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Peu de gens dans la région sont choqués par la participation discrète d’Ankara à l’offensive menée par les États-Unis pour démanteler le Hamas. Ce qui importe désormais, c’est jusqu’où Erdogan est prêt à aller pour prouver son utilité à Washington, au détriment de la résistance palestinienne.

Musa Ozugurlu

En marge des réunions de l’Assemblée générale des Nations unies qui ont scellé le sort de Gaza et du peuple palestinien, le président américain Donald Trump a rencontré la semaine dernière des dirigeants musulmans et arabes. Était-ce une coïncidence si le président turc Recep Tayyip Erdogan était assis juste à côté de Trump ?

Le 23 septembre, Trump a présenté son plan pour mettre fin à la guerre, appelant les dirigeants mondiaux à « cesser immédiatement la guerre à Gaza ». Une semaine plus tard, accompagné du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, il a présenté au monde une feuille de route en 20 points. Netanyahu a également été invité à présenter ses excuses aux dirigeants qataris pour sa tentative ratée, le 9 septembre, de cibler les dirigeants du Hamas à Doha, tout en exprimant ses regrets pour la mort d’un agent de sécurité qatari.

Le Qatar, allié majeur non membre de l’OTAN (MNNA), est réapparu en tant que médiateur désigné chargé de rétablir la « stabilité » à Gaza. Aux côtés de l’Égypte, il a présenté une proposition qui exige en fait le démantèlement du Hamas. Mais le rôle d’un autre État devient de plus en plus visible : la Turquie, membre de l’OTAN.

À la suite de l’annonce de Trump, le porte-parole du ministère qatari des Affaires étrangères, Majed al-Ansari, a souligné l’implication de la Turquie et la participation du chef des services de renseignement turcs, Ibrahim Kalin, aux réunions de Doha. Selon certaines sources, une longue session s’est tenue à Doha entre les dirigeants du Hamas et des responsables qataris, égyptiens et turcs afin d’examiner le plan et d’étudier les modifications possibles. Dans sa dernière réponse, le Hamas a déclaré que « le groupe avait encore besoin de temps pour étudier un plan pour Gaza », confirmant aux médiateurs que les consultations se poursuivaient.

Depuis le début de la guerre, l’objectif principal de Netanyahu est d’éliminer le Hamas. Assis juste à côté de Trump, Erdogan a limité ses critiques à l’égard de la guerre menée par Israël contre Gaza à quelques remarques prononcées devant l’Assemblée générale des Nations unies. Aujourd’hui, alors que les failles du plan de Trump visant à redessiner Gaza se précisent, le rôle probable de la Turquie dans ce projet américano-israélien devient de plus en plus difficile à ignorer.

Consensus arabe et réorganisation de Gaza

Le plan conjoint israélo-américain a deux objectifs principaux : une bande de Gaza sans le Hamas et une administration civile qui n’entravera pas les intérêts occidentaux. Si le Hamas accepte le plan, ses dirigeants seront contraints de quitter Gaza, qui sera alors ouverte aux investissements internationaux. La reconstruction de la bande de Gaza et l’exploitation de ses gisements de gaz offshore sont considérées comme des opportunités très lucratives.

Les États arabes ont largement accepté la « solution » de Washington. Contrairement à Erdogan, beaucoup d’entre eux considèrent le Hamas comme une partie du problème. Le bloc saoudien-égyptien-émirati, qui s’est déjà opposé à la Turquie et au Qatar au sujet des Frères musulmans, accueillerait favorablement toute initiative visant à éliminer le Hamas.

Juste après la révélation du plan de Trump, les ministres des Affaires étrangères de Turquie, de Jordanie, des Émirats arabes unis, d’Indonésie, du Pakistan, d’Arabie saoudite, du Qatar et d’Égypte ont publié une déclaration commune exprimant leur « confiance dans la volonté des États-Unis de trouver une voie vers la paix ».

Alors que le Qatar a officiellement qualifié le plan de Trump de « constructif mais nécessitant des négociations », Erdogan a salué « les efforts et le leadership » de Trump, ajoutant que « la Turquie continuera à contribuer au processus visant à instaurer une paix juste et durable acceptable pour toutes les parties ».

Selon Axios, qui cite deux sources impliquées dans les négociations, la Turquie, aux côtés du Qatar et de l’Égypte, a exhorté le Hamas à accepter l’accord. Cette initiative devrait accroître la pression sur le mouvement de résistance, qui aurait besoin d’un consensus avec toutes les autres factions palestiniennes à Gaza avant de donner une réponse officielle.

L’implication de la Turquie auprès de Trump et des États-Unis

Alors que le plan est mis en œuvre, les risques politiques sont assumés par la Turquie et le Qatar, qui semblent tous deux prêts à en supporter le poids.

La proximité du Qatar avec Washington et les monarchies du golfe Persique est bien établie. Les dirigeants du Hamas sont basés à Doha avec l’accord tacite de la région depuis qu’ils ont quitté Damas en 2012. En Turquie, cependant, le débat porte sur la position qu’adoptera Erdogan. Si une frappe israélienne sur le territoire turc est peu probable, les assassinats politiques restent une préoccupation majeure.

Alors, qu’est-ce qui déterminera la politique d’Erdogan sur la Palestine ? La clé réside dans les relations avec Washington. Les résultats de sa récente visite à la Maison Blanche suggèrent qu’Erdogan a les mains liées.

La Turquie est confrontée à l’une des crises économiques les plus graves de son histoire. Erdogan a jusqu’à présent réussi à éviter l’effondrement, mais l’aggravation de la situation affaiblit son influence sur la scène internationale.

Sur le plan intérieur, Erdogan est confronté à une incertitude politique. Il a intensifié sa répression contre ses rivaux, mais le recours au pouvoir de l’État n’a pas permis d’instaurer la stabilité qu’il recherche. Avant la visite d’Erdogan à Washington, l’ancien ambassadeur américain en Turquie et envoyé spécial en Syrie, Tom Barrack, s’est exprimé lors du sommet annuel Concordia 2025 en ces termes : « Le président Trump dit […] donnons-leur [au gouvernement Erdogan] ce dont ils ont besoin […] la légitimité. » Ankara a choisi de ne pas répondre à cette condescendance.

Tout comme Trump est revenu du golfe Persique en mai avec des contrats d’investissement de plusieurs centaines de milliards de dollars, la visite d’Erdogan au Bureau ovale comprenait un accord global : 225 avions de ligne Boeing, un accord entre les États-Unis et la Turquie sur le GNL qui sape les relations avec la Russie, et même un mémorandum sur l’énergie nucléaire. Mais contrairement aux États du golfe Persique, la Turquie peut-elle se permettre de dépenser aussi généreusement aux États-Unis ?

Erdogan pourrait-il défier Trump sur Gaza comme il l’a fait sur la Syrie ? A-t-il seulement une marge de manœuvre ?

Aucun contrôle sur Netanyahu

Il apparaît de plus en plus clairement qu’il n’existe aucun mécanisme permettant d’arrêter Trump et Netanyahu. Les capitales occidentales, restées silencieuses pendant plus d’un siècle de spoliation, de Balfour à aujourd’hui, se sont soudainement alignées pour reconnaître un État palestinien, un geste dénué de substance.

À l’instar des monarchies arabes, les États occidentaux envisagent une Palestine sans le Hamas ni d’autres factions de résistance. Ils préfèrent un leadership « passif » comme celui de l’Autorité palestinienne (AP) de Mahmoud Abbas, dont le mandat a expiré depuis longtemps.

Même cela est trop pour Israël. Alors que la légitimité du vieillissant Abbas est contestée même parmi les Palestiniens, Trump a maintenant concocté un « Conseil de paix » pour Gaza, mettant en vedette nul autre que l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair – un homme synonyme de la dévastation de l’Asie occidentale moderne, principalement l’invasion illégale de l’Irak menée par les États-Unis et le Royaume-Uni en 2003.

Si le plan de Trump pour Gaza est mis en œuvre, la Palestine sera effectivement gouvernée par un axe États-Unis-Israël-Royaume-Uni, rappelant l’époque du mandat britannique. Parmi ceux qui approuvent cette formule figurent les États arabes qui cherchent à s’attirer les faveurs de Trump, ainsi qu’Erdogan, qui souhaite rétablir ses relations avec Washington.

Le bilan réel d’Erdogan sur la Palestine reste controversé. Compte tenu de son soutien historique aux Frères musulmans et au Hamas, son rôle potentiel dans le démantèlement du mouvement est un revirement ironique.

À la suite de l’annonce de Trump, une question clé se pose : les déclarations d’Erdogan sur la Palestine trouvent-elles un écho dans les capitales arabes et occidentales, voire parmi les Palestiniens et le Hamas ?

Lorsqu’un cessez-le-feu a brièvement été instauré en janvier 2025, Abu Obeida, ancien porte-parole militaire des Brigades Qassam, a remercié les groupes de résistance au Liban, en Irak et au Yémen, en mettant en avant le Hezbollah, Ansarallah et un seul acteur étatique : l’Iran. Le gouvernement de Sanaa au Yémen manque de légitimité internationale, bien qu’il gouverne les provinces les plus densément peuplées du pays.

Les États occidentaux n’ont également montré aucun intérêt à impliquer la Turquie en tant que médiateur sur la question palestinienne. Les négociations d’après-guerre se sont concentrées sur l’Égypte et le Qatar, en partie parce que la Turquie est considérée comme ayant pris parti de manière trop ouverte.

La diplomatie d’Erdogan implique depuis longtemps un engagement non seulement avec les États, mais aussi avec des organisations et des individus. Le Hamas est l’un de ces groupes et est désormais considéré comme une entité négociable dans la diplomatie régionale. La véritable question est la suivante : quelle est la valeur de l’influence de la Turquie sur le Hamas dans le contexte actuel ?

La Turquie pourrait être invitée à faciliter la coopération du Hamas, non pas en lui garantissant une place à la table des négociations, mais en aidant à relocaliser ses dirigeants.

Trump a lancé un ultimatum sans détour, donnant au Hamas « trois ou quatre jours » pour répondre à son dernier plan de paix. « Le Hamas va soit accepter, soit refuser, et s’il refuse, cela se terminera très mal », a-t-il ajouté.

Trump et Netanyahu se préparent à toutes les issues possibles. Ils semblent avoir choisi la Turquie pour offrir une issue au Hamas, et Erdogan semble avoir accepté cette tâche dans le cadre de ses récentes négociations avec la Maison Blanche.

En février 2025, Erdogan avait déclaré : « Les propositions avancées par la nouvelle administration américaine concernant Gaza sous la pression du lobby sioniste ne méritent pas d’être prises en considération ou discutées de notre point de vue. »

Cette position semble avoir changé après sa visite à Washington.

Erdogan a été critiqué par l’opposition turque pour ne pas avoir défendu la flottille Sumud comme l’a fait l’Espagne. Il semble désormais prêt à promouvoir un discours « pacifiste » et une voie plus centriste. Un récent accord de coopération entre la Turquie et l’UNRWA soulève des questions : impliquera-t-il la réinstallation des dirigeants du Hamas ou d’autres Palestiniens en Turquie ? Si le plan de Trump est mis en œuvre, combien de responsables du Hamas ou de Palestiniens la Turquie accueillera-t-elle, et quelles mesures Ankara prendra-t-elle pour les contenir ?

Le Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Qatar, Mohammed bin Abdulrahman Al-Thani, s’est exprimé mardi au sujet des pourparlers et du plan de Trump, déclarant que « les détails doivent être discutés ». Il n’a pas précisé lesquels des 20 points étaient sujets à discussion.

Pour le Qatar, la question clé n’est pas de savoir comment Gaza sera gouvernée ou comment les Palestiniens vivront, mais qui accueillera les dirigeants déplacés du Hamas – et si le Qatar devra les accueillir à nouveau. Pour ceux qui cherchent à réduire la cause palestinienne au sort du Hamas, Gaza est devenue un fardeau. Dans cette nouvelle réalité, la Turquie semble prête à « se tourner vers l’avenir ».

Ankara se concentre désormais sur trois domaines clés : la reconstruction de Gaza, l’obtention d’un rôle dans tout organe de gouvernement d’après-guerre et l’accueil des dirigeants du Hamas sur son territoire, qui pourraient servir de monnaie d’échange à l’avenir.

Dans le même temps, Erdogan espère consolider son pouvoir national, faire avancer ses objectifs en Syrie et préserver le rôle de figures clés telles que l’ancien commandant d’Al-Qaïda devenu président, Ahmad al-Shara. Toutes les voies mènent désormais à la Maison Blanche. Bien que la cause palestinienne puisse encore avoir un poids idéologique pour Erdogan, celui-ci semble prêt à accepter les réalités du terrain.

The Cradle