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par M. K. BHADRAKUMAR

Un bus transportant des Palestiniens libérés des prisons israéliennes est accueilli par une foule devant l’hôpital Nasser, dans la bande de Gaza, le 13 octobre 2025.

La visite d’une nuit du ministre israélien des Affaires étrangères Gideon Sa’ar en Inde a été plutôt discrète. Bien qu’il s’agisse de sa première visite en Inde en tant que ministre des Affaires étrangères, et malgré l’approche « pratique » du Premier ministre Narendra Modi envers les relations entre l’Inde et Israël, qui ont connu un essor considérable au cours de ses 11 années au pouvoir, il est surprenant qu’il n’ait pas été reçu par le Premier ministre. Une explication plausible pourrait être que le Premier ministre est très occupé par les élections cruciales dans l’État du Bihar, qui a toujours été un baromètre de la politique nationale indienne.

La visite de Sa’ar n’aurait-elle pas pu être programmée de manière à permettre une rencontre avec le Premier ministre ? La seule explication possible est que la consultation du dignitaire israélien a été organisée à la hâte. Que s’est-il passé pour que Sa’ar se précipite à Delhi avec une telle précipitation ?

Plus on examine cette visite de près, plus il semble que Sa’ar soit en fait venu discuter de la situation à Gaza, alors même que le modèle crucial de la deuxième phase du plan de paix pour Gaza, concernant le déploiement de la force internationale, est sur le point d’être présenté.

Le communiqué du ministère des Affaires étrangères indien se contente de dire : « Le ministre des Affaires étrangères Sa’ar a fait part du point de vue et des opinions d’Israël sur les développements en Asie occidentale et dans le Golfe. Le ministre des Affaires étrangères indien a exprimé le soutien de l’Inde au plan de paix pour Gaza, s’est félicité du retour des otages et a exprimé l’espoir que le plan de paix ouvre la voie à une solution durable et pérenne. »

Peut-être faudrait-il mener une enquête approfondie pour en savoir plus. Il est certain que Delhi est au courant de l’intention de Washington de présenter au Conseil de sécurité un projet de résolution visant à obtenir un mandat pour la création d’une force internationale de sécurité (ISF) pour Gaza.

Selon Axios, qui a pu consulter le document en question, la durée de l’ISF serait de deux ans, avec possibilité de prolongation. L’ISF n’effectuera pas de mission de maintien de la paix, mais se concentrera plutôt sur la sécurité du secteur frontalier, Israël et l’Égypte protégeant la population de Gaza et les couloirs humanitaires, ainsi que sur la préparation de nouvelles forces de police palestiniennes.

Le mandat de la FIU comprend également le désarmement du Hamas, qui est bien sûr la tâche la plus délicate de toute sa mission. Selon le projet de résolution américain, l’ISF sera chargée de stabiliser la situation dans le secteur de Gaza en procédant à la démilitarisation de la région, notamment par la destruction et la prévention de la reconstruction des infrastructures militaires, terroristes et offensives, ainsi que par la répression de l’approvisionnement en armes des formations armées non viables. En résumé, il s’agit d’une mission proactive d’un genre particulier, dont la réussite sera essentielle pour la sécurité d’Israël et la viabilité du plan Gaza lui-même.

Le déploiement des premières unités de l’ISF dans le secteur de Gaza est prévu en janvier, a rapporté Axios, citant un responsable américain anonyme. L’ISF exercera son mandat sous un commandement unique, « en coopération étroite et en consultation avec les représentants de l’Égypte et d’Israël ».

Voici maintenant la partie la plus délicate

Selon des informations publiées par Ynet et The Guardian, les pays dont les troupes rejoindront les ISF sous le commandement commun de l’Égypte pourraient inclure l’Azerbaïdjan, l’Indonésie, la Turquie et le Pakistan. Tous ces pays ont d’ailleurs participé à la récente conférence d’Istanbul organisée par la Turquie pour discuter de la situation à Gaza.  

Les discussions du Conseil de sécurité sur le projet américain devraient débuter prochainement. Trump est pressé de mettre en place le Conseil de paix proposé, dont il serait le vice-roi, doté de pleins pouvoirs pour coordonner le processus de reconstruction et la gestion du territoire détruit à Gaza, conformément à un plan global.

Bien sûr, Israël n’adhère pas pleinement au projet de déploiement de la Force internationale de sécurité à Gaza. En revanche, comme on pouvait s’y attendre, le Hamas est intéressé par un déploiement rapide de la Force internationale de sécurité, dans l’espoir que cela permette de contrôler l’occupation israélienne.

Selon une « exclusivité » révélée par Ynet, le site d’information israélien et la version en ligne du journal Yedioth Ahronoth, des responsables du ministère israélien de la Défense ont fait une révélation surprenante il y a une semaine lors d’une réunion à huis clos destinée aux membres de la commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset au sujet de l’intégration du Pakistan dans l’ISF.

Dans un commentaire récent, Ynet a estimé que « il est important de noter que les États-Unis ne cherchent pas à obtenir une résolution du Conseil de sécurité – certainement pas en vertu du chapitre VII, qui autoriserait le recours à la force – mais plutôt un document rédigé en termes vagues qui permettrait au Conseil d’apporter son soutien et son approbation à la formation d’une force de stabilisation. Cette force serait mise en place par les États-Unis en coordination avec les pays arabes et musulmans… Il semble qu’il n’y ait, pour l’instant, aucun élément fondamentalement problématique du point de vue d’Israël, à l’exception d’un seul : la clause concernant le désarmement du Hamas et des autres groupes terroristes basés à Gaza. »

La visite précipitée du ministre Sa’ar à Delhi peut être mise en perspective. Il aurait sensibilisé Delhi au fait qu’Israël n’est pas en mesure de dicter la composition de l’armée israélienne. Il est intéressant de noter que la seule autre réunion que Sa’ar a eue à Delhi était avec le conseiller à la sécurité nationale Ajit Doval, l’as indien du Pakistan.

Le Pakistan bénéficie d’un soutien important de la part de l’Arabie saoudite, avec laquelle il est désormais inextricablement lié par un pacte de défense. Quoi qu’il en soit, ce sont les États-Unis qui mènent la danse dans cette affaire, et Trump fait pression sur la Turquie pour qu’elle assume le rôle principal. Or, la Turquie entretient des relations très amicales avec le Pakistan (et plutôt hostiles avec Delhi).

Il a déjà été rapporté que Trump est un admirateur du maréchal pakistanais Asim Munir, et certains médias ont même émis l’hypothèse que le rôle du Pakistan dans la stabilisation de Gaza figurait déjà dans les réflexions des deux hommes d’État. En fin de compte, l’inclusion du Pakistan dans la Force internationale de stabilisation porte la marque de Trump. Et il sera désormais difficile pour Delhi ou toute autre capitale mondiale de faire quoi que ce soit à ce sujet.

En effet, Israël s’oppose à l’idée même d’une implication de l’ONU, craignant que cela n’affecte les règles d’engagement de son armée à Gaza. Israël a des raisons de s’inquiéter du fait que le recours à l’ONU comme source d’autorité pour la mise en place de la force de stabilisation et du Conseil de paix pourrait donner à l’ONU une influence sur le libellé du mandat et les règles d’engagement accordées à la force.

Il ne reste plus que quelques heures avant que la version finale du document américain soit prête et qu’un mandat du Conseil de sécurité soit demandé, précisant les détails des pays qui constitueront la Force internationale de sécurité (ISF). Israël compterait sur l’Inde pour tout mettre en œuvre afin de bloquer l’inclusion du Pakistan dans la Force internationale de défense (IDF).

Le rôle de la Russie en tant que membre permanent du Conseil de sécurité devient important dans ce contexte. Mais le Pakistan a été un partenaire actif des initiatives russes au Conseil de sécurité visant à restreindre Israël dans sa guerre destructrice à Gaza.

De plus, la Russie devra tenir compte de la position de la Chine, avec laquelle elle coordonne presque systématiquement son action à l’ONU depuis quelques années. Il est très improbable que la Chine se joigne à l’exclusion du Pakistan.

Le fait est que, tout comme l’Inde vilipende Islamabad en le qualifiant de champion du terrorisme international, le Pakistan est également membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies pour la période 2025-2026 et a été nommé président du Comité des sanctions 1988 (Taliban) pour 2025, et vice-président du Comité contre le terrorisme 1373 du Conseil de sécurité des Nations unies pour 2025, aux côtés de la Russie et  de la France.  

En plus de tout cela, le Pakistan dispose d’une armée très disciplinée et professionnelle, qui jouit d’un prestige international, en particulier dans la région du Moyen-Orient, et qui est capable de faire un excellent travail de manière professionnelle dans le cadre de la mission à Gaza, qui présente d’importants défis en matière de sécurité.

La responsabilité incombe au Bureau ovale

Delhi a des raisons de s’inquiéter que la responsabilité incombe au Bureau ovale. En effet, avec toutes les humiliations et l’amertume que l’Inde a subies ces derniers mois de la part des responsables américains au sujet des importations de pétrole en provenance de Russie, il serait trop demander au Premier ministre de solliciter une faveur auprès de Trump, ce que le Premier ministre Benjamin Netanyahu aurait pu espérer dans des circonstances plus favorables. Delhi doit également se méfier de Trump qui pourrait saisir l’occasion pour proposer une médiation sur les questions indo-pakistanaises.  

Il ne reste donc plus au ministre des Affaires étrangères qu’à danser le tango avec son homologue américain Marco Rubio, qui est actuellement une étoile montante dans l’appareil décisionnel de Trump. Le ministre des Affaires étrangères a rencontré Rubio à plusieurs reprises. Leur dernière rencontre a eu lieu en Malaisie il y a tout juste une semaine.

Mais même ici, Rubio a ses limites lorsque Trump est directement impliqué. Dans ce cas, Trump a un rôle à jouer dans les développements futurs à Gaza. Si la situation sécuritaire à Gaza devient critique dans les mois à venir en raison de l’inefficacité de l’armée israélienne, le prestige de Trump sera entaché sur la scène internationale.

Ne vous y trompez pas, le déploiement de l’armée israélienne sera de longue haleine. Et ne soyez pas surpris si une présence militaire pakistanaise prolongée à Gaza, non loin de Tel-Aviv, finit par se transformer en une sorte de relation entre Israël et le Pakistan. À tout le moins, une relation de travail cordiale entre les institutions militaires des deux pays deviendra une nécessité opérationnelle, compte tenu de l’importance que Tel-Aviv accorde au climat de sécurité à Gaza, qui est en effet une question existentielle pour Israël.  

La diplomatie israélienne est très pragmatique et habile dans la gestion de situations aussi délicates. Il est certain que le fait qu’Israël n’ait pas de relations diplomatiques avec le Pakistan ne l’empêchera pas de cultiver les relations avec le contingent pakistanais au sein de l’armée israélienne lorsque les choses sérieuses commenceront. Et Israël a un homologue à cet égard en la personne du maréchal Munir.

Trump ne se contentera que d’une « normalisation » informelle entre Islamabad et Tel-Aviv. Qui sait, si les choses se passent bien, Steve Witkoff et Jared Kushner pourraient apparaître un jour à Rawalpindi dans un avenir pas trop lointain, agissant sur les instructions de Trump pour ressusciter les accords d’Abraham moribonds.

Indian Punchline