
Par Elijah J. Magnier
Lorsque le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré qu’« environ 80 % de l’aide militaire américaine à Israël est dépensée aux États-Unis, renforçant l’économie et créant des emplois », il a réduit l’un des partenariats militaires les plus controversés au monde à un simple exercice de comptabilité. Il a ajouté, dans une maîtrise orwellienne de l’inversion, qu’Israël « œuvre à une plus grande indépendance de son industrie de défense », comme si le programme d’investissement de plusieurs milliards de dollars de Washington n’était qu’un généreux programme d’apprentissage dont Israël se « sortira » avec grâce en temps voulu.
À première vue, l’argument semble ingénieux : les contribuables américains versent des milliards de dollars à Israël sous forme de dons militaires gratuits, et Israël, dans un élan de bienveillance apparente, reverse la majeure partie de cette somme aux fabricants d’armes américains. Mais un examen plus approfondi soulève une question incontournable : les États-Unis tirent-ils réellement profit de ce système circulaire, ou financent-ils une machine de guerre qui enracine le conflit, renforce les géants de la défense et ne procure, sur leur propre territoire, que des avantages limités et centrés sur les entreprises ?
La réponse est bien plus complexe que ne le laisse entendre la déclaration choc de Netanyahou – et ce, délibérément. Ce que ce discours économique simpliste masque, c’est non seulement l’ampleur de l’aide, mais aussi l’alignement politique qu’elle révèle : un partenariat où Washington n’est pas un simple contributeur réticent, mais un acteur à part entière, œuvrant de concert avec chaque grande campagne militaire israélienne. Certes, l’aide américaine couvre une part importante des dépenses de guerre d’Israël, mais le bénéfice stratégique pour les États-Unis demeure, au mieux, ambigu.
L’inversion orwellienne
Dans son roman 1984 (1949) , George Orwell mettait en garde : « Qui contrôle le passé contrôle l’avenir ; qui contrôle le présent contrôle le passé. » Ce slogan, qui a fait l’objet de débats à la Knesset israélienne, illustre comment les acteurs politiques manipulent les récits historiques pour façonner l’opinion publique et consolider leur pouvoir. Le discours politique du Premier ministre Benjamin Netanyahu – un homme qui privilégie systématiquement ses propres intérêts – reflète fréquemment les mécanismes décrits par Orwell, transformant ainsi les prédictions dystopiques de l’écrivain en une méthode de gouvernance concrète.
Israël excelle dans ce que l’on pourrait appeler « l’inversion orwellienne » : une manœuvre rhétorique et politique consistant à déformer délibérément la réalité. La vérité est présentée comme un mensonge, la guerre comme la paix, l’occupation comme une libération, l’oppression comme la sécurité, et une généreuse aide étrangère comme une faveur faite au donateur. Il ne s’agit pas d’une simple hypocrisie ; c’est une réingénierie systématique du sens moral et factuel visant à préserver le pouvoir tout en dissimulant la violence et les inégalités qu’il engendre.
Des slogans comme « La guerre, c’est la paix », « La liberté, c’est l’esclavage », « L’ignorance, c’est la force », ou des affirmations contemporaines telles que « l’attaque, c’est la défense » ne visent pas à convaincre par la logique. Leur but est d’estomper la frontière entre vérité et propagande jusqu’à ce que les contradictions paraissent naturelles. Un renversement orwellien se produit lorsque les dirigeants décrivent des actions nuisibles ou coercitives en des termes bienveillants, inversant ainsi la polarité morale. L’oppresseur se victimise ; l’agresseur invoque la légitime défense ; les faits sont réinterprétés pour servir l’idéologie.
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