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par Eric Margolis

« Arrêtez d’écrire sur le Moyen-Orient ou nous jetterons de l’acide au visage de votre fils et à vous-même. »

Telle était la menace qui nous a été lancée à travers la porte d’entrée de notre appartement new-yorkais où ma mère et moi vivions dans les années 1950. Puis, à 3 heures du matin, on a frappé violemment à la porte, accompagnant les coups de menaces et d’obscénités.

Le délit de ma mère ? Être l’une des premières femmes journalistes à couvrir le Moyen-Orient, une région alors peu connue de la plupart des Américains. Ma mère, Nexhmie Zaimi, est née en Albanie, une ancienne province de l’Empire ottoman. Elle a été la première fille en Albanie à fréquenter le lycée dirigé par des missionnaires presbytériens. Elle était également une rebelle née. Elle a scandalisé la capitale, Tirana, en refusant de porter le voile et en parlant d’émigrer aux États-Unis.

Elle a réussi à se rendre aux États-Unis et s’est inscrite au prestigieux Wellesley College. Là, elle a écrit un livre remarquable, « Daughter of the Eagle » (Fille de l’aigle), sur son enfance dans une Albanie semi-féodale. Ce livre est devenu un best-seller national.

Mme Zaimi a ensuite fréquenté l’école de journalisme de l’université Columbia, à l’époque où celle-ci était encore un bastion de la liberté d’expression. Elle a rencontré mon père, un avocat new-yorkais, s’est mariée avant la guerre et est rapidement devenue journaliste et conférencière. Elle a également travaillé avec le prédécesseur de la CIA au début de l’après-guerre, puis a commencé à faire des reportages sur le Moyen-Orient pour le département d’État américain. Dans les années 1950, elle a averti Washington que si le problème palestinien n’était pas résolu de manière équitable, le Moyen-Orient se soulèverait contre les États-Unis. Cela s’est produit en 2001.

Ma mère était une journaliste vedette malgré ses graves problèmes de vue. Seule, sans aucun soutien, elle a réussi à interviewer le dirigeant égyptien Gamal Abdel Nasser, le roi Hussein de Jordanie, le roi Farouk, l’ancien dirigeant égyptien, Anwar Sadat, le général Naguib et l’homme fort irakien Nuri al-Said.

Lors d’un voyage en Jordanie, en Syrie et au Liban, Mme Zaimi a été choquée de découvrir des centaines de milliers (750 000 au total) de villageois palestiniens qui avaient été chassés de leurs villages sous la menace des armes ou par des massacres prémédités perpétrés par les forces régulières et irrégulières juives. Ces réfugiés vivaient dans des cartons ou des cabanes métalliques, beaucoup d’entre eux souffrant de famine et de maladies.

Ma mère a commencé à écrire et à donner des conférences sur leur sort. Ce qui était devenu le nord d’Israël (la région arabe de Galilée et Haïfa) était « une terre sans peuple pour un peuple sans terre », selon la ligne officielle du parti sioniste. Une phrase accrocheuse, certes, mais totalement fausse. Les historiens israéliens ont largement documenté le nettoyage ethnique du nord de la Palestine. Beaucoup de ses habitants se sont retrouvés dans le camp de prisonniers à ciel ouvert de Gaza, où ils sont aujourd’hui victimes d’un terrorisme ethnique brutal.

Les annonceurs pro-israéliens dans les journaux et les stations de radio qui diffusaient les reportages de ma mère ont menacé de retirer leurs publicités si elle ne se taisait pas. Elle a refusé de se taire, jusqu’à ce qu’on menace de me jeter de l’acide au visage.

Mes chroniques et mes émissions ont été mises sur liste noire par les principaux journaux, radios et télévisions américains et canadiens en raison de mes opinions hérétiques en faveur de la paix au Moyen-Orient, et ma vie a été menacée à de nombreuses reprises. Après soixante ans de menaces et d’intimidations, j’ai appris à vivre avec les menaces et le fait d’être sur liste noire.

Même de nombreux anciens partisans de droite d’Israël commencent à réévaluer leur position alors que le monde se retourne contre la solution finale d’Israël pour les Palestiniens. Ils sont devenus un peuple martyr. Je suis fermement dans le camp des Israéliens qui comprennent qu’ils devront un jour réussir à vivre avec leurs voisins palestiniens. Je salue le grand journaliste israélien Uri Avnery qui a défendu cette voie pacifique pendant des décennies.

Les partisans d’un Grand Israël sont sur une voie sans issue. Ils ont réussi à faire entrer leur plus fervent partisan, Donald Trump, à la Maison Blanche, mais où va-t-il aller à partir de là ?

Ma mère est décédée en 2003 à Santa Barbara, en Californie, où elle avait pris sa retraite. À l’époque, elle soignait des enfants bosniaques blessés pendant la guerre des Balkans. Beaucoup la saluaient comme « la première dame d’Albanie ».

Eric Margolis