se préparent discrètement à revenir. L’objectif semble être d’acheter l’énergie russe à bas prix, de la revendre à un prix élevé et d’évincer du marché des concurrents tels que la Turquie et l’Inde.

Mais cette stratégie présente une faille évidente. Il est difficile d’imaginer que les entreprises américaines reprennent réellement leurs activités avec la Russie alors que la guerre se poursuit, d’autant plus que Washington menace d’imposer des sanctions toujours plus sévères à la Russie et à ses principaux partenaires, tels que la Chine et l’Inde. Le PDG d’Exxon a d’ailleurs démenti ces rumeurs. Cette contradiction met en évidence les limites de l’approche transactionnelle de Trump : la conviction qu’il peut séparer clairement l’économie de la politique, en concluant des accords commerciaux avec Moscou tout en remettant en cause les objectifs géopolitiques et sécuritaires plus larges de la Russie.

« Il en résulte un paradoxe géopolitique si complexe qu’il défie presque toute compréhension. »

Pendant ce temps, les efforts visant à dissocier l’Europe de l’énergie russe n’ont fait que renforcer le partenariat stratégique entre Moscou et Pékin. Au début du mois, les deux pays ont signé un mémorandum pour la construction du gazoduc Power of Siberia 2, un projet de 13,6 milliards de dollars s’étendant sur 2 600 kilomètres à travers la Mongolie. S’il est confirmé, il permettrait de fournir 50 milliards de mètres cubes de gaz par an à la Chine, offrant ainsi à Pékin une source fiable d’énergie bon marché.

Pour l’Europe, c’est une catastrophe. Après s’être volontairement coupée de l’énergie russe, le continent s’engage désormais dans un avenir marqué par des prix élevés et une faible compétitivité. La Russie, en revanche, s’assure des marchés à long terme en Asie. Le nouveau gazoduc aurait également des implications pour les États-Unis. Les analystes prédisent que le gazoduc provoquera un « choc structurel » dans le commerce mondial du GNL, réduisant la dépendance de la Chine vis-à-vis des cargaisons maritimes et sapant les ambitions des États-Unis en matière de contrats à long terme.

Mais cela ne fait que souligner pourquoi il est impératif pour les États-Unis de maintenir leurs États clients aussi dépendants que possible des combustibles fossiles américains. Vu sous cet angle, la guerre n’a été rien de moins qu’un triomphe pour les États-Unis : elle a garanti des profits exceptionnels à leurs entreprises énergétiques et a lié l’Europe encore plus étroitement à leurs priorités géopolitiques. En effet, il est difficile d’éviter de soupçonner que ce résultat faisait partie du raisonnement depuis le début. Après tout, creuser un fossé permanent entre l’Europe et la Russie tout en garantissant à l’Europe un marché captif pour l’énergie américaine est sans doute un objectif constant de la stratégie américaine depuis des décennies.

En adoptant des sanctions conformes aux exigences de Trump, Bruxelles sacrifie ce qui lui reste d’autonomie. Il en résulte un paradoxe géopolitique si tordu qu’il défie presque toute compréhension. Piégés par leur propre rhétorique et par leur engagement dogmatique à une confrontation permanente avec Moscou, les gouvernements européens se sont mis dans une position ridicule. Ils ont permis à Trump de présenter ses exigences comme un pervers quid pro quo : il peut présenter l’autodestruction économique de l’Europe et sa dépendance croissante à l’égard de l’énergie américaine comme le prix à payer pour accélérer son propre déclin stratégique.

Dans l’ensemble, la politique énergétique de l’UE depuis 2022 est un exemple typique d’autodestruction. En se coupant des approvisionnements russes bon marché, elle a offert aux États-Unis une occasion unique de dominer le marché énergétique européen. En adoptant des sanctions qui n’ont pas affaibli la Russie mais ont dévasté l’industrie européenne, Bruxelles a transformé le continent en un pion géopolitique. Les dirigeants européens prétendent défendre des valeurs et la solidarité ; en réalité, ils président à un processus de désindustrialisation et de déclin, tout en continuant à aggraver dangereusement les tensions avec la Russie. À moins d’un changement radical, l’avenir du continent sera marqué par la stagnation et l’insignifiance — et, dans le pire des cas, par une guerre totale.

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