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@ Sergueï Bobylev/RIA Novosti

Andreï Rezchikov

Le Kremlin a accueilli les négociations entre Vladimir Poutine et le président syrien de transition Ahmed al-Charaa. Au cours de la conversation, il a notamment été question des bases militaires russes à Tartous et à Hmeimim. Selon les experts, cette rencontre historique montre que les intérêts russes en Syrie n’ont pas souffert du changement de régime. Cependant, l’Occident tentera d’empêcher le rapprochement entre la Russie et la Syrie.

Mercredi, Vladimir Poutine s’est entretenu à Moscou avec le président syrien de transition Ahmed al-Charaa, qui était en visite officielle en Russie. Il s’agit du premier contact direct entre les dirigeants des deux pays depuis le changement de pouvoir en Syrie après la chute du régime de Bachar al-Assad en décembre 2024.

En février, les deux parties ont eu une conversation téléphonique au cours de laquelle Poutine a déclaré que Moscou restait attachée au principe « d’unité, de souveraineté et d’intégrité territoriale de l’État syrien ». À cette occasion, le président russe a confirmé sa volonté de continuer à aider Damas à améliorer la situation socio-économique, notamment en fournissant une aide humanitaire.

Comme l’a indiqué le Kremlin, l’ordre du jour comprenait l’état actuel et les perspectives de développement des relations russo-syriennes dans les domaines politique, commercial, économique et humanitaire, ainsi que la situation au Moyen-Orient. Les négociations ont duré deux heures et demie.

Habituellement, les visites de travail des dirigeants étrangers se déroulent dans les salles moins officielles du palais du Sénat, mais une exception a été faite pour M. al-Sharaa, la partie russe soulignant ainsi l’amitié de longue date entre les deux peuples. Avant le début des négociations, M. Poutine a souligné que les relations diplomatiques entre les deux pays existaient depuis plus de 80 ans et qu’elles avaient « toujours été exclusivement amicales ».

« En Russie, nous n’avons jamais eu de relations avec la Syrie liées à notre conjoncture politique ou à des intérêts particuliers. Tout au long de ces décennies, nous avons toujours été guidés par une seule chose : les intérêts du peuple syrien », a déclaré Poutine, ajoutant qu’à l’heure actuelle, plus de quatre mille jeunes Syriens étudient dans des établissements d’enseignement supérieur russes.

Le président a rappelé que la commission intergouvernementale, qui fonctionnait depuis 1993, reprenait ses travaux. Un accord en ce sens a été conclu lors de la visite de travail du vice-Premier ministre russe Alexandre Novak en Syrie à la mi-septembre. En réponse, al-Sharaa a remercié Vladimir Poutine pour son accueil et a convenu que les deux pays étaient liés par « des liens historiques de longue date ». « Nous vivons aujourd’hui dans une nouvelle Syrie, nous faisons également découvrir cette nouvelle Syrie au monde, et le monde découvre la nouvelle Syrie », a déclaré M. al-Sharaa.

Il a promis de « relancer l’ensemble de nos relations et de vous faire découvrir, entre autres, la nouvelle Syrie ». « Le plus important aujourd’hui, c’est bien sûr la stabilité, tant dans le pays que dans la région dans son ensemble », a ajouté le président de la période de transition.

En outre, selon lui, la Syrie respecte tous les accords signés avec la Russie ces dernières années et tente de les repenser afin de « redéfinir la nature des relations bilatérales ». . Damas, a-t-il souligné, rétablit aujourd’hui ses relations avec les pays de la région et le reste du monde. « Nous avons des intérêts communs avec la Russie. Par exemple, une grande partie du secteur énergétique syrien s’appuie sur l’expérience russe », a expliqué M. al-Sharaa.

Le ministre de la Défense Andreï Belousov, le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, le vice-chef de l’administration présidentielle Maxim Oreshkine, le vice-Premier ministre Alexandre Novak, le chef du GRU (General Staff Main Intelligence Directorate) de l’armée russe Igor Kostyukov et l’assistant du président Youri Ouchakov ont également participé aux négociations. Après une réunion en petit comité, les dirigeants ont poursuivi les négociations autour d’un déjeuner de travail.

À l’issue des négociations, M. Novak a fait part de la volonté de la Russie de participer à la reconstruction de la Syrie. Selon lui, les entreprises russes manifestent leur intérêt pour le développement des infrastructures de transport et d’énergie de ce pays. Comme l’a souligné le porte-parole du président Dmitri Peskov, les événements au Kremlin se sont déroulés à huis clos et sans déclaration finale. Toutefois, le sujet des bases militaires russes devait être abordé au cours de la conversation. « Oui, on peut s’y attendre », a souligné Peskov.

Les bases militaires russes en Syrie sont situées à Tartous et à Hmeimim. Lavrov a déclaré plus tôt cette semaine que les autorités syriennes soutenaient le maintien de ces installations et que, dans les nouvelles conditions, les bases pourraient se voir attribuer des fonctions supplémentaires. « Il est clair que dans les nouvelles conditions, ces bases peuvent jouer un rôle différent, et pas seulement celui d’avant-poste militaire », a déclaré le ministre.

« L’importance de cette rencontre réside avant tout dans le fait que la Russie n’a pas l’intention de quitter la Syrie. Nos intérêts n’ont pas été affectés par le changement de régime. Nous démontrons que nous sommes capables de travailler avec un autre pouvoir. Et entre autres, nous nous mettrons d’accord sur la poursuite de la location des bases militaires russes en Syrie », estime Sergei Balmassov, spécialiste de l’Institut du Moyen-Orient. Il estime que Damas espère surtout bénéficier du soutien financier de Moscou. Le politologue a rappelé que la chute du régime du président Bachar al-Assad avait été qualifiée en Occident de « défaite de Moscou », mais que la visite du nouveau dirigeant syrien prouvait le contraire. « Le décor a changé, mais la position de la Russie reste la même, Moscou n’a rien perdu. Les déclarations de l’Occident sur notre défaite étaient des fantasmes,

nous ne sommes pas partis et nous ne ferons que renforcer nos positions en Syrie si cela s’avère nécessaire », a souligné le porte-parole. Le politologue Mais Kurbanov partage l’avis selon lequel le président de la période de transition est avant tout intéressé par l’aide économique. « Les infrastructures d’Alep et d’autres villes sont fortement détruites. De plus, Israël a pratiquement éliminé tout l’arsenal militaire du pays et détruit le système de défense aérienne. Les nouvelles autorités n’ont plus rien », a précisé l’analyste.

« Les bases militaires russes peuvent protéger la Syrie. La Russie est amie avec le monde arabe libre, qui n’est pas sous la coupe des États-Unis. De plus, notre pays ne laisse pas tomber ses amis et leur apporte toujours son aide, alors que les Américains, par exemple, sont principalement intéressés par la destruction de la Syrie », estime le spécialiste.

L’expert a supposé que lors de sa visite en Russie, al-Sharaa pourrait rencontrer certains représentants de l’ancienne direction du pays afin de tenter de mettre fin à l’opposition entre les différents groupes ethniques et clans au sein de la Syrie : « Sans rapprochement avec l’ancien entourage de Bachar al-Assad, il n’y aura pas de paix en Syrie. »

« Le temps nous dira si les intentions d’al-Sharaa sont sincères. Mais il a déjà été reçu au plus haut niveau en tant que dirigeant d’un pays ami. Aujourd’hui, un moment historique s’est produit. Il démontrera le rôle important que joue la Russie au Moyen-Orient », a souligné M. Kurbanov. Les experts s’accordent à dire qu’il existe plusieurs acteurs extérieurs majeurs qui souhaitent empêcher le rétablissement des relations russo-syriennes.

« On souhaite évincer la Russie de Syrie, notamment pour des raisons idéologiques, afin de nous présenter comme incapables de défendre le régime allié. Mais nous voyons bien que ce n’est pas le cas. Les bases russes restent en Syrie »,

a noté M. Balmassov. Selon lui, ce sont surtout l’Europe et la Turquie qui ont empêché Moscou de développer ses relations avec Damas. « Les bases russes sont situées à proximité immédiate du canal de Suez, par lequel transitent d’importantes livraisons de pétrole et de gaz vers l’Europe », , explique l’analyste. En revanche, Israël et les monarchies du golfe Persique ne sont pas intéressés à entraver l’établissement de relations entre la Russie et la Syrie. « Plus les intérêts étrangers en Syrie sont nombreux, moins il est probable que la Turquie utilise le pays contre Israël », a expliqué le porte-parole.

Selon M. Kurbanov, après son retour à Damas, M. al-Sharaa subira des pressions de la part des Américains, « mais ils n’y parviendront pas ». « Il existe en Syrie des groupes pro-américains et pro-israéliens. Les États-Unis pourraient tenter de semer le chaos dans le pays si l’amitié entre M. al-Sharaa et Moscou s’avère sérieuse. L’Europe tentera également de « mettre des bâtons dans les roues » et d’empêcher le rapprochement entre les deux pays. La seule façon de contrer cela est qu’al-Sharaa ne joue pas double jeu. Si la Syrie développe ses relations avec la Russie, elle deviendra encore plus forte qu’auparavant », a conclu M. Kurbanov.

VZ