Le président américain n’hésite pas à s’arranger avec la vérité pour obtenir ce qu’il veut.
Hubert Leclercq ,Journaliste de la cellule « International » en charge des matières africaines
La semaine dernière, Donald Trump a menacé d’intervenir militairement au Nigeria où, selon lui, les chrétiens sont menacés par les terroristes islamistes. Vrai positionnement idéologique ou nouvelle sortie purement rhétorique vu les difficultés qu’impliquerait une telle intervention et alors que le président américain a plutôt promis de ramener les boys à la maison que de se lancer dans de telles opérations ?
« Il y a un courant puissant dans la diplomatie trumpienne aujourd’hui, c’est le courant de la diplomatie religieuse. explique Maud Quessard, chercheuse et directrice du domaine « Europe, Espace Transatlantique, Russie » à l’institut de recherche stratégique de l’école militaire (Irsem). « Celui-ci peut soutenir des intérêts économiques et des visées d’extraction mais il a aussi et surtout une vision identitaire et civilisationnelle ».
Ce qu’on présente souvent comme le courant évangéliste ?
« Il faut être prudent et ne pas réduire la diplomatie religieuse de l’administration Trump et ses soutiens religieux aux seuls évangélistes. Trump II, c’est un agrégat d’extrémistes religieux divers et de chrétiens conservateurs qui peuvent être aussi bien catholiques qu’évangéliques et qui sont notamment très puissants via le vice-président J.D. Vance ou via Mike Johnson au Congrès (NdlR : le président de la Chambre des représentants) ».
Mais dans ce qu’on pourrait appeler le« dossier nigérian », il y a quand même une lecture trumpienne quelque peu biaisée de la situation dans ce pays…
« Absolument. Il y a une volonté de grossir le trait. D’ailleurs, les autorités nigérianes ont dénoncé le fait que Trump puisse dire que toute la population chrétienne était menacée car dans cette histoire de terrorisme, qui est réelle, les populations musulmanes sont les premières victimes. Donc c’est une révision à la fois de l’histoire et de l’actualité et on est là dans la diplomatie de la désinformation de Trump. Une désinformation qui fonctionne finalement aussi bien pour le Nigeria que pour le Venezuela. Et je note d’ailleurs que l’objectif premier dans l’affaire du Nigeria rejoint cette obsession de l’immigration et l’idée que ce ne serait pas plus mal que le Nigeria continue à accueillir un certain nombre de réfugiés, y compris quelques réfugiés vénézuéliens ».
Il y aurait donc des passerelles, des liens, entre les pays de l’hémisphère sud ?
« Oui et je pense qu’il y a beaucoup de logique avec tout ce qui se passe en ce moment dans cet hémisphère sud en relation avec la vision de Trump. Ce que je vous ai dit précédemment sur les liens religieux, ça fonctionne aussi pour l’Amérique latine et dans une moindre mesure pour l’ensemble de l’Afrique, en tout cas pour justifier les actions de l’administration Trump. Donc, apparaître comme un sauveur de la race blanche et des valeurs chrétiennes, c’est le mantra de l’administration actuelle. Pas uniquement celui de Trump mais aussi celui de J.D. Vance et de la mouvance religieuse qui se trouve dans cette administration ».
Sauver la race blanche, ça ramène aussi à une des premières sorties de l’administration Trump II sur l’Afrique et les tensions avec l’Afrique du Sud ?
« Des membres de la mouvance techno nationaliste qui sont proches du pouvoir aux États-Unis, comme Peter Thiel, Elon Musk ou d’autres dignitaires, ont des liens très forts avec l’Afrique du Sud. Ici, on en est arrivé à délivrer des visas uniquement pour les fermiers afrikaners qui sont présentés comme des gens menacés dans leur pays. On est encore dans une logique idéologique, identitaire et civilisationnelle. On pense qu’il vaut mieux préserver des ressortissants de race blanche, qui auraient un lien à préserver, contre l’islamisation du monde. C’est ce que pensent aussi les idéologues qui sont derrière Bannon et là, on touche à une mouvance MAGA plus historique. »
Il n’y aurait donc pas d’intérêt pour les matières premières africaines, pour l’industrie extractive ?
« L’intérêt pour l’industrie extractive est bien réel mais il vise surtout d’autres régions. Dans les logiques extractives, on est purement dans du transactionnel où Trump n’a pas de grande stratégie pour l’Afrique mais se dit qu’il va faire des deals avec certains leaders africains qui trouveraient grâce à ses yeux, comme ce fut le cas sous Trump I pour le roi du Maroc. Mais par ailleurs, évidemment, il laisse faire ses équipes sur base d’un constat qui veut que les États-Unis ont laissé les Chinois et les Russes grignoter le continent africain. Ce continent n’est peut-être pas sa zone d’influence première, puisqu’on en revient aux zones d’influence très XIXe siècle, et ce n’est donc pas dans sa stratégie de recentrement sur l’hémisphère occidental, l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud. Mais, dans cette grande compétition mondiale pour la géopolitique des ressources, l’Afrique n’est pas sans intérêt. Donc, l’idée est aussi de pouvoir mettre des pays sous tension, sous des prétextes qui peuvent être spécieux comme celui de préserver les chrétiens au Nigeria, avec des menaces qui peuvent être plus militaires. »
Pour mettre sous tension, il faut parfois pouvoir trouver un récit qui pourrait justifier cette opération ?
« Absolument. Si Trump veut se positionner au Venezuela comme il peut se positionner au Nigéria, il faut qu’il se justifie auprès de sa base. Quoi de mieux que de dire qu’il y a des chrétiens opprimés dans cette zone-là ? Parce que s’il veut déclencher des opérations plus musclées, comme il le fait ailleurs, il faudra qu’il donne une justification fût-elle fallacieuse, notamment en utilisant les statistiques souvent gonflées d’un mouvement évangélique comme « Open Doors ». Il ne faut jamais perdre de vue que dans la base MAGA, on n’aime pas les « aventures extérieures ». Il n’y a pas de souci si on fait du commerce à l’extérieur, mais si on doit faire des « aventures extérieures » ou se mêler des affaires du monde, il faut qu’il y ait une forte justification. Parce que dans le camp MAGA, il n’y a pas que des faucons, il y a aussi des isolationnistes, il y a beaucoup de complotistes qui sont pour un recentrement complet, et qui ne veulent rien entendre de certaines ressources si elles sont extraterritoriales. »
Une intervention militaire américaine au Nigeria est quand même très peu probable pour ces raisons domestiques mais aussi parce que les Américains n’appréhendent absolument pas ce terrain… Trump gronde mais il ne peut guère faire plus ?
« C’est sa technique. Il annonce beaucoup de choses. C’est la rhétorique de la force. Des forces, il peut en mobiliser. Et ça, c’est la nouveauté, parce qu’il les mobilise à grand renfort de contournements de toutes les procédures. En fait, l’objectif, c’est de mettre la pression maximale, même si c’est une pression rhétorique. Ça met un coup de projecteur et ça met quand même les autorités locales sous tension. Et en fait, il ne fonctionne que comme ça. »
On a aussi vu Donald Trump s’imposer dans les négociations de paix entre le Rwanda et la République démocratique du Congo. Ce processus paraît bien plus complexe que le pensait le président américain. Les reports de la signature de cet accord de paix ne cessent de s’additionner. On peut dire qu’il y a parfois de la marge entre la rhétorique dont on vient de parler et les résultats concrets…
« Bien sûr. Il y a quelques jours, on a fait une conférence sur les grands accords de paix divers et variés que Trump nous a annoncés, y compris sur l’Ukraine. En l’espace de six jours, il a parlé d’une paix obtenue en 24 heures, puis en six jours, six semaines et six mois. C’est sa façon de fonctionner. C’est-à-dire qu’en fait, il a un peu un trouble de l’attention de certains dossiers, quitte à se contredire et à annoncer à la tribune des Nations unies qu’il a résolu beaucoup de conflits, certains qui n’existent pas parce qu’il crée de nouveaux États, et puis d’autres qui sont véritablement existants. Ça, c’est aussi assez fort. Pour le public qui l’écoute, confondre l’Albanie et l’Arménie, ce n’est pas grave. Ça ne choque que les vieux Européens. Aujourd’hui, l’administration Trump fonctionne avec moins d’experts, moins de professionnels de la diplomatie et des affaires militaires. Donc, moins de professionnels de la négociation traditionnelle, parce que, tout simplement, elle a purgé une partie de ses équipes et qu’elle ne fonctionne qu’avec des loyalistes. Et sur certains dossiers de politique internationale, on ne peut pas faire l’économie de l’expertise de certains conseillers. »