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Les expériences de détonation ont libéré de la radioactivité et contaminé le sous-sol du site d’essai. © Extrait de « Le Polygone » de Cédric Picaud

Pascal Derungs

 Pendant la guerre froide, la France a mené des expériences avec des détonateurs à l’uranium. Des employés sont morts. L’eau potable de Paris est menacée.

Pendant des décennies, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) français a trompé le public sur son projet secret d’essais de détonateurs d’armes nucléaires. Sans le savoir, la population vivant à proximité du site d’essais a été exposée à des niveaux de radioactivité nocifs pour la santé. De nombreuses personnes ont souffert de maladies pulmonaires chroniques, certaines en sont mortes. Les résidus radioactifs des expériences de détonation s’infiltrent de plus en plus profondément dans le sous-sol. À long terme, ce sont les nappes phréatiques de tout le bassin parisien qui sont menacées, ainsi que l’eau potable de millions de personnes. C’est ce que montre le cinéaste Cédric Picaud dans son film primé « Le Polygone ».

Cédric Picaud a reçu le trophée pour son documentaire « Le Polygone » lors du Festival du film sur l’uranium à Berlin. © Festival du film sur l’uranium Domaine public

L’État fait la sourde oreille

Le programme d’essais est officiellement terminé depuis 2013. Le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) a quitté les lieux, laissant derrière lui ses déchets dangereux. Les installations contaminées par les radiations n’ont pas été démantelées, le sol pollué n’a pas été assaini. Damien Girard, maire de la commune concernée de Pontfaverger-Moronvilliers, s’efforce d’obtenir la reconnaissance et la réparation des injustices et des dommages subis par l’État.

Dans le film, il déclare : « Cela fait environ dix ans que nous essayons d’entamer le dialogue avec le CEA, mais c’est comme parler à un mur. » Indigné, il ajoute : « C’est comme un locataire qui utilise votre maison, ne paie pas de loyer et laisse ses déchets derrière lui lorsqu’il déménage. C’est inacceptable. »

Girard veut maintenant tenter d’obtenir par voie judiciaire la divulgation de documents secrets du CEA afin de pouvoir étayer les demandes d’indemnisation de sa commune.

Les militaires n’ont jamais joué cartes sur table

Depuis la Première Guerre mondiale, environ 2000 hectares de terres dans la région de Pontfaverger-Moronvilliers sont un paysage cratérisé et infertile. À l’époque, les troupes allemandes et françaises se sont bombardées mutuellement pendant des années avec des tirs d’artillerie sur une ligne de front figée. Des dizaines de milliers de soldats ont péri dans les collines des « Monts de Champagne », la végétation a été détruite, ne laissant derrière elle que des falaises de craie nues, désormais appelées « Mont Blanc » par les habitants. Le ministère de la Défense a jugé ce terrain dévasté approprié pour ses expériences nucléaires.

La population a été systématiquement trompée

Lorsque le CEA a démarré ses activités au milieu des années 1950, il s’est d’abord fait passer pour une société de forage pétrolier. Plus tard, il a bouclé la zone et prétendu devoir déminer des milliers d’obus non explosés datant de la Première Guerre mondiale. Cela lui a permis d’expliquer pendant des décennies les nombreuses détonations de ses essais d’armes à une population qui n’en savait rien.

Le CEA employait son propre personnel sur le site, ainsi que des artisans et des ouvriers du bâtiment locaux. Tous étaient tenus au secret absolu, même vis-à-vis de leur propre famille.

En 55 ans, le CEA a construit 120 bâtiments, dont beaucoup sont souterrains, avec des murs en béton armé pouvant atteindre 1,5 mètre d’épaisseur, sur 500 hectares de terrain cratérisé pour ses expériences. On n’a jamais révélé au public ce qui se passait exactement dans les bunkers, quels matériaux étaient utilisés pour les expériences de détonation, ni quelle quantité de rayonnement radioactif était produite.

Les artisans et les ouvriers du bâtiment n’étaient pas protégés.

Sur le site d’essai, seuls les ingénieurs du CEA disposaient de vêtements de protection et de masques, pas les simples ouvriers. On leur disait qu’il n’y avait aucun danger pour eux. Ils ont été régulièrement soumis à des tests de dépistage de l’exposition aux radiations par prélèvement nasal, comme le rapportent divers témoins dans le film. Damien Girard a retrouvé des documents à ce sujet. Il en ressort qu’il n’était pas rare que les doses journalières maximales soient dépassées de 20 à 40 fois. Mais personne n’a jamais été informé, averti ou suspendu de ses fonctions.   

Pendant des décennies, des ouvriers ont manipulé sans protection des matériaux hautement radioactifs sur le site d’essais nucléaires. © Extrait de « Le Polygone » de Cédric Picaud

« Parfois, on voyait un champignon atomique s’élever dans le ciel »

Il n’y a probablement pas eu d’explosion nucléaire au sens propre du terme, suppose un témoin contemporain dans le film, un ancien initié du CEA, « mais nous nous sommes rapprochés très près des conditions nucléaires ». Ils auraient expérimenté avec du béryllium, de l’uranium, du tritium et du deutérium, tous des éléments hautement radioactifs. « Nous savons que la contamination directement sous le site a augmenté de 3600 %. Cette information provient d’un document que nous avons reçu du CEA dès 2005 », rapporte Damien Girard. Aujourd’hui, le Commissariat à l’énergie atomique refuse de divulguer d’autres documents de ce type.

Le site d’essai a également été utilisé secrètement comme décharge

Entre-temps, Girard a appris que des déchets radioactifs contenant du plutonium avaient également été enfouis sur l’ancien site d’essai. Il s’est avéré que ces déchets provenaient de la centrale nucléaire désaffectée de Marcoule. Cela suggère que, contrairement à toutes les affirmations, le site du CEA n’a pas servi exclusivement à tester des détonateurs. Il y aurait également eu des expériences avec des matières radioactives et des gaz, qui n’auraient servi qu’à « étudier les effets sur l’environnement, la végétation et probablement aussi sur les êtres humains ».

Informations complémentaires

Bombes atomiques tactiques » – et leurs conséquences atroces, Infosperber du 9 août 2025.
La folie des armes nucléaires en chiffres, Infosperber du 21 juin 2025.
« Même les faibles doses de rayonnements ionisants présentent un risque », Infosperber du 16 septembre 2022.

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