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Andrew Korybko

Le rôle de la Pologne dans l’approvisionnement en GNL américain de l’Europe centrale et orientale devrait éroder l’influence de l’Allemagne dans cette région et accélérer le rétablissement du statut de grande puissance perdu par la Pologne.

Le Conseil européen a décrété que l’importation de gaz russe serait interdite dans toute l’Union européenne l’année prochaine, mais avec des délais de grâce variables pour les pays ayant des contrats à court et à long terme, dont le plus long durera jusqu’au 1er janvier 2028. Le Conseil a précédemment admis que le gaz acheminé par gazoduc et le GNL représentaient ensemble un peu moins d’un cinquième des importations de l’Union européenne l’année dernière. Il convient également de mentionner que l’UE continue d’importer du pétrole russe, y compris indirectement, ce qui s’est avéré tout aussi scandaleux.

Néanmoins, les projets de l’UE visant à supprimer progressivement le cinquième restant de ses importations de gaz russe affaibliront encore davantage son économie en conduisant à leur remplacement par du GNL américain plus coûteux, ce qui entraînera, comme on peut s’y attendre, une répercussion des coûts sur les consommateurs. Cela était également tout à fait prévisible, puisque l’UE a accepté d’acheter pour 750 milliards de dollars d’énergie américaine d’ici 2028, conformément aux termes de l’accord commercial déséquilibré conclu l’été dernier, qui, selon notre analyse, a fait de l’UE le plus grand État vassal que les États-Unis aient jamais eu.

L’Allemagne devrait être le pays le plus touché par cette évolution en termes de politique intérieure et de géostratégie. En ce qui concerne le premier aspect, une baisse plus importante du niveau de vie causée par la répercussion sur les consommateurs du coût plus élevé du GNL américain pourrait accélérer la montée en puissance de l’AfD, ce qui entraînerait des changements politiques importants si ce parti parvenait à former un gouvernement. Même s’il est écarté du pouvoir, une ingérence aussi flagrante de la part des élites pourrait aggraver la polarisation politique et les tensions qui y sont associées.

En ce qui concerne la géostratégie allemande, la Pologne, avec laquelle l’Allemagne est en concurrence pour exercer son influence sur l’Europe centrale et orientale (ECO), est en passe de jouer un rôle complémentaire dans l’approvisionnement de la Tchéquie et de la Slovaquie en GNL américain via le terminal de Swinoujscie et celui prévu à Gdansk. L’Ukraine sera également approvisionnée. Ces pays se trouvent dans la sphère d’influence que la Pologne envisage de créer lors du rétablissement de son statut de grande puissance perdu. La Tchéquie et la Slovaquie font également partie du groupe de Visegrad avec la Pologne.

La Hongrie en est également membre et pourrait être approvisionnée en GNL américain via la Pologne ou le terminal croate de Krk, dont l’extension est l’un des projets prioritaires de l’« Initiative des trois mers » (3SI) cofondée par la Pologne et la Croatie en 2015, mais désormais dirigée par Varsovie. Si l’Allemagne exerce une influence beaucoup plus importante sur les PECO en raison de son statut de leader de facto de l’UE et de sa position de première économie, l’influence de la Pologne sur ces pays augmente grâce à son futur rôle dans l’approvisionnement en GNL américain, ce qui pourrait un jour les éloigner de Berlin.

La géopolitique énergétique joue un rôle important dans la géostratégie, de sorte que l’impact de la tendance susmentionnée ne doit pas être sous-estimé si elle continue à se développer. Dans ce cas, la tendance générale serait le déclin probable de l’influence allemande sur les PECO, largement facilité par la participation volontaire de l’Allemagne au régime de sanctions anti-russes des États-Unis, puis par l’attaque terroriste contre Nord Stream, qui l’a poussée au-delà du point de non-retour. Avec le recul, ces événements pourraient être considérés comme le début d’un nouvel ordre régional dans les PECO.

Alors que l’Allemagne pensait infliger une défaite stratégique à la Russie, ce sont finalement les États-Unis qui ont infligé une défaite stratégique à l’Allemagne en créant les conditions propices au déclin économique de son seul concurrent occidental. Avec la Pologne, dont le retour au statut de grande puissance soutenu par les Anglo-Américains crée opportunément un fossé régional entre l’Allemagne et la Russie, les États-Unis sont en train de remodeler l’Europe sur le plan géostratégique aux dépens de l’Allemagne afin de faciliter le confinement de la Russie après l’Ukraine.

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