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Le National Press Club of Australia a annulé ma conférence sur la manière dont les médias, en amplifiant les mensonges israéliens, ont trahi les journalistes palestiniens, dont 278 ont été assassinés par Israël.

Chris Hedges

Son marchand préféré – par M. Fish (clowncrack.com)

Je devais donner une conférence au National Press Club of Australia le 20 octobre intitulée « La trahison des journalistes palestiniens ». Elle devait porter sur l’amplification des mensonges israéliens dans la presse, que la plupart des journalistes savent être des mensonges, trahissant leurs collègues palestiniens qui sont calomniés, pris pour cible et tués par Israël. Mais, prouvant peut-être involontairement mon propos, le directeur général du club de presse, Maurice Reilly, a annulé l’événement. L’annonce de ma conférence a disparu du site web. Reilly a déclaré « que dans l’intérêt de l’équilibre de notre programme, nous retirons notre offre ».

L’ambassadeur israélien, le lieutenant-colonel à la retraite Amir Maimon, qui a passé 14 ans dans l’armée israélienne, serait pressenti pour prendre la parole.

Il est vrai que je ne connais qu’un seul côté de la médaille, après avoir passé sept ans à couvrir Gaza. J’ai été victime des attaques israéliennes, notamment des bombardements de l’armée de l’air et des tirs des snipers, dont l’un a tué un jeune homme à quelques mètres de moi au carrefour de Netzarim. Nous l’avons soulevé, chacun tenant un bras ou une jambe, et nous avons avancé péniblement sur la route, son corps se balançant comme un sac lourd. J’ai vu de jeunes garçons provoqués et abattus par des soldats israéliens dans le camp de réfugiés de Khan Younis, à Gaza. Les soldats les ont insultés en arabe à travers les haut-parleurs de leur jeep blindée. Les garçons, âgés d’environ 10 ans, ont alors jeté des pierres sur un véhicule israélien et les soldats ont ouvert le feu, tuant certains d’entre eux et en blessant d’autres.

J’ai été témoin à plusieurs reprises de tirs des troupes israéliennes sur des enfants palestiniens. Dans le lexique israélien, de tels incidents sont qualifiés d’enfants pris entre deux feux. J’étais à Gaza lorsque des avions de combat F-16 ont bombardé des taudis surpeuplés dans la ville de Gaza. J’ai vu les cadavres des victimes, dont des enfants. Cela est devenu une frappe chirurgicale contre une usine de fabrication de bombes. J’ai vu Israël démolir des maisons et des immeubles entiers afin de créer de larges zones tampons entre les Palestiniens et les troupes israéliennes qui encerclent Gaza. J’ai interviewé des familles démunies et sans abri, certaines campant dans des abris de fortune érigés dans les décombres. La destruction devient la démolition des maisons de terroristes. Je me suis tenu dans les ruines d’écoles, de cliniques médicales et de mosquées et j’ai compté les corps. J’ai entendu Israël affirmer que des roquettes ou des tirs de mortier errants provenant des Palestiniens avaient causé ces morts et d’autres, ou que les bâtiments étaient utilisés comme dépôts d’armes ou sites de lancement.

Comme tous les autres reporters que je connais qui ont travaillé à Gaza, y compris les plus de 278 journalistes et professionnels des médias palestiniens qui ont été tués par Israël depuis le début du génocide, souvent dans le cadre d’assassinats ciblés, j’ai rendu compte d’une réalité à Gaza qui n’a rien à voir avec celle décrite par les politiciens israéliens, leur armée et de nombreux médias qui servent de caisse de résonance à Israël.

Le lieutenant-colonel Maimon peut évidemment, s’il le souhaite, nous éclairer sur le programme basé sur l’intelligence artificielle connu sous le nom de « Lavender » et sur la manière dont il sélectionne les personnes, ainsi que leurs familles, à Gaza pour les assassiner. Il peut expliquer comment Israël détermine les quotas de morts civiles, comment les soldats sont autorisés à tuer jusqu’à 20 civils pour cibler un combattant palestinien et des centaines pour un commandant du Hamas. Il peut nous expliquer pourquoi Israël poursuit ses massacres alors qu’une base de données interne des services de renseignement israéliens indique qu’au moins 83 % des Palestiniens tués sont des civils. Il peut nous dire comment des civils palestiniens sont enlevés, vêtus d’uniformes de l’armée israélienne, ont les mains liées, puis sont contraints de marcher comme boucliers humains devant les troupes israéliennes dans des bâtiments et des tunnels souterrains potentiellement piégés. Il peut expliquer comment l’unité spéciale appelée « cellule de légitimation » mène des campagnes de propagande pour présenter les journalistes palestiniens comme des agents du Hamas afin de justifier leur assassinat. Il peut détailler les ciblage, les bombardements et les démolitions contrôlées qui ont endommagé ou détruit 97 % du système éducatif de Gaza, y compris toutes les universités et presque tous les hôpitaux. Il peut expliquer comment, après qu’Israël a bloqué toute aide humanitaire le 2 mars afin d’affamer les Palestiniens de Gaza, les responsables israéliens ont mis en place la soi-disant Fondation humanitaire de Gaza afin d’attirer les Palestiniens émaciés et mal nourris vers quatre centres d’aide dans le sud — des centres d’aide disposant de peu de nourriture et que Human Rights Watch qualifie de « pièges mortels » et Médecins sans frontières d’« assassinats orchestrés ». Ces centres, ouverts seulement une heure, généralement à 2 heures du matin, garantissent une ruée chaotique pour quelques miettes de nourriture. Les soldats israéliens, accompagnés de mercenaires américains, dont des membres du Infidels Motorcycle Club, un groupe de motards se déclarant anti-« djihadistes radicaux » et comptant parmi ses rangs des membres tatoués de croix de croisade, tirent à balles réelles sur la foule, tuant plus de 1 400 Palestiniens et en blessant des milliers d’autres dans et autour des centres d’aide depuis mai. Il peut exposer les plans des camps de concentration dans le sud de Gaza et les efforts visant à expulser définitivement les Palestiniens de Gaza et à repeupler la région avec des colons juifs. Il peut expliquer pourquoi Israël a abandonné ses propres otages, pourquoi il a tiré sur des véhicules se dirigeant vers la bande de Gaza le 7 octobre et transportant des captifs israéliens, et pourquoi il a utilisé des missiles Hellfire pour détruire le poste-frontière d’Erez lorsqu’il a été pris par des combattants palestiniens, sachant que des dizaines de soldats israéliens se trouvaient à l’intérieur.

Si le lieutenant-colonel Maimon s’exprimait avec cette honnêteté et cette franchise, nous pourrions parler d’équilibre. Cela compléterait une partie de l’équation que j’entrevois de l’extérieur. Cela bouclerait la boucle. Cela permettrait de confronter la vérité à la vérité.

Mais le lieutenant-colonel Maimon, d’après ses déclarations passées, va débiter les récits mensongers utilisés par Israël pour justifier le génocide : le Hamas utilise les Palestiniens comme boucliers humains, il opère des centres de commandement dans les hôpitaux, il a agressé sexuellement des femmes israéliennes le 7 octobre et décapité des bébés. Il affirmera à tort qu’Israël « a le droit de se défendre », ignorant le fait que le Hamas et les autres groupes de résistance palestiniens, qui ne disposent ni d’armée de l’air, ni d’unités mécanisées, ni d’artillerie, ni de marine, ni de flottes de drones et de missiles militarisés, ne constituent aucune menace existentielle pour Israël. Plus important encore, il ne mentionnera pas la violation flagrante du droit international par Israël, qui occupe et installe des colons sur les terres palestiniennes et mène un génocide retransmis en direct.

Ce n’est pas de l’équilibre, à moins que nous n’acceptions un monde où la vérité est contrebalancée par des mensonges. C’est un abandon de la mission fondamentale des journalistes : demander des comptes au pouvoir. Mais le plus grave, c’est que c’est une terrible trahison envers nos collègues de Gaza qui ont été tués pour avoir relaté la sauvagerie quotidienne à Gaza, pour avoir fait leur travail.

Il ne fait aucun doute que les sponsors et les riches donateurs du club de presse sont satisfaits. Il ne fait aucun doute que le club est capable de se dérober à son intégrité journalistique. Il ne fait aucun doute qu’il est épargné des attaques qui auraient suivi si on m’avait laissé m’exprimer.

Mais ayez au moins la décence de retirer le mot « presse » du nom de votre club.

The Chris Hedges Report