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L’écrivain et journaliste Wolfgang Bittner, docteur en droit, vit à Göttingen. Il a publié plus de 80 ouvrages, dont le dernier, intitulé « Geopolitik im Überblick. Deutschland-USA-EU-Russland » (Aperçu géopolitique. Allemagne-États-Unis-UE-Russie), vient de paraître. Il est le premier signataire de l’appel à la neutralité de l’Allemagne.

Par Wolfgang Bittner dans Histoire, Armée, Politique, Économie

Alors que le gouvernement suisse a gravement porté atteinte – pour ne pas dire détruit – la neutralité suisse éprouvée à la fin du mois de février 2022, et que même des personnes supposées intelligentes en Suisse s’opposent à l’ancrage de la neutralité dans la Constitution et souhaitent une « neutralité au cas par cas », des milliers d’Allemands aspirent à la neutralité de l’Allemagne. Wolfgang Bittner est l’un d’entre eux et montre ici que l’Allemagne n’est plus, de facto et pour le dire en quelques mots, un pays souverain depuis la guerre mondiale perdue, mais un pays occupé par les puissances occidentales victorieuses. Il attire notamment l’attention sur les bases américaines en Allemagne, qui comptent environ 37 000 soldats américains (qui, soit dit en passant, sont soumis au droit américain même lorsqu’ils sont en Allemagne à titre privé). Son argumentation est extrêmement intéressante, y compris pour les Suisses.

Récemment, des voix se sont élevées pour réclamer la neutralité de l’Allemagne[1], comme l’avait déjà proposé Staline en 1952. À l’époque, il avait proposé aux trois autres grandes puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale de négocier un traité de paix avec l’Allemagne. La condition était la neutralité d’une future Allemagne unifiée, à l’exception des territoires orientaux sous administration polonaise. Comme, au même moment, le gouvernement Adenauer avait déjà décidé, lors de négociations secrètes, le réarmement et l’adhésion à l’OTAN, les Alliés occidentaux ont boycotté la proposition soviétique. Konrad Adenauer l’a également rejetée, la qualifiant de « manœuvre de diversion » peu sérieuse visant à bloquer l’intégration de la RFA à l’Ouest, laissant ainsi passer l’occasion d’une politique allemande autonome.

Au lieu de cela, les deux vestiges allemands, dont la souveraineté avait été retirée par les puissances victorieuses après la capitulation sans condition, sont restés sous tutelle étrangère, qui n’a été assouplie que progressivement. Selon l’opinion dominante, la République fédérale d’Allemagne, en tant que « sujet de droit international public identique au Reich allemand »[2], a alors retrouvé sa « pleine souveraineté » (article 7, paragraphe 2) grâce au traité deux plus quatre du 12 septembre 1990, de sorte que, en théorie, la neutralité de l’Allemagne serait aujourd’hui possible.

Ce sont là les faits officiels.[3] Mais l’octroi de la souveraineté a été relativisé par des traités supplémentaires, tels que le traité sur le stationnement des troupes, l’adhésion à l’OTAN, l’alliance militaire pour la « coopération structurée permanente » (PESCO)[4], d’autres accords militaires et économiques, ainsi que la législation européenne supérieure . La marge de manœuvre en matière de politique étrangère est notamment limitée en raison des droits de réserve et des possibilités d’influence des alliés.[5]

Certes, des accords tels que le traité sur le stationnement des troupes ou le traité de l’OTAN peuvent être résiliés, et l’Allemagne pourrait également quitter l’UE, mais il est extrêmement douteux qu’un gouvernement allemand oserait franchir ce pas ou pourrait s’imposer face aux États-Unis et à la Grande-Bretagne. On sait également que les États-Unis ne respectent aucun traité dès lors qu’il ne convient plus à leur gouvernement.

En droit international, la souveraineté est, selon une conception juridique ancienne, la souveraineté absolue d’un État sur ses actions en matière de politique intérieure et étrangère.[6] Ce n’est manifestement pas le cas pour l’Allemagne. Cependant, selon une conception plus récente du droit international, un État peut renoncer à certains droits par le biais de traités conclus avec d’autres États, c’est-à-dire limiter sa souveraineté de manière autonome. Cela pourrait être envisageable pour l’Allemagne. Toutefois, certaines restrictions auxquelles l’Allemagne est soumise ne relèvent pas de sa propre volonté.

Les questions suivantes se posent donc :

1.  Un pays dont la population est constamment trompée, trahie et humiliée, qui n’a pas signé de traité de paix et qui, selon la Charte des Nations unies (articles 53 et 107), est toujours considéré comme un État ennemi par les puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale, peut-il être souverain ? La clause relative aux États ennemis stipule que des mesures coercitives peuvent être imposées sans autorisation spéciale du Conseil de sécurité des Nations unies, y compris des interventions militaires si l’Allemagne devait à nouveau mener une politique agressive. La signification de cette clause est sujette à une large interprétation, qui serait le cas échéant donnée par les puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale, c’est-à-dire principalement par les États-Unis.

2.  Un pays qui abrite onze immenses bases militaires américaines, qui maintiennent en permanence environ 37 000 soldats sous les armes en Allemagne (notamment avec des armes nucléaires) et qui invite à des conférences internationales sur sa base militaire de Ramstein, d’où il commande des assassinats par drones, peut-il être souverain ?[7]

3.  Un pays dans lequel les puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale se sont toujours réservé des pouvoirs peut-il être souverain ? Il existe une opinion selon laquelle un « droit d’occupation fossilisé »[8] continue de s’appliquer, c’est-à-dire « un droit d’occupation qui, lors de la conclusion du « traité de transition », n’était soumis à aucune disposition de la puissance publique allemande » et dont certaines dispositions restent en vigueur[9].

4.  Un pays qui se voit couper sans opposition l’approvisionnement énergétique bon marché de la Russie, qui se laisse constamment dicter des règles et imposer des lois défavorables par la Commission européenne, peut-il être souverain ?

La question de la souveraineté de l’Allemagne est un sujet difficile qui touche de manière existentielle la population et qui est évité par les autorités officielles. Mais il serait temps de l’introduire dans le débat public, ce que plusieurs organisations pacifistes tentent actuellement de faire.

Conclusion

On pourrait peut-être dire que l’Allemagne n’est pas totalement souveraine (si tant est qu’il existe une souveraineté incomplète) et qu’avec un gouvernement sûr de lui et agissant de manière indépendante, il serait possible d’atteindre une souveraineté au moins approximative au sens d’une conception récente du droit international. Mais compte tenu des circonstances mentionnées, on peut conclure que le gouvernement allemand n’est pas en mesure d’agir de manière autonome dans l’intérêt de la population, et que l’Allemagne n’est donc pas souveraine au sens où cela a été codifié dans le traité deux plus quatre.

À cet égard, les conditions réelles actuelles s’opposent à la réalisation d’une neutralité allemande, qui permettrait de résoudre bon nombre des problèmes actuels. Des efforts diplomatiques intensifs au plus haut niveau seraient nécessaires pour préparer la voie vers un avenir plus pacifique. Il y a actuellement peu d’espoir à cet égard. Mais malgré des obstacles qui semblent presque insurmontables, il ne faut pas perdre de vue l’objectif de la souveraineté et de la neutralité de l’Allemagne. À cet égard, il existe des initiatives louables qui méritent d’être soutenues.[10]

l’écrivain et journaliste Wolfgang Bittner, docteur en droit, vit à Göttingen. Il a publié plus de 80 ouvrages et son dernier livre « Geopolitik im Überblick. Deutschland-USA-EU-Russland » (Aperçu de la géopolitique. Allemagne-États-Unis-UE-Russie). Voir à ce sujet sur Globalbridge : « Nouvelle publication à lire | Wolfgang Bittner:  Aperçu de la géopolitique ». Wolfgang Bittner est l’un des premiers signataires de l’appel à la neutralité de l’Allemagne.

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Remarques et sources
1.   Voir http://www.nrhz.de/flyer/beitrag.php?id=29559&css
2.  Cf.www.bundestag.de/webarchiv/presse/hib/2015_06/380964-380964
 3.  Pour plus de détails, mais avec une argumentation faible, voir les services scientifiques du Bundestag allemand, « Überleitungsvertrag und ‚Feindstaatenklauseln‘ im Lichte der völkerrechtlichen Souveränität der Bundesrepublik Deutschland » (Traité de transition et « clauses relatives aux États ennemis » à la lumière de la souveraineté de la République fédérale d’Allemagne en droit international) :www.bundestag.de/resource/blob/414956/52aff2259e2e2ca57d71335748016458/wd-2-108-06-pdf-data.pdf
 4.  Cf. Spiegel online, 13 novembre 2017,www.spiegel.de/politik/ausland/bruessel-23-eu-staaten-gruenden-pesco-zusammenarbeit-bei-verteidigung-a-1177685.html
 5. À ce sujet, voir Sebastian Fries, « Entre sécurité et souveraineté : stationnement des troupes américaines et marge de manœuvre de la République fédérale d’Allemagne en matière de politique étrangère », https://edoc.bbaw.de/opus4-bbaw/frontdoor/deliver/index/docId/359/file/26PiNaLFNd6L_327.pdf
6.  Cf. à ce sujet : Burkhard Schöbener (éd.), « Völkerrecht. Lexikon zentraler Begriffe und Themen » (Droit international. Lexique des concepts et thèmes centraux), C.F. Müller, Heidelberg 2014, p. 393.
7.  À ce sujet, voir Wolfgang Bittner, « Niemand soll hungern, ohne zu frieren », Verlag zeitgeist, Höhr-Grenzhausen 2024, p. 63 et suivantes.
8.  Voir ibid. : « Überleitungsvertrag und ‚Feindstaatenklauseln‘ im Lichte der völkerrechtlichen Souveränität der Bundesrepublik Deutschland », p. 7.
9.  Pour plus de détails, voir : https://de.wikipedia.org/wiki/Überleitungsvertrag (consulté le 15/10/2025).
10. Voir https://deutschlandneutral.de

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