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Derrière les discussions sur les otages et les cessez-le-feu se cache une tentative de contrôle du gaz inexploité de Gaza. Le plan de Trump oppose les ambitions énergétiques de Washington au rêve du Grand Israël d’Israël, tandis que les Palestiniens le dénoncent comme une occupation sous une nouvelle forme.

Uriel Araujo, docteur en anthropologie, est un spécialiste des conflits ethniques et religieux qui a mené de nombreuses recherches sur la dynamique géopolitique et les interactions culturelles.

Après près de deux ans de dévastation à Gaza, le plan de paix en 20 points récemment publié par le président américain Donald Trump a une fois de plus placé l’enclave sous les feux de la rampe géopolitique. Dévoilé cette semaine aux côtés du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, ce plan promet un cessez-le-feu immédiat, des échanges d’otages et une démilitarisation de Gaza sous supervision internationale transitoire.

Présidé par Trump lui-même et comptant l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair comme figure clé du « Conseil de paix », cet organisme serait censé diriger le « redéveloppement » jusqu’à ce que l’Autorité palestinienne se réforme suffisamment pour prendre le contrôle. La proposition a suscité des applaudissements prudents de la part des dirigeants arabes à Riyad, Abu Dhabi et Le Caire, qui y voient une voie potentielle vers la stabilité régionale.

Pourtant, sous cette apparence, le plan ressuscite un spectre supposé depuis longtemps enterré dans les annales de la politique étrangère anglo-américaine : la notion d’une tutelle occidentale sur les terres palestiniennes, avec des zones économiques prêtes à accueillir les investissements du Golfe et, implicitement, l’accès à des richesses gazières offshore inexploitées.

Il ne s’agit pas là d’une simple fioriture diplomatique. En fait, la vision de Trump fait écho à ses propres déclarations antérieures, remontant à février 2025, lorsqu’il avait déclaré sans ambages que les États-Unis devaient « prendre le contrôle » de la bande de Gaza et la transformer en « Riviera du Moyen-Orient », l’Amérique « possédant » en quelque sorte le territoire.

En mai, lors d’une tournée dans le Golfe axée sur les accords énergétiques, le dirigeant américain a doublé la mise en lançant l’idée d’une « zone de liberté » dirigée par les États-Unis, dans laquelle les Palestiniens seraient réinstallés ailleurs tandis que Washington démantèlerait les infrastructures du Hamas et les reconstruirait avec des complexes hôteliers de luxe et des pôles créateurs d’emplois. Sans surprise, depuis février, les détracteurs qualifient ces propositions de nettoyage ethnique, bien que Trump les ait généralement balayées comme des accords pragmatiques.

Ces déclarations concordent avec les évaluations sous-estimées des services de renseignement américains qui soulignent que le gisement gazier  de Gaza Marine, estimé à 1,1 billion de pieds cubes de réserves, d’une valeur potentielle totale de 4 milliards de dollars, constitue un atout stratégique dans le contexte de la ruée européenne vers les énergies non russes.

Jusqu’à présent, Israël a bloqué l’exploitation du gisement par les Palestiniens, invoquant des risques pour la sécurité, mais le plan de Trump contourne habilement l’annexion totale par Israël, ouvrant plutôt la voie à une administration de type anglo-saxon qui pourrait canaliser les revenus par des voies internationales, profitant ainsi aux entreprises américaines et à des alliés comme l’Égypte, qui envisage la construction de gazoducs vers ses terminaux GNL.

On se souviendra que cette ingérence occidentale en Terre Sainte n’est pas sans précédent, et qu’elle est loin d’être anodine. En 1946, des militants sionistes de l’Irgoun, dirigés par un jeune Menahem Begin, ont fait exploser une bombe à l’hôtel King David de Jérusalem, alors centre névralgique administratif du mandat britannique, tuant 91 personnes afin de chasser le mandat britannique. Cet acte terroriste, qui s’inscrit dans le cadre d’une insurrection plus large contre la domination coloniale, illustre l’aversion profonde des sionistes pour la tutelle étrangère sur ce qu’ils considéraient comme un territoire juif naissant.

Huit décennies plus tard, le projet de Trump, approuvé par Blair, fait revivre ce spectre. Pour l’extrême droite de Tel-Aviv, qui défend depuis longtemps un « Grand Israël » englobant les couloirs bibliques de Gaza, cela ressemble à une ingérence néocoloniale occidentale. Bezalel Smotrich, leader du sionisme religieux radical et ministre des Finances, a déjà fait part de son inquiétude, mettant en garde contre toute dilution de la souveraineté israélienne. Bien qu’il ait accueilli avec prudence une partie de la proposition, il a dénoncé ce qu’il décrit comme « le fait de confier notre sécurité à des étrangers et l’illusion que quelqu’un d’autre fera le travail à notre place ».

Il n’est donc pas étonnant que Netanyahu ait promis de « finir le travail » si le Hamas refuse, rappelant ainsi que Jérusalem estime conserver l’avantage militaire, même si elle dépend de plus de 150 milliards de dollars d’aide américaine cumulée depuis 1948.

Pourtant, malgré tous les risques de collision, il existe pour l’instant une marge importante pour une certaine convergence. Le plan de Trump complète ses ambitions de février en externalisant l’image chaotique de l’occupation directe américaine à un consortium anglo-américain dirigé par Blair, tout en garantissant des étapes de démilitarisation qui protégeraient Israël. Le retrait progressif de l’armée israélienne, lié à la libération des otages dans les 72 heures et à la libération de 250 prisonniers palestiniens, répond aux conditions sine qua non de Netanyahu, notamment l’absence d’État palestinien et le maintien des périmètres de sécurité.

Dans ce qui semble être une réponse aux accusations de nettoyage ethnique, le document stipule explicitement que personne ne sera contraint de partir, bien que l’émigration volontaire vers la Jordanie ou l’Égypte soit « encouragée », ce qui correspond de toute façon aux fantasmes de l’extrême droite israélienne d’une enclave dépeuplée prête à accueillir des colonies. L’expert Michel Chossudovsky, dans son analyse de juin, avait déjà résumé succinctement cette tension : La volonté (initiale) de Trump de rebaptiser Gaza en tant que territoire américain – avec des casinos et des manoirs financés par les pétrodollars du Golfe – vise clairement à s’approprier le gaz de Gaza Marine, écartant ainsi le maximalisme du « Grand Israël » au profit de la domination énergétique américaine en Méditerranée orientale, comme je l’ai déjà écrit.

Le plan de Trump concerne moins la paix que le contrôle des ressources, et risque donc de compromettre le projet idéologique de Tel-Aviv. Il a également suscité l’indignation à Ramallah, où il a été qualifié de « farce » qui perpétue l’occupation sous une nouvelle forme.

Ce projet fait écho à l’occupation néocoloniale malheureuse de l’Irak, qui a transformé l’   e en un fiasco de 2 000 milliards de dollars et a fini par renforcer le pouvoir de l’Iran, précisément le croque-mitaine de Téhéran que Netanyahu presse maintenant Trump d’affronter.

Ici aussi, l’envie de Tel-Aviv de mener une guerre contre l’Iran se heurte au calcul de Washington, lassé par la guerre. L’envoyé de Trump, Steve Witkoff, a peut-être négocié le cessez-le-feu de janvier 2025, mais le fait d’utiliser le vote d’Israël à l’ONU contre l’aide à l’Ukraine a révélé à quel point l’actuelle présidence américaine est relativement déterminée à rééquilibrer les relations américano-israéliennes. Cette relation déjà complexe est encore compliquée par les subtilités de ce qu’on appelle « lobby » et les allégations d’espionnage/kompromat, le secteur de la défense étant également un acteur puissant dans cette équation.

Dans ce chaudron, la convergence en matière de sécurité et de ressources pourrait masquer des divisions sous-jacentes, mais la collision est imminente : une Gaza à l’américaine érode les revendications bibliques du Grand Israël, risquant de déclencher une révolte d’extrême droite à Tel-Aviv, sans parler de la mise à l’écart des dirigeants palestiniens.

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