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Ali Alaa El-Din

Il y a plus de trois décennies, l’armée israélienne a élaboré ce qu’on appelle le « protocole Hannibal », une mesure d’urgence visant à empêcher la capture de soldats, même si cela implique de sacrifier leur vie. Cependant, ce protocole, né de l’obsession israélienne pour la « dissuasion », s’est transformé ces dernières années en un miroir révélateur du déclin moral et politique au sein de la structure décisionnelle israélienne, en particulier lorsqu’il s’est aligné sur les calculs personnels de Benjamin Netanyahu.

De Rafah en 2014 à Gaza après l’opération « déluge d’Al-Aqsa », « Hannibal » n’est plus une simple mesure sur le terrain, mais un outil politique entre les mains d’un chef de gouvernement qui cherche à survivre au milieu des tempêtes d’échecs et d’accusations. Avec l’accumulation des preuves du meurtre de prisonniers israéliens lors des bombardements incessants sur Gaza, la question ne se limite plus à un débat militaire ou éthique, mais touche au cœur même du droit : un chef de gouvernement peut-il échapper à toute responsabilité lorsqu’il ordonne ou autorise le meurtre de ses concitoyens au nom de la « sécurité nationale » ?

Avec cette question, le débat dépasse les limites de la guerre pour toucher au cœur même de l’État, où la logique de la force qui a régné sur Israël pendant des décennies se heurte à la logique de la justice qui commence à frapper à la porte de Netanyahu, même si c’est tardivement.

Qu’est-ce que le protocole Hannibal ?

Origine historique du nom :

Le nom s’inspire du célèbre chef carthaginois Hannibal Barca, qui vécut au IIIe siècle avant J.-C. et fut l’un des plus importants chefs militaires de l’histoire, célèbre pour avoir mené des guerres féroces contre Rome et pour ses méthodes de combat non conventionnelles.

lorsque l’armée israélienne a établi ce protocole en 1986, elle a choisi le nom « Hannibal » comme symbole d’une opération dure, décisive et rapide, reflétant l’idée de « ne pas se laisser capturer à tout prix ».

Ce choix était également codé : le nom ne révèle pas son véritable contenu (à savoir tuer le soldat s’il est sur le point d’être capturé), mais suggère une opération à caractère héroïque ou offensif.

Depuis sa création, l’entité sioniste s’est appuyée sur le principe de « ne laisser aucun soldat en captivité ». Mais ce principe, qui est censé protéger la vie des soldats, s’est transformé, à travers ce qu’on appelle le « protocole Hannibal », en une formule douteuse qui légitime le meurtre du soldat lui-même afin qu’il ne tombe pas captif de l’ennemi.

Le « protocole Hannibal » a été établi en 1986 après une série d’opérations de capture menées par la résistance libanaise et palestinienne contre des soldats israéliens. Ce protocole stipule qu’en cas de tentative de capture d’un soldat, les forces israéliennes doivent empêcher l’opération par tous les moyens possibles, même si cela entraîne sa mort. En d’autres termes, le meurtre dans ce cas est considéré comme une « option légitime » dans la doctrine militaire israélienne, car, selon sa logique, il empêche l’ennemi de disposer d’un moyen de pression politique ou militaire.

D’un point de vue militaire, « Hannibal » ne devrait être activé qu’au moment de la capture, c’est-à-dire dans les premières minutes suivant l’opération, lorsque le soldat est encore dans la ligne de mire ou sur le point d’être transféré en territoire ennemi. Mais au cours des dernières décennies, l’application de ce protocole s’est étendue à des cas plus ambigus, conduisant souvent à des bombardements aveugles de zones peuplées par des civils.

L’exemple le plus frappant est celui de l’offensive de 2014 sur Gaza, lorsque le protocole « Hannibal » a été activé à Rafah après la capture du soldat Hadar Goldin. En quelques heures, les avions ont bombardé la ville, causant la mort de plus de 130 Palestiniens. Les dirigeants israéliens ont alors reconnu que le protocole était devenu incontrôlable et que « l’obsession d’empêcher les captures » s’était transformée en massacre.

Gaza 2023 : le retour de l’esprit Hannibal

Avec l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » du 7 octobre 2023, l’armée sioniste est entrée dans un état de chaos et de stupeur. Des centaines de soldats et de colons ont été capturés et emmenés à l’intérieur de Gaza. Au cours des premières heures, des vidéos et des enregistrements radio ont montré que des unités israéliennes avaient ouvert le feu de manière aléatoire sur des voitures et des zones d’où l’on pensait que des combattants du Hamas se retiraient avec des prisonniers israéliens.

Ces scènes ont rappelé l’esprit Hannibal, même si son activation n’a pas été officiellement annoncée. Plus tard, des fuites ont commencé à faire état d’ordres sur le terrain utilisant des expressions telles que « utilisez toute la force disponible », une expression généralement codée pour appliquer implicitement le protocole.

Netanyahu entre politique et armée

Comme lors des guerres précédentes, des fuites et des analyses ont révélé que Benjamin Netanyahu avait donné des instructions politiques claires concernant l’application du protocole Hannibal, laissant la décision au terrain. Mais avec l’aggravation de la crise des prisonniers et le début des protestations de leurs familles au sein de l’entité sioniste, Netanyahu s’est retrouvé pris entre le marteau de la pression populaire et l’enclume de l’institution militaire.

Netanyahu a gardé le silence, mais a même salué les bombardements qui ont touché des zones où l’on pensait que des prisonniers se trouvaient, afin de montrer sa fermeté face au Hamas. Mais avec le temps, il a commencé à réaliser que les images des prisonniers morts pourraient se transformer en cauchemar politique interne, et il a adopté un discours plus prudent, déclarant qu’il « ne sacrifierait pas les prisonniers ».

De l’interdiction de capturer des prisonniers à leur assassinat

Le grand dilemme pour Israël est que certains de ces prisonniers n’ont pas été tués lors de tentatives de sauvetage infructueuses, mais plus d’un an après leur capture, lors de raids intensifs sur des sites où ils étaient présumés détenus. Netanyahu et son équipe ont ainsi dépassé les limites fixées par le protocole « Hannibal ».

Le protocole original autorise le meurtre d’un soldat lors d’une tentative de capture, mais n’autorise en aucun cas son meurtre après qu’il soit devenu prisonnier. Dans ce cas, le prisonnier est sorti du combat, et toute attaque contre lui est considérée comme un crime de guerre en vertu des conventions de Genève.

Mais sur le terrain à Gaza, ces limites semblent avoir disparu. Les bombardements menés par l’armée sioniste, sur ordre du commandement politique, ont touché des lieux de détention, entraînant la mort d’un certain nombre de prisonniers.

Parmi les noms confirmés par l’entité et les médias hébraïques comme étant ceux de prisonniers tués par des bombardements israéliens directs (Haaretz, Yedioth Ahronoth et Channel 12) :

Sa’ar Baruch (25 ans), tué lors d’une tentative de sauvetage ratée en décembre ( IDF admits hostage Sahar Baruch was killed during failed rescue attempt last month | The Times of Israel) 2023.

Amir Kuper (84 ans), dont le décès en captivité a été annoncé mi-2024.

Haim Peri (80 ans), Yoram Metzger (80 ans) et Nadav Popelweil (51 ans) ( Israël annonce la mort de quatre otages détenus par le Hamas | The Times of Israel )

Violation des lois et des frontières

En ce qui concerne la loi dans l’entité sioniste, les décisions de Netanyahu constituent une violation à plusieurs niveaux de la législation :

Le droit pénal israélien, qui criminalise le meurtre intentionnel de tout citoyen.

Le droit militaire, qui oblige les commandants à protéger la vie des soldats et à ne pas les exposer à un danger délibéré.

Le droit international humanitaire, qui interdit de tuer des prisonniers ou de les exposer à un danger après leur sortie du combat.

Sur la base de ces violations, des voix se sont élevées au sein de l’entité pour réclamer la création d’une commission d’enquête parlementaire chargée de déterminer si le gouvernement a donné des ordres contraires à l’éthique et au droit militaire, et si Netanyahu porte une responsabilité directe dans la mort de certains prisonniers. Parmi les requérants figurent les familles des prisonniers au sein du « Forum des familles des détenus et des disparus », ainsi que des députés de l’opposition israélienne, notamment Yair Lapid (chef du parti « Yesh Atid ») (Times of Israel – 2 juillet 2024) et Merav Michaeli (présidente du Parti travailliste) (Wint News – 10 juillet 2024) / Gadi Eizenkot (membre de la Knesset et ancien général de l’armée) (Haaretz – 5 juillet 2024) et plusieurs officiers supérieurs à la retraite, dont Moshe Ya’alon (Times of Israel – 21 juillet 2024) et Ehud Barak (Haaretz – 15 juillet 2024)

À quoi Netanyahu pourrait-il être confronté sur le plan juridique ?

Accusation d’homicide volontaire : peine encourue : prison à perpétuité (selon le code pénal israélien).

Accusation d’homicide involontaire / négligence grave peines de prison longues (plusieurs dizaines d’années).

Accusation d’abus de pouvoir / abus de confiance peines pénales / prison et interdiction de se présenter aux élections.

Calculs de pouvoir et politique

Les analyses israéliennes elles-mêmes révèlent que Netanyahu était motivé par plusieurs considérations qui l’ont poussé à sacrifier la vie des prisonniers pour se préserver. Parmi ces considérations :

Ne pas affaiblir son image : il voulait montrer qu’il ne se soumettait pas à la logique des « prisonniers et des accords » qui affaiblit son image auprès de la droite.

Empêcher un accord aux conditions de Hamas : tout accord d’échange lui aurait imposé un cessez-le-feu et un retrait partiel de Gaza, ce qu’il considérait comme une défaite politique. Il préférait donc tuer les prisonniers, soit par des bombardements directs, soit par des opérations militaires (ce qui s’est finalement produit par le biais d’un échange, d’un arrêt des hostilités et d’un retrait des forces israéliennes d’une partie de Gaza).

Survivre politiquement : sous la pression de ses partenaires de droite, il a préféré sacrifier les prisonniers plutôt que de paraître « faible » face à l’opposition ou à la résistance.

Diabolisation de la résistance : la mort des prisonniers à Gaza, en particulier dans des circonstances obscures, a permis à Netanyahu de rejeter la responsabilité sur le Hamas et d’exploiter cette tragédie pour diaboliser le mouvement auprès de l’opinion publique israélienne et occidentale.

En revanche, il savait que tout accord d’échange redonnerait à Hamas une partie de sa légitimité et de son pouvoir de négociation, ce qui aurait sapé son discours selon lequel la guerre avait « anéanti Hamas ».

Ses calculs personnels : À ce stade, Netanyahu était confronté à :

Des enquêtes internes pour corruption.

Une baisse de popularité due à l’échec du 7 octobre.

Une fracture au sein de son gouvernement entre les extrémistes et les militaires.

La mort des prisonniers (sans qu’il en soit directement responsable) lui a fourni une échappatoire politique, car il a poursuivi la guerre, détournant ainsi l’attention de son procès et déplaçant la question de la responsabilité de l’échec de la sécurité vers celle de la vengeance pour les prisonniers.

Comment pouvait-il se protéger après la guerre ?

Sur le plan politique et juridique, Netanyahu dispose de plusieurs outils pour atténuer le risque de poursuites : prolonger la durée de l’enquête, demander l’immunité parlementaire, chercher à modifier le système judiciaire ou influencer les nominations, classer des documents comme secrets, conclure des accords avec les familles et changer le discours public. Certaines de ces méthodes sont efficaces à court terme, mais toute tentative manifeste de museler la justice ou d’entraver la mise en cause de sa responsabilité pourrait susciter des réactions nationales et internationales.

Conclusion

L’affaire « Hannibal » à l’époque de Netanyahu révèle le vrai visage d’un criminel qui dépasse les limites morales et légales. En sacrifiant la vie de soldats et de prisonniers pour préserver son image politique, le dirigeant de l’entité provisoire devient un criminel de guerre aux yeux de ce qu’on appelle la loi au sein de l’entité.

Les ordres donnés par Netanyahu, ou ceux sur lesquels il a gardé le silence, ont conduit à la mort de prisonniers sous les bombardements israéliens, dépassant même le protocole militaire « Hannibal » lui-même.

Il ne s’agit pas ici d’une « erreur tactique », mais d’une stratégie fondée sur l’assassinat politique pour se protéger.

Tout cela alors que le débat se limite à trois prisonniers détenus par le Hamas… Alors que la loi reste muette dans le monde entier face au protocole de Netanyahu qui a conduit à la mort de plus de 67 000 citoyens palestiniens.

Al Manar