Des appels répétés ont été lancés en faveur de l’annexion de la Cisjordanie en représailles à la reconnaissance de la Palestine par un plus grand nombre de pays.
Vincent Durac

La reconnaissance la semaine dernière d’un État palestinien par le Royaume-Uni, la France, le Canada et plusieurs autres pays a suscité un débat sur la signification pratique, s’il y en a une, de cette démarche.
Pour certains, comme le chroniqueur israélien Gideon Levy, qui écrit dans le journal israélien Haaretz, il ne s’agit que d’un substitut erroné aux boycotts et autres mesures punitives qui devraient être pris à l’encontre d’un État coupable de génocide. D’autres affirment que cette reconnaissance aidera les Palestiniens à mieux défendre leur cause en faveur d’un cessez-le-feu dans le cadre des structures diplomatiques et juridiques internationales existantes.
Ce qui est clair, c’est que la reconnaissance d’un État palestinien n’aura aucune incidence sur la réalité à Gaza (et en Cisjordanie) tant qu’il n’y aura pas de changement significatif dans les dynamiques sous-jacentes qui maintiennent la situation catastrophique actuelle. Il semble y avoir peu d’espoir à cet égard pour le moment.
En particulier, l’acteur extérieur clé, les États-Unis, ne montre aucun signe de changement dans sa position de soutien politique et matériel largement inconditionnel à l’offensive israélienne sur Gaza. En déclarant à l’Assemblée générale des Nations unies que la reconnaissance revenait à récompenser le Hamas, le président américain Donald Trump ne faisait que reprendre l’un des arguments du Premier ministre israélien Binyamin Netanyahu.
Quant à l’Europe, au-delà de l’adhésion tardive de la France, du Royaume-Uni et d’autres pays au rang de ceux qui reconnaissent la Palestine, il n’y a guère d’action concertée susceptible d’exercer une pression significative sur Netanyahu et le gouvernement israélien. Il ne fait aucun doute que l’Union européenne dispose d’un levier sur Israël. Cependant, elle manque de la volonté politique nécessaire pour l’utiliser.
L’UE est le premier partenaire commercial d’Israël, représentant 34 % du commerce mondial de marchandises d’Israël en 2024, tandis que 28,8 % de ses exportations étaient destinées à l’UE.
Alors que les Palestiniens des territoires occupés vivent sous un régime militaire effectif, plus de 700 000 colons jouissent de tous les droits liés à la citoyenneté.
Au début du mois, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a averti Israël que la famine provoquée par l’homme « ne peut en aucun cas être une arme de guerre » et s’est engagée à prendre des mesures, sans préciser exactement quelle forme celles-ci pourraient prendre. Par la suite, la Commission a proposé de mettre fin à un accord de libre-échange qui supprimait les droits de douane sur les importations de marchandises entre l’Europe et Israël, représentant plusieurs milliards d’euros.
Selon le commissaire européen au commerce, Maroš Šefčovič, l’effet net de cette mesure ne serait que de 227 millions d’euros par an. Quoi qu’il en soit, même cette mesure modeste a peu de chances d’obtenir le soutien nécessaire des États membres, l’Allemagne et l’Italie, en particulier, s’opposant presque certainement à la moindre sanction contre Israël.
L’incapacité de l’UE à agir est apparue clairement au début de l’année, lorsqu’une proposition encore plus modeste de la Commission visant à exclure Israël de l’accès au fonds de recherche Horizon Europe, doté de 95 milliards d’euros, n’a pas obtenu le soutien nécessaire de la majorité qualifiée. L’Allemagne et l’Italie ont toutes deux déclaré qu’un examen plus approfondi de la proposition était nécessaire avant qu’une décision puisse être prise.
En Israël, des appels répétés ont été lancés en faveur de l’annexion de la Cisjordanie en représailles à la reconnaissance de la Palestine par les États européens. Sans surprise, ces appels ont été lancés par le ministre d’extrême droite de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, et le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, tandis que d’autres ministres du gouvernement Netanyahu ont également soutenu cette initiative.
En effet, plus tôt, en juillet de cette année, la Knesset israélienne a approuvé une motion non contraignante en faveur de l’annexion. Une telle mesure entraînerait presque certainement l’effondrement des accords d’Abraham de 2020, qui ont vu la normalisation des relations entre Israël et un certain nombre d’États arabes, dont les Émirats arabes unis, et qui sont présentés comme la principale réussite de la politique étrangère de la première administration Trump.
Ces accords étaient une réponse à une menace antérieure d’Israël d’annexer la Cisjordanie. Les Émirats arabes unis ont averti Israël que cela reviendrait à franchir une « ligne rouge », tandis que Trump, lors d’une réunion avec des dirigeants arabes et musulmans au début de la semaine, aurait donné l’assurance qu’il ne « permettrait » pas à Netanyahu de le faire.
Cependant, qu’une annexion officielle ait lieu ou non, la réalité sur le terrain en Cisjordanie est celle d’une annexion rampante qui dure depuis des années et qui a rendu pratiquement impossible toute solution à deux États au conflit israélo-palestinien. Depuis des décennies, les gouvernements israéliens successifs ont mené une politique d’expansion des colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.

Selon le Bureau central des statistiques d’Israël, un peu plus de 450 000 colons juifs vivaient dans les colonies de Cisjordanie en janvier 2020. Aujourd’hui, ce nombre dépasse le demi-million, sans compter Jérusalem-Est, où vivent 200 000 personnes supplémentaires.
Au début de l’année, la sous-commission du gouvernement israélien chargée des questions relatives aux colonies, présidée par Smotrich, a approuvé un plan de construction de 3 400 logements dans la Cisjordanie, qui relierait une importante colonie existante, Ma’ale Adumim, à Jérusalem, et séparerait de fait le nord de la Palestine du sud, rendant impossible la création d’un État palestinien géographiquement contigu à l’avenir.
Le 2 septembre, lors d’une réunion du cabinet convoquée pour examiner une réponse à l’intensification des initiatives internationales en faveur de la reconnaissance de la Palestine, Smotrich a dévoilé une proposition d’annexion de 82 % de la Cisjordanie, sur la base de cartes détaillées établies par la « Direction des colonies » du ministère de la Défense.
En poursuivant une politique visant à créer des « faits accomplis » qui excluront la possibilité d’un État palestinien, le gouvernement israélien fait en sorte que la solution à deux États ne soit plus une option réelle. Il ne reste alors comme alternative qu’un seul État, dans lequel les Palestiniens ne jouissent pas des droits démocratiques et des privilèges de leurs voisins juifs israéliens.
Déjà, 350 000 Palestiniens vivent dans les territoires annexés de Jérusalem-Est, et presque tous ont moins de droits et de protections juridiques que leurs voisins israéliens. Et tandis que les Palestiniens des territoires occupés vivent sous un régime militaire effectif, plus de 700 000 colons jouissent de tous les droits liés à la citoyenneté, même s’ils vivent en dehors des frontières internationalement reconnues d’Israël.
En juillet dernier, la Cour internationale de justice a qualifié le traitement réservé aux Palestiniens dans les territoires occupés de « discrimination systémique, fondée notamment sur la race, la religion ou l’origine ethnique », se rapprochant ainsi du terme « apartheid » utilisé par les organisations de défense des droits humains, notamment Human Rights Watch et Amnesty International, ainsi que par la principale organisation israélienne de défense des droits humains, B’Tselem.
L’intensification du projet d’annexion israélien en Cisjordanie ne fera qu’accélérer la transition vers un État unique de type apartheid. Cela pourrait finalement exercer une pression internationale significative sur Israël pour qu’il change de cap. Mais alors que la destruction de Gaza se poursuit, le coût pour les Palestiniens dans l’intervalle est incalculable.
Le Dr Vincent Durac enseigne la politique du Moyen-Orient à la faculté de politique et de relations internationales de l’UCD.