André Larané
17 octobre 2025. Deux ans après la dissolution malvenue de l’Assemblée législative par le président Emmanuel Macron (9 juin 2024), le microcosme politique parisien n’en finit pas de s’agiter, tel une mouche dans un bocal. Dans l’indifférence et la résignation, les Français observent de loin leur sixième ou septième gouvernement en vingt-deux mois, un record historique jamais égalé dans les siècles antérieurs…
• Le 9 janvier 2024, Gabriel Attal a remplacé Élisabeth Borne à Matignon,
• Le 5 septembre 2024, il a cédé la place à Michel Barnier,
• Le 13 décembre 2024 est arrivé François Bayrou,
• Le 9 septembre 2025, ce fut le tour de Sébastien Lecornu,
• Le 6 octobre 2025, suite à un coup de gueule de Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, Sébastien Lecornu renonce à changer son équipe et remet sa démission,
• Le 10 octobre 2025, il est reconduit à Matignon par le président de la République.
D’aucuns voient dans cette instabilité politique l’inaptitude des députés français à tisser des compromis comme leurs voisins européens, installés dans des régimes franchement parlementaires, où le chef de l’exécutif est non pas élu au suffrage universel mais issu des rangs de la coalition majoritaire au Parlement.
La première idée qui vient alors à l’esprit est une réforme du scrutin qui permettrait une plus juste représentation des citoyens à l’Assemblée et conduirait les états-majors des partis à se rapprocher les uns des autres selon leurs affinités politiques.
Ainsi revient dans le débat public l’appel à un scrutin proportionnel tel que les citoyens voteraient sur des listes départementales ou régionales, avec au final pour chaque liste un nombre d’élus proportionnel à son résultat en voix.
Le président François Mitterrand avait déjà instauré la proportionnelle aux législatives de mars 1986 pour tenter d’enrayer le recul de son camp promis par les sondages. Il permit en fin de compte au parti d’extrême-droite de Jean-Marie Le Pen, le Front National, de faire une entrée fracassante à l’Assemblée avec 10% des voix et 35 sièges sur 577.
Qu’en eut-il été aux législatives de l’été 2024 avec la proportionnelle ? Les résultats eussent-ils été différents et propices à des coalitions respectables ?
Élections législatives en France les 30 juin et 7 juillet 2024 :
| Principaux groupes politiques | 1er tour | Sièges obtenus | après le 2e tour |
| % des suffrages | nombre | % sur 577 | |
| Nouveau Front Populaire (NFP) | 29% | 193 | 33% |
| Ensemble (Majorité présidentielle) | 22% | 166 | 29% |
| Rassemblement National (RN) et alliés | 33% | 142 | 25% |
| Les Républicains (LR) | 8% | 47 | 8% |
Le tableau ci-dessus montre que la gauche représente près d’un tiers de l’électorat, en incluant La France Insoumise (LFI), les socialistes, les écologistes et les communistes. Le bloc central (majorité présidentielle) représente un petit quart de l’électorat. Enfin les droites représentent plus de 40% de l’électorat.
Le plus intéressant, à la lumière de ce tableau, c’est que dans l’hypothèse d’un scrutin à la proportionnelle, la répartition des sièges n’aurait pas été sensiblement différente de ce qu’elle est aujourd’hui :
• La gauche et la majorité présidentielle auraient eu moins de députés,
• Quant à la droite radicale, elle en aurait eu davantage (un tiers au lieu d’un quart) sans pour autant pouvoir constituer une majorité parlementaire, même avec l’appoint de LR !
La confusion n’en aurait été que plus grande, dès lors que tous les partis, y compris à droite, refusent de travailler avec le RN.
La démocratie trahie par ses représentants
C’est bien là le nœud du problème démocratique, tel qu’il ressort du discours de politique générale prononcé par Sébastien Lecornu à l’issue de la formation de son deuxième gouvernement.
Le Premier ministre a voulu à tout prix éviter que 289 députés (la moitié + 1 des 577 députés) votent une motion de censure, ce qui l’aurait contraint à démissionner une nouvelle fois et n’aurait plus laissé au président de la République que la faculté de dissoudre l’Assemblée ou de se démettre.
Comme il n’était pas question pour le Premier ministre de discuter avec le RN et ses 142 députés, il a dû discuter avec les socialistes pour s’assurer la bienveillance d’au moins 289 députés dans une « Assemblée-croupion » de 435 députés.
Il a ainsi échappé à la censure au prix d’importantes concessions sur le budget et du reniement des engagements sur lesquels se sont faits élire les députés de la majorité présidentielle et de la droite (retraites, impôts, sécurité, immigration, etc.).
On est ici loin des compromis et des accords de coalition habituels aux régimes parlementaires avec des concessions réciproques d’un camp et de l’autre. Tout ce qu’ont obtenu la majorité présidentielle et la droite, c’est un sursis avant des élections-couperet.
Les observateurs ont pu s’étonner qu’au lendemain de ce basculement à gauche, la Bourse ait pu gagner des points et les taux d’intérêt très légèrement baisser. Cela peut s’expliquer par le fait que les milieux d’affaires français, européens et internationaux souhaitent avant toute chose que la France reste arrimée à l’Europe de Maastricht et à la « mondialisation heureuse ».
Il ne s’agit pas que des trouble-fête viennent contester le traité de libre-échange avec le Mercosur (Amérique latine) qui aggravera la situation des paysans français (et des consommateurs) avec l’importation d’aliments produits à bas coût et sans garanties sanitaires et environnementales…
Plus gravement, on peut suspecter les milieux d’affaires de préférer une France déconfite et surendettée à une France forte et solide ! Ainsi sera-t-elle moins encline à résister à l’emprise croissante de la Commission européenne sur les grands enjeux politiques, économiques et stratégiques.
Les grands patrons n’ont rien à craindre pour leur part d’un appauvrissement de la France. Protégés par les traités européens et la monnaie unique, il leur sera toujours facile d’exfiltrer leurs capitaux et leurs usines (ou du moins ce qu’il en reste).
Il est possible aussi que la gauche radicale représentée par Jean-Luc Mélenchon, leader de La France insoumise (LFI), ne soit pas chagrinée par l’orage qui menace. Si fou que cela paraisse, elle pourrait y trouver la révolution qu’elle appelle de ses vœux !…
Je voudrais me tromper là-dessus. Mais la violence manifestée par le « cercle de la raison » depuis le rejet par les citoyens du traité constitutionnel européen (29 mai 2005) me fait craindre que la démocratie aura de plus en plus de difficulté à se faire entendre.