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Gaza, Inde, Palestine, Plan de paix pour Gaza, Ranjan Solomon
par le Dr Ranjan Solomon
L’absence de Modi au sommet de Gaza marque un changement discret mais lourd de conséquences dans l’identité mondiale de l’Inde
Lorsque les dirigeants mondiaux se sont réunis en Égypte le mois dernier pour délibérer sur le cessez-le-feu à Gaza et définir une réponse humanitaire, la chaise vide du Premier ministre Narendra Modi en disait plus long que n’importe quel discours. L’Inde n’était pas représentée par son dirigeant, mais par un ministre subalterne, ce qui constituait un affaiblissement manifeste de sa présence à un moment où le nombre de victimes civiles à Gaza avait atteint des niveaux catastrophiques.
La déclaration officielle de l’Inde a répété sa formule habituelle : soutien à une « solution à deux États », appel à la retenue, condamnation du terrorisme et préoccupation pour la vie des civils. Pourtant, la diplomatie est autant une question de symbolisme que de substance. En boycottant le sommet de paix du Caire, Modi a fait une déclaration – une déclaration de calcul politique et d’esquive morale.
Pendant des décennies, l’Inde a été la voix morale de la décolonisation et du Mouvement des pays non alignés. Jawaharlal Nehru parlait de la Palestine comme d’une question de justice, et non de religion. L’Inde a été l’un des premiers pays hors du monde arabe à reconnaître l’Organisation de libération de la Palestine et à accorder le statut diplomatique à part entière à sa mission à New Delhi en 1980. Cette absence a marqué un recul de l’empreinte morale de l’Inde.
Aujourd’hui, ce vocabulaire moral a été remplacé par un pragmatisme transactionnel. L’absence de Modi est emblématique d’un gouvernement qui considère la politique étrangère sous l’angle de la perspective nationale et de l’influence stratégique, et non sous celui de la cohérence éthique. La proximité cultivée par son gouvernement avec Israël, qui s’est intensifiée depuis la visite de Modi à Tel-Aviv en 2017, la première d’un Premier ministre indien, s’est faite au détriment de la cause palestinienne, qui ne bénéficie désormais que de déclarations de pure forme.
La décision de ne pas participer au sommet ne peut être dissociée du climat politique intérieur de l’Inde. Le parti au pouvoir a cultivé un discours public qui considère Israël avec admiration, comme un État musclé et militarisé qui « traite le terrorisme avec fermeté ». Dans cette imagination, la sympathie pour les Palestiniens risque d’être présentée comme de la sympathie pour le Hamas.
Participer à un sommet où le comportement d’Israël était soumis à un examen minutieux aurait pu contraindre Modi à trouver un équilibre public délicat, condamnant les excès sans s’aliéner sa base politique ou les dirigeants israéliens. En s’abstenant d’y participer, il a évité cette tension. Pourtant, la diplomatie, par définition, exige précisément ce genre de courage : naviguer dans les zones grises morales avec intégrité.
La politique étrangère actuelle de l’Inde se caractérise également par un alignement de plus en plus étroit avec les États-Unis et leurs alliés stratégiques. Washington et Tel-Aviv ne sont plus seulement des partenaires, ils sont des références idéologiques pour un modèle de nationalisme et de gouvernance en matière de sécurité. La décision de l’Inde marque donc un réalignement géopolitique avec l’axe américano-israélien.
En s’alignant sur le camp américano-israélien, l’Inde estime qu’elle accède à la haute technologie, à la coopération en matière de défense et à la légitimité mondiale. Mais ce réalignement érode également la crédibilité de l’Inde auprès des nations arabes et africaines, ces mêmes partenaires qui se tournaient autrefois vers New Delhi pour lutter contre l’impérialisme et l’occupation.
En ce sens, l’absence de l’Inde au sommet de Gaza est moins un accident qu’une révélation de ses priorités : le commerce des armes plutôt que les droits de l’homme, l’alignement plutôt que l’autonomie. Selon la base de données sur les transferts d’armes du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), Israël figure parmi les trois principaux fournisseurs de défense de l’Inde, représentant près de 9 % des importations d’armes de l’Inde ces dernières années. Cette relation militaire n’a fait que se renforcer pendant la guerre de Gaza.
Les diplomates indiens justifient souvent cette orientation comme faisant partie d’une politique de « dé-hyphenation » (séparation), consistant à traiter Israël et la Palestine séparément, sans préjugés. Dans la pratique, cependant, la dé-hyphenation s’est transformée en dé-priorisation : alors qu’Israël jouit du statut de partenaire stratégique, la Palestine est réduite à une amitié cérémonielle invoquée dans les forums multilatéraux.
À l’heure où les hôpitaux de Gaza fonctionnent sans électricité, où des journalistes et des médecins sont tués et où les responsables de l’ONU mettent en garde contre une famine, la distance prise par l’Inde semble moralement indéfendable. Insister sur la neutralité face à un génocide n’est pas de la diplomatie, c’est de la complicité déguisée en prudence.
Ces actions équivalent à un coup porté au soft power de l’Inde. L’absence de l’Inde affaiblit également sa propre revendication d’un leadership moral mondial. Sous Nehru, Indira Gandhi et même Atal Bihari Vajpayee, la force de l’Inde résidait dans sa capacité à parler au nom des opprimés sans exercer de pouvoir coercitif. Cet héritage a conféré à New Delhi un immense soft power dans l’ensemble du Sud.
En s’abstenant de participer au sommet du Caire, qui réunissait l’Égypte, la Jordanie, l’ONU, les dirigeants européens et les principales nations africaines, l’Inde a perdu une occasion de contribuer à l’élaboration de l’agenda humanitaire. Le symbolisme est important en diplomatie ; la présence est synonyme de participation. Alors que le monde recherchait des voix de la conscience, l’Inde a choisi de murmurer en marge.
L’absence de l’Inde risque de déstabiliser certains de ses partenaires arabes les plus proches. L’Égypte et les Émirats arabes unis, deux alliés importants en matière de commerce et d’investissement, ont investi leur capital politique dans la médiation de la crise. Les pays du Golfe, qui accueillent près de neuf millions de travailleurs indiens, observent avec inquiétude le silence de l’Inde.
En semblant se ranger du côté d’Israël alors même que les rues arabes s’embrasent de colère contre Gaza, l’Inde risque d’aliéner à la fois sa diaspora et la bonne volonté de la région. Une fois érodé, le capital diplomatique met des décennies à se reconstituer. L’Inde ne peut guère espérer échapper aux répercussions régionales. Il s’agit en grande partie d’un recul par rapport à ses principes.
En fin de compte, la décision de Modi reflète une transformation plus profonde de l’imaginaire politique indien. Une nation autrefois fière de se ranger du côté des luttes de libération préfère désormais se ranger du côté du pouvoir. L’appel de Gandhi à « l’ahimsa dans la conduite internationale » et l’insistance de Nehru sur la diplomatie morale semblent presque étrangers au vocabulaire hypernationaliste actuel des intérêts et de la gestion de l’image.
L’Inde aurait pu profiter du sommet du Caire pour appeler à la fin de l’occupation, à une enquête indépendante sur les crimes de guerre et à la création de couloirs humanitaires. Au lieu de cela, elle a envoyé un représentant de rang inférieur, un déclassement symbolique (voire une insulte) qui a signalé son désengagement, voire son mépris.
À long terme, le silence n’isolera pas l’Inde du jugement de l’histoire. Lorsque le génocide à Gaza sera pleinement pris en compte, les nations seront jugées sur leur position, et non sur les excuses qu’elles ont avancées.
En boycottant le sommet, l’Inde a abandonné non seulement la Palestine, mais aussi son propre héritage moral. Ce qui était autrefois une fière tradition de solidarité avec les opprimés s’est transformé en une politique mesquine et une diplomatie théâtrale. L’Inde gagne peut-être des armes et des alliances, mais elle perd quelque chose de bien plus important : son âme en tant que voix civilisationnelle de la justice.
References
1. Ministry of External Affairs, “India’s statement on Gaza Peace Summit,” October 2025.
2. Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) Arms Transfer Database, 2024.
3. Indian Express, “India welcomes Gaza ceasefire, Modi hails Trump’s efforts,” October 2025.
4. Hindustan Times, “Inside the Gaza Peace Summit in Egypt,” October 2025.
5. NDTV, “Tharoor questions Modi’s absence from Egypt summit,” October 2025.