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par Myriam Charabaty

Un auteur invité, ce jour, Myriam Charabaty, l’une des observatrices les plus aiguisées du Proche-Orient ou, comme elle préfère le dire, de « l’Asie Occidentale ». Elle remet en cause nos certitudes.

Edouard Husson

Edouard Husson – Libres Propos

L’islam est-il synonyme de terrorisme, et le christianisme doit-il lancer une nouvelle croisade ?

Depuis des décennies, c’est le discours qui est repris et répété dans les médias occidentaux, et avec le temps, il semble avoir atteint son objectif et s’être imposé comme une vérité incontestable.

Au départ, l’idéal d’une dichotomie définissant le christianisme comme une foi « civilisée » supérieure, opposée à la foi islamique « hérétique » du « terrorisme » qui ne tolère pas «l’autre », reposait sur des notions eurocentriques d’identité visant à marginaliser un monde qui était, en réalité, plus avancé dans sa structure et plus riche dans son tissu social et ses ressources que l’Europe et l’« Occident » moderne. Ce monde était, et reste, le monde arabe, le monde même où le Christ a vécu, prêché et accompli le miracle ultime du sacrifice et de la résurrection au service de l’humanité et des opprimés.

Cette vision a même présenté les croisades de manière simpliste comme un « choc des civilisations » religieuses entre le christianisme et l’islam, ce dont nos médias tirent aujourd’hui parti.

Cet argument a été avancé dans le passé par Samuel Huntington dans The  Clash  of  Civilizations  and  the  Remaking  of  World  Order, qui visait à ancrer une perception eurocentrique et orientaliste de l’Orient et des Arabes.

Pourtant, la réalité est beaucoup plus complexe, et cette vision déforme non seulement l’histoire, mais ignore également les témoignages des chrétiens arabes locaux qui vivaient dans la région à l’époque.

De même, aujourd’hui, l’idée d’un Occident chrétien « moderne » et « démocratique » en guerre contre un « monde islamique arriéré » qui opprime les femmes et « menace » les «valeurs » chrétiennes et la continuité en Asie occidentale est un scénario que Hollywood a répété dans des centaines et des milliers de films et de séries télévisées pendant des décennies.

En dépeignant les terroristes comme des « musulmans barbares », des « immigrants sans visage » ou tout autre groupe commodément « marginalisé », ce scénario ne vise pas seulement à susciter l’adhésion à une intervention étrangère, mais aussi à atteindre un objectif plus important : ancrer l’idée que la guerre contre les Arabes doit être menée à l’étranger avant qu’elle ne menace l’Occident chez lui.

Le même scénario apparaît dans le discours politique, dans un contexte de montée évidente du nationalisme chrétien, qui n’a pas grand-chose à voir avec le christianisme et beaucoup plus avec la renaissance d’une idéologie suprémaciste blanche utilisant le prétexte que « l’Occident chrétien blanc » est supérieur à tout le reste.

Prenons par exemple Tommy Robinson, qui, lors d’un voyage financé par des lobbys sionistes en Palestine occupée, que l’on appelle « Israël », a tenu des propos en réponse à la journaliste arabe primée Hala Jaber, laquelle avait réfuté ses affirmations de « sionisme chrétien ». Robinson prétendait que le Hamas, selon lui, « les mauvais musulmans », voulait « tuer » la famille musulmane qui, depuis des siècles, protège l’église du Saint-Sépulcre et en détient les clés. Une accusation absurde venant d’un Robinson ignorant de l’histoire : il oublie que le Hamas a, à plusieurs reprises, protégé les églises de Gaza, celles-là mêmes qu’Israël a bombardées.

Une menace pour les Européens chez eux (en Europe) et les Arabes chez eux (dans les pays arabes)

La vision que nous venons de retracer menace non seulement l’Europe elle-même, mais elle instrumentalise également les tragédies des peuples qui ont payé le prix de la domination étrangère déployée par la colonisation, l’expansion impériale, l’exploitation capitaliste et l’occupation militaire directe.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe et l’Occident ont assuré leur accès à des ressources vitales en établissant des États clients dociles tels que les monarchies du Golfe, le Liban et la Jordanie, garantissant ainsi un approvisionnement régulier en pétrole et un levier géopolitique.

D’autres États, comme l’Irak et la Syrie, se sont toutefois révélés beaucoup moins durables sous un tel contrôle. L’Irak reste dans une large mesure sous l’influence occidentale, bien qu’il ait été affaibli depuis 2003. La Syrie n’était pas particulièrement favorable à l’occupation, ce qui a conduit à la bataille de Maysaloun en 1920, contre les Français et leurs alliés.

Et puis, malgré le mandat français, qui n’a pas réussi à consolider son influence, la Syrie est restée le cœur de la dignité et de la sagesse du monde arabe.

Permettez-moi de vous expliquer cela en vous racontant un incident important dont aucun livre d’histoire ne vous parlera :

Au printemps 1945, alors que les Nations unies nouvellement créées se réunissaient à San Francisco, les délégués, affichant leurs privilèges coloniaux, s’exprimaient en français et en anglais, traçant des lignes dans le sable pour concevoir l’ordre mondial d’après-guerre. Puis vint un représentant syrien qui refusa de s’incliner.

Le Premier ministre syrien de l’époque, Fares al-Khoury, un homme issu d’un petit village qui s’était fait entendre pour défendre l’indépendance de la Syrie, s’est dirigé délibérément vers le siège du délégué français et s’est assis. La salle s’est figée. Quelques instants plus tard, l’ambassadeur français s’est approché et lui a demandé de quitter son siège.

Al-Khoury a levé les yeux et a répondu calmement : « Vous êtes outré que je me sois assis sur votre siège pendant cinq minutes. Imaginez ce que les Syriens ont ressenti après 25 ans d’occupation de votre part ».

En Syrie, jusqu’à ce que les États-Unis, le Royaume-Uni et le bloc sioniste réussissent à renverser le régime en décembre 2024, la résistance arabe était ancrée dans la politique gouvernementale. Grâce à cette politique, les mouvements de résistance étaient non seulement protégés, mais aussi accueillis, formés, armés et bénéficiaient d’un espace leur permettant de consolider leur identité d’ennemis des impérialistes et des occupants.

L’Occident se sentait très menacé par l’idée que certains Arabes soient prêts à se battre et à sacrifier leur vie pour conquérir la liberté, car ce faisant, ils réduiraient progressivement la sphère d’influence des occupants et, avec le temps, revendiqueraient leur droit à leurs ressources, dépouillant les impérialistes de leurs gains illégitimes.

Et avec la révolution iranienne de 1979, l’Occident a perdu l’un de ses piliers stratégiques dans la région : la dictature du Shah en Iran. Cela a eu un effet boule de neige, donnant un élan supplémentaire aux mouvements de résistance dans la région, qui ont redécouvert non seulement leur identité, mais aussi leur foi.

Sous l’imam Khomeini, l’islam est passé d’un rituel symbolique à une compréhension vivante et active du message du prophète Mahomet (La paix soit sur lui !)), de son fils l’imam Ali et de ses petits-fils l’imam Hassan et l’imam Hussein. Ce message était ancré dans le refus de se soumettre au mensonge pour se préserver et dans la défense de la dignité et de la vérité avant tout. C’est un message qui trouve un profond écho dans le christianisme authentique.

À partir de ce moment, reprendre l’influence sur ces régions est devenu un objectif central de l’Occident, non seulement pour réaffirmer sa domination et sécuriser ses exploits, mais aussi pour supprimer tout modèle d’indépendance susceptible de libérer l’Asie occidentale de l’hégémonie menée par les États-Unis et le Royaume-Uni.

Pour l’Europe, un tel changement signifierait la perte de l’accès aux ressources et à la stabilité dont dépend encore sa prospérité. À l’époque, la lutte pour la libération ne concernait pas uniquement les musulmans. Les chrétiens faisaient partie de cette résistance régionale, de l’ancien Premier ministre syrien Fares al-Khoury à l’archevêque Hilarion Capucci, qui a consacré sa vie à la cause palestinienne.

Pourquoi est-ce important ? Parce qu’un islam capable de briser la sphère d’influence occidentale est devenu l’ennemi ultime. Pour le combattre, l’Occident n’a pas choisi la croisade, du moins pas ouvertement, mais l’infiltration. Par le biais de régimes clients, de cheikhs à sa solde et de prêtres dociles, l’Occident a cherché à subvertir la religion contre elle-même, en créant un islam guidé par son agenda et en promouvant le faux discours du «sauvetage des chrétiens au Moyen-Orient ».

Mais cela signifiait faire face à un héritage de résistance arabe enraciné dans les positions réelles et publiques prises par des personnalités inspirantes de l’histoire de la région. Les États clients (les États du Golfe, la Jordanie et finalement l’Égypte) étaient dociles ; l’ennemi du bloc impérialiste était la résistance. Un autre extrait de l’histoire montre que cet héritage n’est pas seulement contre les musulmans, mais aussi contre les chrétiens. Al-Khoury, confronté au discours du « sauveur blanc du christianisme arabe », a répondu :

« Si la France prétend avoir occupé la Syrie pour protéger les chrétiens contre les musulmans, alors moi, en tant que chrétien, je demande la protection de mon propre peuple syrien », avant de proclamer, depuis la chaire de la mosquée des Omeyyades : « La Ilaha Illa Allah [Il n’y a pas d’autre dieu que Dieu] ».

Il s’agissait d’un chrétien récitant une prière dans une mosquée sunnite.

Pendant ce temps, l’Occident continue de se présenter comme l’incarnation des « valeurs humaines », tout en soutenant des génocides et des massacres à travers le monde. Son objectif reste le même : mobiliser les populations sous n’importe quelle bannière susceptible de remodeler et de fragmenter l’identité arabe en la réduisant au terme colonial « Moyen-Orient». Ce terme est en soi ancré dans la perspective géographique et impériale britannique. Tout cela sert un seul objectif : maintenir son flux de ressources et de richesses, et protéger l’Europe et l’Occident des conséquences de leurs inévitables crises économiques.

Le terme le plus approprié, du point de vue de l’auteur, une chrétienne arabe, qui cherche à redonner au monde arabe son identité légitime en tant que partie intégrante d’un monde islamique plus large, et dans sa véritable géolocalisation, est « Asie occidentale », la partie occidentale du continent asiatique qui a longtemps supporté les fardeaux entremêlés de la foi et de la colonisation.

Mais soyons clairs, il ne s’agit pas ici de défendre l’islam. L’islam n’a pas besoin d’un chrétien pour défendre son honneur. Les musulmans eux-mêmes s’opposent depuis longtemps aux représentants occidentaux qui tentent de ternir leur réputation et d’exploiter une division sectaire artificielle dans la région.

Ceci est une explication destinée à ceux qui sont induits en erreur par des discours exploiteurs et qui sont empêchés de voir la vérité par la simplification constante d’événements profondément politiques. C’est également un témoignage d’une chrétienne arabe rendant hommage aux sacrifices des musulmans qui ont non seulement défendu le monde arabe et islamique, et continuent de le faire, mais qui ont également protégé l’existence même des chrétiens arabes dans cette région, alors que l’alliance impérialiste s’est efforcée de créer les conditions qui provoqueraient un exode catastrophique des chrétiens de la région.

L’obsession des médias occidentaux pour les discours sectaires n’est pas fortuite. Il s’agit d’une stratégie délibérée visant à diviser les sociétés, à déformer l’image de la région et à affaiblir l’unité qui existait autrefois entre musulmans et chrétiens. Son objectif est de faire en sorte que l’identité unifiée des Arabes dans leur ensemble ne soit pas mentionnée dans les écrits ou les discours destinés au public occidental.

Pourtant, sur le terrain, l’unité a surmonté ces défis, de l’Irak à la Syrie, en passant par le Liban et la Palestine. Chaque titre qui parle de « violence religieuse » sans contexte sert un seul objectif : présenter la domination néocolonialiste comme une croisade morale tout en marginalisant les peuples qu’elle prétend protéger.

Il s’agit d’un concept conçu pour justifier l’occupation, les sanctions et les guerres par procuration, le tout caché derrière les termes « civilisation », « démocratie » et « sauvetage des minorités ». C’est une manœuvre de l’alliance occidentale rapace.visant à fabriquer le consentement.

Exploiter le sectarisme pour infiltrer et occuper

Le sectarisme se nourrit de divisions : entre sunnites et chiites, musulmans et chrétiens, Arabes et Perses — des catégories qui s’effondrent dès que les populations sur le terrain s’unissent contre la même main étrangère qui façonne leur destin.

En Irak, lorsque l’Etat islamique a balayé Mossoul et la plaine de Ninive en 2014, massacrant des civils et détruisant des églises, ce sont les Forces de mobilisation populaire (PMF), une alliance de combattants irakiens de toutes les sectes, qui se sont levées pour les affronter. Parmi elles se trouvaient des unités chiites, des brigades chrétiennes comme la Brigade Babylone et des volontaires tribaux.

Ils ont combattu côte à côte pour reconquérir l’Irak, y compris les villages chrétiens, reconstruire les églises et rétablir la coexistence.

Ce que les observateurs occidentaux ont appelé les « milices chiites » étaient en fait des Irakiens défendant leur terre contre une organisation née du financement étranger et de l’occupation.

En Syrie, l’armée arabe syrienne, composée de chiites, de sunnites, d’alaouites, de chrétiens, de druzes et même de Kurdes, s’est battue non pas pour sa secte, mais pour la survie d’une nation souveraine et inclusive. Pendant le siège de l’hôpital Al-Kindi à Alep en 2013/2014, des soldats de toutes origines ont enduré ensemble la faim et les bombardements.

Des témoignages locaux racontent que des soldats chrétiens ont partagé leur nourriture avec leurs camarades musulmans qui jeûnaient alors que les soi-disant « rebelles », armés et coordonnés par les gouvernements occidentaux, se rapprochaient.

À cette époque, ces terroristes étaient célébrés dans les gros titres occidentaux comme « le peuple syrien ». Lorsque leur nom a changé pour devenir Jabhat al-Nusra (Al-Qaïda en Syrie), ils ont été présentés comme des « rebelles modérés » lorsque cela était nécessaire et comme des ennemis du christianisme lorsque cela était approprié, selon la région et le discours.

Au Liban, les Forces libanaises, un parti allié aux États-Unis, ont proclamé leur soutien aux Frères musulmans syriens (Armée syrienne libre) soutenus par l’Occident, qui menaçaient ouvertement les chrétiens, en particulier dans des endroits comme la Vallée des chrétiens (Homs) et Al Sqeilbiyyeh, une ville chrétienne orthodoxe au nord de Hama. Dans le même temps, les médias occidentaux ont présenté les brigades takfiristes responsables du nettoyage ethnique comme des « combattants de la liberté » afin de maintenir les discours qui allaient finalement renverser le gouvernement syrien.

Finalement, le Front al-Nosra a été rebaptisé HTS afin de le distancier de la sauvagerie d’Al-Qaïda en Syrie. Cela visait également à préparer son accession au pouvoir en tant que nouveau membre des États clients de la région.

Parmi les soldats qui sont devenus les symboles de cette lutte commune figurait Ibrahim al-Hallak, un musulman sunnite d’Alep qui, au milieu de la bataille, a regardé la caméra et a déclaré : « Wallah l-namḥīha » (« Par Dieu, nous l’effacerons »). Il parlait de l’État islamique et de l’extrémisme importé qui fragmentait son pays.

Ses paroles sont devenues un cri national : un soldat sunnite combattant aux côtés de ses camarades alaouites, chiites, chrétiens et druzes contre le terrorisme imposé de l’étranger. Il a ensuite été martyrisé, mais ses paroles lui ont survécu.

Le même esprit animait Mufti Ahmad Badreddin Hassoun, l’ancien Grand Mufti de Syrie (photo ci-dessus), aujourd’hui emprisonné et torturé par le régime de Jolani (Ahmed Al Sharaa). Lorsque son fils a été assassiné par des militants en 2013, il a publiquement pardonné aux meurtriers et appelé au dialogue inter-syrien. Il a refusé de transformer son chagrin en vengeance sectaire.

Plus tard, alors que le HTS consolidait son pouvoir dans le nord, Hassoun a disparu de la vie publique, réduit au silence pour avoir rejeté le discours qui réduisait la guerre en Syrie à une guerre civile religieuse ou sectaire, plutôt qu’à une guerre contre l’alliance impérialiste et ses factions takfiristes étrangères.

Lorsque le célèbre journaliste Robert Fisk s’est entretenu avec le mufti en 2013, voici ce que celui-ci lui a dit :

Je suis le mufti de tous les Syriens – musulmans sunnites, chrétiens, alaouites, druzes – de toute la diversité des sectes que nous avions avant la guerre. Il n’y a pas d’autre choix que la réconciliation ; c’est la seule voie possible pour revenir en arrière. Mais pour proposer la réconciliation, nous devons d’abord éliminer la « main extérieure ».

2025 : le mufti Hassoun, détenu dans une prison takfiri secrète en Syrie, risque l’exécution et a subi des tortures selon des sources à l’intérieur de la Syrie.

En bref, ce que l’Occident appelle le sectarisme est en réalité un projet colonial qui a tiré parti des différences sociétales entretenues par les médias, renforcées par les salaires et la politique étrangère, pour être ensuite sanctifié par un discours sur la haute moralité occidentale : « L’islam n’est pas compatible avec les valeurs occidentales » ou « L’islam n’est pas compatible avec les valeurs chrétiennes ».

Ce même discours a également privé les chrétiens arabes de leurs droits.

En faisant du « christianisme » un marqueur occidental et en insistant sur le fait que l’islam est intrinsèquement hostile aux chrétiens, ce discours dépouille les chrétiens arabes de leur histoire, de leur langue et de leur place dans la région. Il présente leur foi comme étrangère, comme si elle appartenait à l’Europe plutôt qu’à Damas, Alexandrie, Beyrouth ou al-Quds (Jérusalem).

Il érode la mémoire vivante de la coexistence et de l’identité régionale. Ainsi, le seul avenir plausible devient la séparation ou la disparition.

En réalité, le discours selon lequel « l’islam est l’ennemi » ne protège pas les chrétiens ; il efface leur identité arabe et rend leur survie dépendante des puissances étrangères plutôt que des sociétés communes qu’ils ont historiquement construites, avec toutes les autres sectes et croyances.

Politique étrangère et « fabrication » de l’extrémisme

Des documents divulgués et déclassifiés retracent comment les puissances extérieures ont alimenté la montée des groupes extrémistes régionaux. En août 2014, un courriel provenant des archives Podesta reconnaissait que l’Arabie saoudite et le Qatar fournissaient un soutien financier et logistique clandestin à l’Etat islamique et à d’autres groupes sunnites radicaux, et exhortait les États-Unis à faire pression sur ces deux gouvernements.

La note, vérifiée par la suite par des journalistes, confirmait que Washington savait que ses alliés finançaient des terroristes.

Deux ans plus tôt, un rapport de la Defense Intelligence Agency (Agence de renseignement de la défense) de 2012 prédisait l’émergence d’une « principauté salafiste » dans l’est de la Syrie et l’ouest de l’Irak, précisément la région que l’Etat islamique contrôlait par la suite. Le rapport montre une connaissance préalable de ce que ces guerres par procuration allaient engendrer.

Agence de renseignement de la défense américaine (DIA), Rapport de renseignement : La situation générale en Syrie (R 050839Z AUG 12), 12 août 2012. Déclassifié en mai 2015 en vertu de la loi FOIA (affaire n° 14-F-812).

Le rapport du Pentagone indiquait en outre :

« Si la situation se détériore, il est possible qu’un principauté salafiste déclarée ou non déclarée soit établie dans l’est de la Syrie (Hasaka et Der Zor), et c’est exactement ce que souhaitent les puissances qui soutiennent l’opposition afin d’isoler le régime syrien ».

L’héritage britannique remonte toutefois à bien plus loin

Pendant la Première Guerre mondiale, Londres a cultivé Ibn Saoud et le mouvement wahhabite, signant le traité de Darin (1915) et le traité de Djeddah (1927). Des officiers britanniques, tels que St. John Philby et le tristement célèbre Lawrence d’Arabie, ont contribué à consolider cette alliance. L’intention était politique : construire une puissance fiable en Arabie et soutenir le projet sioniste mené par les Britanniques en Palestine.

Le résultat inattendu a été l’internationalisation du wahhabisme, une idéologie fanatique utilisée comme une arme par l’Occident et « Israël » contre l’axe de la résistance, tout en continuant à défendre le discours discrédité de la « guerre contre le terrorisme ».

Le wahhabisme lui-même est plus ancien, mais son rayonnement mondial est dû à la richesse pétrolière des pays arabes du Golfe et au soutien de leurs États. La plupart des Arabes, musulmans comme chrétiens, se sont opposés à son extrémisme, préférant l’islam inclusif qui a coexisté avec toutes les autres confessions pendant des siècles au Levant, en Mésopotamie et en Afrique du Nord.

Le même schéma s’est répété pendant la guerre froide. L’opération Cyclone a armé les Afghans et les a salués comme des « combattants de la liberté » pour provoquer la chute de l’Union soviétique.

De ce réseau sont issus Al-Qaïda et toutes ses branches, puis, des décennies plus tard, Daech. Chacun d’entre eux était le produit d’une influence extérieure fondée sur l’exploitation réussie des conflits internes d’un tissu social complexe et vaste, et non sur une identité religieuse régionale authentique ou naturelle vis-à-vis de ce tissu social complexe.

Voici le cycle : les organisations terroristes soutenues par des puissances étrangères comme Daech, Al-Qaïda, Jabhat al-Nusra et HTS sont des créations des économies de guerre et des alliances de renseignement étrangères.

En revanche, les mouvements de résistance islamiques et les milices chrétiennes en Syrie, au Liban, en Irak et en Palestine sont des groupes de résistance armés constitués par le peuple, défenseurs de leurs foyers, et non des instruments d’agendas étrangers.

Takfirisme : la théocratie comme arme politique pour l’empire

Nous devons être précis au sujet du Takfīr. Il a sa place dans la jurisprudence islamique en tant qu’acte juridique et théologique consistant à déclarer quelqu’un comme mécréant. Historiquement, cependant, il ne s’agissait pas d’un permis de tuer tous ceux qui n’étaient pas d’accord ou refusaient de se conformer. La loi islamique authentique a développé des limites, des procédures et des prescriptions morales autour de cette accusation.

Une « personne du Livre » (chrétien, juif, samaritain) ne pouvait pas être simplement tuée. Les chrétiens et les juifs occupaient une place protégée dans les communautés musulmanes ; ils étaient des voisins, des contribuables et parfois des collègues fonctionnaires. Même lorsque les disputes théologiques étaient vives, la pratique courante dans la région était largement celle de la coexistence et de la retenue juridique afin d’éviter les conflits sectaires.

Cette nuance est importante, car le takfirisme moderne est une déformation de cette tradition. Entre les mains d’entrepreneurs politiques, il s’est affranchi des anciennes contraintes juridiques et est devenu un instrument brutal. Le takfir a été politisé et utilisé comme une arme par l’Occident et ses alliés régionaux.

Les acteurs impérialistes de mauvaise foi à la recherche de mandataires ont compris que qualifier un groupe ou un dirigeant ennemi d’« infidèle » justifiait la violence extrajudiciaire et le nettoyage social au nom de l’aventurisme militaire occidental.

L’ennemi identifié par les factions takfiristes changeait en fonction des besoins de leurs protecteurs ; selon les opportunités politiques, l’ennemi pouvait être les nationalistes laïques, les alaouites, les chiites, les druzes, les chrétiens ou même les musulmans sunnites qui rejetaient l’extrémisme takfiriste et les agendas étrangers menaçant leur pays d’origine.

Cette stratégie impérialiste peut être identifiée comme deux canaux d’influence distincts. L’un était l’islam politique tel que pratiqué par des groupes comme les Frères musulmans, qui ont introduit de nouveaux réseaux et un nouveau vocabulaire politique que les soutiens étrangers pouvaient manipuler.

L’autre voie, beaucoup plus directe, pour déstabiliser un pays cible, consistait à exporter les doctrines puritaines salafistes-wahhabites de la péninsule arabique, avec le soutien financier et institutionnel de l’État.

Les réseaux wahhabites ont financé des écoles, imprimé des textes et placé des prédicateurs dans toute la région. Ils ont également exporté cette idéologie vers les communautés musulmanes occidentales en vue de leur exportation vers des théâtres de guerre, par exemple en Syrie.

Ce réseau a produit des cadres prédisposés à une lecture plus étroite et plus exclusive de l’islam et qui, une fois formés et armés, pouvaient être transformés en terroristes takfiris qui ont commis des atrocités contre le peuple syrien depuis 2011, avec une augmentation incontestable de la violence takfiri depuis décembre 2024.

Le takfiri moderne est donc un produit politique modifié. Il adopte un langage religieux extrême tout en servant des fins politiques. Les mandataires takfiris sont prêts à déclarer la guerre religieuse même aux musulmans les plus pieux s’ils ne se conforment pas à l’idéologie ou aux politiques takfiries.

Les chefs religieux comme le mufti Hassoun, qui prêchaient l’inclusivité religieuse et la réconciliation en Syrie, qui refusaient de transformer l’identité nationale en une question sectaire, ont été attaqués, non pas parce qu’ils violaient leurs propres commandements sacrés, mais parce qu’ils refusaient de se plier à l’agenda politique extérieur des agents takfiris.

En bref, le takfirisme a été utilisé comme une arme pour briser les liens civiques, détruire la pluralité syrienne et empêcher la croissance de communautés arabes islamiques inclusives dans la région qui pourraient résister à l’occupation et à l’exploitation coloniale.

C’est pourquoi attribuer l’étiquette « islam » à chaque groupe militant est un mensonge politique. Les milices takfiristes et les idéologies qu’elles défendent, sur fond de mercenariat, sont souvent hostiles aux courants islamiques indigènes du monde arabe.

Elles sont les ennemies non seulement des chrétiens et des laïcs, mais aussi des érudits musulmans traditionnels, des traditions soufies et des mouvements nationaux qui refusent la colonisation. Le discours occidental qui ne fait pas cette distinction finit par promouvoir la fiction même que le takfirisme a été conçu pour imposer : que l’islam lui-même est monolithique et meurtrier. En vérité, mis à part le takfirisme politique, la véritable lutte oppose ceux qui possèdent la terre et ceux qui profitent de son démembrement.

La maison des Saoud : le premier régime client

Le financement de l’extrémisme n’a pas commencé avec l’État islamique. Il a commencé lorsque la Grande-Bretagne a décidé de créer le royaume d’Arabie saoudite, mettant au pouvoir une « monarchie » tribale qui avait autrefois été isolée en raison de sa violence et de son fanatisme. La maison des Saoud, alliée au mouvement wahhabite, a été transformée en un « royaume » qui servirait les intérêts impérialistes occidentaux et l’entité sioniste par le biais du pétrodollar.

Les traités de Darin et de Djeddah mentionnés ci-dessus ont ouvert la voie à la légitimation par l’impérialisme britannique du règne despotique d’Ibn Saoud sur la péninsule arabique, donnant le pouvoir à une famille dont la conception de l’islam était si extrême qu’elle était rejetée par la majorité des Arabes. Ce qui n’était qu’une secte marginale confinée à la région du Najd en Arabie saoudite a été rebaptisé « véritable islam » afin d’assurer l’influence de la Grande-Bretagne sur les terres saintes.

Le mouvement sioniste a également été qualifié de secte antisémite par la majorité des Juifs à la fin du XIXe siècle. Sans la gestion britannique de ces deux mouvements fanatiques, leur existence à long terme aurait été compromise. La carte ci-dessous montre l’expansion de l’influence d’Ibn Saoud en Arabie saoudite de 1902 à 1932 :

Lorsque le pétrole a été découvert, l’alliance saoudienne avec l’axe impérialiste s’est renforcée. Le nouveau royaume est devenu la création la plus servile de l’Occident : une entité politique structurée pour garantir l’accès de l’Occident à l’énergie, réprimer les mouvements anticolonialistes et protéger l’entité sioniste contre les acteurs de la résistance régionale. Les États-Unis ont ensuite remplacé la Grande-Bretagne en tant que principal sponsor, liant l’Arabie saoudite à des traités de défense et à une dépendance en matière d’armement par le biais d’accords tels que l’accord d’assistance mutuelle en matière de défense de 1951.

Les Britanniques étaient responsables du commerce d’armes Al-Yamamah qui liait Riyad au complexe militaire britannique. Ce qui suit est tiré d’une enquête « corruption-tracker » sur les malversations qui ont entaché les relations entre BAE Systems et le prince Bandar Bin Sultan:

« La série d’accords sur les armes Al Yamamah avec l’Arabie saoudite était, et reste, le plus important contrat d’armement jamais conclu par la Grande-Bretagne, rapportant au principal contractant, BAE Systems, au moins 43 milliards de livres sterling de revenus entre 1985 et 2007, et d’autres contrats sont toujours en cours. En 1985, les gouvernements britannique et saoudien ont signé un premier protocole d’accord qui a débouché sur une série de contrats portant sur des avions de combat et divers autres équipements militaires et services de soutien pour la période 1985-1993.

Des allégations de corruption ont immédiatement fait surface, mais les enquêtes ont été contrecarrées jusqu’à ce qu’une importante cache de documents soit divulguée au début des années 2000. Une enquête menée par le Serious Fraud Office (SFO) du gouvernement britannique a révélé des paiements de « commissions », ou pots-de-vin, totalisant pas moins de 6 milliards de livres sterling versés par BAE Systems à des membres de la famille royale saoudienne et à d’autres personnes. L’un des principaux bénéficiaires de ces paiements, dont plus d’un milliard de livres sterling, était le prince Bandar bin Sultan, fils du prince héritier saoudien. Cependant, l’enquête du SFO a été interrompue par le gouvernement britannique en 2006, sous la forte pression des Saoudiens ».

Le Yémen, berceau ancestral de l’identité arabe et voisin de la maison des Saoud au sud, a rejeté cet ordre imposé. Les hauts plateaux yéménites et le lieu de naissance des premières tribus arabes avaient préservé l’essence linguistique, culturelle et historique de la civilisation arabe bien avant l’existence des monarchies pétrolières. La résistance du Yémen aujourd’hui n’est pas une rébellion, mais une continuité : la défense d’une authenticité arabe ancienne qui remet en question la construction coloniale et la menace d’extinction.

La création de l’Arabie saoudite a marqué le début de l’extrémisme soutenu par l’État. Sa doctrine wahhabite, exportée par les écoles, les mosquées et les médias, est devenue le germe idéologique des mouvements takfiris modernes. La maison des Saoud n’était pas un allié de l’Occident, elle était et reste une extension de l’Occident, un régime client créé pour imposer la « stabilité » par l’obéissance au wahhabisme ou l’instabilité par des guerres religieuses suprémacistes à la demande du complexe industriel impérial.

Comment « West Point » présente la même guerre

Même au sein des institutions américaines, cette distinction est étudiée mais rarement admise. Au Combating Terrorism Center de West Point, les analystes reconnaissent que des groupes tels que le Hezbollah et les Forces de Mobilisation Populaire ont combattu et vaincu l’Etat islamique et Al-Qaïda, mais ils les qualifient de « milices ou mandataires alignés sur l’Iran » ou de « menaces hybrides ».

Leurs recherches se concentrent sur la stratégie, écartant la notion de souveraineté dans les entités créées par l’Occident telles que Sykes-Picot ou partout où ils n’ont pas consolidé leur pouvoir.

Le CTC enseigne le « contre-cadrage », qui consiste essentiellement à façonner des récits visant à saper la légitimité d’un adversaire plutôt qu’à comprendre l’origine d’un conflit. Ce que ces études appellent « terrorisme » ou « réseaux miliciens » sont, dans la réalité arabe, des formations de défense nationale qui ont vu le jour lorsque l’État central s’est effondré sous le poids de l’invasion et des sanctions économiques et des blocus.

Ce qui importe le plus ici, c’est de faire une distinction indéniable : l’État islamique et Al-Qaïda sont des terroristes soutenus par des puissances étrangères, tandis que le Hezbollah, les Forces de Mobilisation Populaire et les unités de défense chrétiennes locales sont des mouvements de résistance populaires. Les uns servent l’occupation, les autres y résistent.

Fabriquer le consentement : le modèle syrien des « Casques blancs »

L’intervention occidentale dans le monde arabe est rarement présentée comme la conquête de facto qu’elle est. Elle est vendue comme une « responsabilité de protéger » accompagnée de principes « humanitaires ». Cela n’est nulle part plus évident que dans le cas des Casques blancs, un groupe auxiliaire d’Al-Qaïda en Syrie, financé et promu par les gouvernements occidentaux comme une force humanitaire pour le bien en Syrie.

La journaliste d’investigation Vanessa Beeley a documenté la double fonction de l’organisation : l’une visible, et l’autre cachée. Dans son reportage de 2019 sur 21st Century Wire, elle a fait valoir que les Casques blancs, majoritairement sectaires et membres des Frères musulmans (renforcés par la suite par des membres du Front al-Nosra), n’étaient pas une ONG de secours neutre, mais le bras politique du projet de changement de régime, une extension des réseaux de renseignement occidentaux chargés de gérer la perception publique de la guerre et de couvrir les multiples groupes terroristes avec lesquels ils travaillaient.

Les scènes de sauvetage mises en scène, écrit-elle, constituaient la façade visible, l’outil permettant de rallier la sympathie internationale et de mobiliser le soutien politique en faveur d’une intervention occidentale et d’une « zone d’exclusion aérienne » qui, comme l’a admis Hillary Clinton, conduirait à davantage d’effusions de sang pour le peuple syrien. Grâce à des images manipulatrices et à des campagnes médiatiques, le groupe a transformé les récits militaires en impératifs moraux, présentant l’intervention comme un sauvetage et l’agression comme une aide.

Mais derrière cette façade se cachaient des opérations secrètes : Vanessa Beeley a relayé les témoignages de civils syriens accusant le groupe d’être impliqué dans le trafic transfrontalier d’organes et l’enlèvement d’enfants, des crimes protégés de toute poursuite judiciaire par l’image humanitaire de l’Occident. Ces allégations, bien que presque entièrement ridiculisées et marginalisées par les médias traditionnels qui défendent l’organisation, révèlent comment l’exploitation et la propagande peuvent coexister sous un même toit, l’une pour la consommation publique, l’autre pour le profit privé et l’utilisation secrète.

Cette stratégie a été inventée bien avant la guerre de changement de régime contre la Syrie. Chaque guerre impériale arrive drapée dans des habits « humanitaires ». Les mêmes puissances qui arment et promeuvent des groupes armés par procuration et imposent des mesures coercitives unilatérales à des populations entières, financent également des campagnes « pour les droits de l’homme » et se récompensent elles-mêmes par des prix pour la paix.

Les Casques blancs, comme le montre le reportage de Vanessa Beeley, sont l’un des visages de ce système, celui qui sourit aux caméras tandis que les mains sèment le chaos et permettent les effusions de sang dans l’ombre.

La méthode utilisée par l’Empire pour soumettre les peuples et les États résistants est cohérente. Il instrumentalise délibérément la compassion pour transformer la souffrance en spectacle et faire croire au public que la guerre est une miséricorde pour la population qu’elle touchera le plus. C’est ce mécanisme – la conversion du terrorisme en récit, voire souvent en controverse – qui entretient l’illusion d’une « guerre morale » et transforme l’exploitation en « paix par la force ».

Le projet takfiri de l’Occident revient à la maison

L’extrémisme que l’Occident a créé de toutes pièces grâce aux mécanismes d’exploitation brièvement expliqués ci-dessus et qu’il a financé dans les mondes arabe, islamique et africain est maintenant revenu dans les capitales mêmes qui l’ont nourri.

Pendant des décennies, les agences de renseignement occidentales et leurs clients du Golfe ont versé de l’argent et des armes à des factions idéologiquement rigides afin de fracturer les sociétés arabes et de contenir les mouvements nationalistes ou de gauche dans le but de fragmenter la région, de maintenir cette fragmentation et de poursuivre l’extraction et l’exploitation des ressources et des marchés.

Aujourd’hui, les conséquences se déplacent vers l’ouest. La même idéologie, autrefois exportée sous le parrainage wahhabite et dans le cadre d’opérations secrètes, trouve des adeptes dans les banlieues européennes et les réseaux en ligne.

L’extrémisme à Londres, Paris ou Berlin est traité comme un problème national isolé, mais le terrain a été préparé par des décennies de politiques qui ont mélangé armes, pétrole et fondamentalisme avec la notion de « sécurité nationale ».

Cette exploitation a donc entraîné un surplus économique pour l’Occident, tout en imposant un sous-développement durable, voire un dé-développement, dans le reste des régions où elle opérait.

Pendant ce temps, les régimes clients poursuivent leur double mission. L’argent saoudien et qatari afflue non seulement vers les milices terroristes dans le monde arabe et islamique, mais aussi vers les capitales occidentales.

Dans les régions déstabilisées du monde, on parle d’« aide » et de « devoir religieux », tandis que dans les capitales occidentales, on parle d’investissements, d’immobilier, de groupes de réflexion et de réseaux religieux, mais il s’agit en réalité d’une influence bien établie.

Des rapports de la Henry Jackson Society documentent le financement saoudien de la prédication extrémiste en Grande-Bretagne, tandis que les fonds souverains qataris ont acheté pour des milliards de livres sterling de biens immobiliers et d’infrastructures à Londres, par exemple.

Ainsi, lorsque l’Occident est confronté à des attentats dans ses propres villes, il est confronté à une création dont il est lui-même responsable. Et au lieu de reconnaître cette vérité, il ravive un vieux mythe en utilisant un discours croisé et orientaliste opposant « le christianisme à l’islam » pour justifier de nouvelles guerres qui n’ont rien à voir avec le Christ ou Mahomet, mais tout à voir avec le profit, l’hégémonie et le contrôle par procuration.

D’autre part, il semble y avoir une augmentation légitime en Occident des conversions à l’islam. Il s’agit souvent de l’islam occidental, mais peu importe.

Il ne faut pas y voir la victoire d’une religion sur une autre, mais le reflet de l’échec moral de l’Église, toutes confessions confondues, à s’exprimer alors que l’humanité était crucifiée sous ses yeux.

Alors que des guerres, des sanctions et des génocides se déroulaient au nom de la politique, les Églises sont restées silencieuses, liées par la diplomatie ou la crainte de représailles.

Certaines confessions de l’islam, quant à elles, ont offert une clarté morale là où le christianisme institutionnel est tombé dans un coma de prudence. Les mouvements de résistance ont agi, ils ne se sont pas contentés de prêcher.

Cela a été particulièrement évident tout au long de la guerre contre le monde arabe, où le véritable islam du prophète Mahomet a incarné par ses actions l’amour et le sacrifice prêchés par Jésus, en s’opposant fermement au terrorisme occidental dont l’Église a timidement parlé, voire pas du tout, et qu’elle n’a jamais vraiment cherché à éradiquer.

Ainsi, pour beaucoup, l’islam n’est pas devenu l’ennemi du Christ, mais l’écho de son message à une époque où ceux qui se réclament de son nom oublient souvent son appel et déforment sa mission, qui est claire comme le jour : le christianisme est l’option préférentielle des opprimés. Tout autre christianisme est en fin de compte dépourvu de son message fondamental de bonté, d’amour et de sacrifice.

Le véritable islam en première ligne d’une guerre contre l’empire

De ce côté-ci du monde, le véritable islam Mahomet a été à l’avant-garde de la lutte contre les mandataires extrémistes takfiris. C’est l’islam du service et de la résistance, sans compréhension cumulative de la multiplicité des croyances et des confessions.

C’est, comme vous l’avez vu, l’islam de ceux qui se sont tenus aux côtés des chrétiens en Syrie, en Irak, au Liban et en Palestine pour défendre la terre contre le terrorisme importé.

Comme l’a déclaré le leader martyr de la résistance islamique au Liban, Sayyed Hassan Nasrallah, lors d’un discours prononcé en 2014 annonçant la décision d’affronter l’État islamique alors que les États-Unis cherchent à créer une nouvelle réalité dans le monde arabe, où « les gens sont perdus, leurs cœurs terrifiés, croyant que nous [les peuples de la région] nous dirigeons tous ensemble vers une catastrophe. Et pour échapper à cette catastrophe, nous serons prêts à accepter toute tâche qui nous sera imposée, aussi difficile soit-elle, pourvu que cela nous sorte de ce désastre ».

Il explique même que, de cette manière, Washington crée les conditions mêmes dans lesquelles « l’ennemi principal [le noyau impérial] devient finalement le sauveur et le rédempteur ».

Sayyed Nasrallah, en 2014, a expliqué, comme il le faisait depuis le début des années 2000, que le premier fondement de ce projet américain de destruction dans la région est Israël, dont l’objectif premier est de « frapper la résistance, désarmer la résistance, détruire les infrastructures de la résistance, briser la volonté de résistance du peuple, faire capituler Gaza. La bande de Gaza ne sera plus qu’une ruine et un champ de décombres ».

Le deuxième élément, qui selon lui comporte un danger tout aussi grand mais nécessite plus de clarté, « est ce qu’on appelle le courant takfiri, dont la manifestation la plus claire et la plus visible aujourd’hui est l’État islamique. L’État islamique est désormais l’exemple le plus flagrant de ce courant ».

Il explique ensuite qu’il est possible de s’opposer aux projets sionistes et takfiris, et des décennies de guerres, de massacres et de génocides lui ont donné raison. Tant que nous serons debout, la lutte pour le droit à la vie et à la dignité du peuple arabe face à tout ce qui salit le nom de nos frères islamiques et menace la coexistence des peuples de cette terre sera remise en question.

Nasrallah était le leader de l’un des mouvements islamiques les plus influents du monde arabe, et le leader d’un mouvement qui a su s’étendre au-delà de l’islam pour rallier et mobiliser derrière lui des chrétiens, des druzes, des laïcs et des personnes de tous horizons, car il a clairement identifié l’ennemi et s’est distingué en faisant la différence entre l’identité nationale arabe au sens large et l’identité sectaire renforcée par Sykes-Picot et l’influence occidentale.

Ainsi, des ruelles d’Alep aux ruines de Gaza, des montagnes du Liban et du Yémen aux plaines d’Irak, la bannière de la foi n’a jamais été celle de l’exclusion, mais celle de la résistance contre les occupants.

Ce que l’Occident appelle une « guerre religieuse » est en réalité une guerre entre les propriétaires de la terre et les occupants, entre ceux qui construisent et ceux qui pillent. Et tandis que les récits occidentaux s’effondrent sous le poids de leur propre hypocrisie, l’unité de cette région, chrétienne et musulmane, témoigne de manière vivante des valeurs communes au christianisme et à l’islam.

Myriam Charabaty est une analyste politique et journaliste arabe qui s’intéresse particulièrement à la libération arabe, à l’influence politique et à la colonisation de l’identité chrétienne dans la région, avec une attention particulière pour le rôle des chrétiens arabes en tant que partie intégrante du tissu social et culturel du monde arabe.

Cet article est paru originellement en version anglaise dans UK Column