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Etats-Unis, Europe, Guerre en Ukraine, Kaja Kallas, Merz, plan de paix en 28 points, Russie, trump

L’objectif ne semble pas être d’instaurer une paix meilleure, mais de vider la proposition américaine de sa substance jusqu’à ce qu’elle devienne inacceptable pour Moscou.
Eldar Mamedov
Un schéma familier et décourageant se dessine dans les capitales européennes après la présentation d’un plan de paix en 28 points par l’administration Trump. Tout comme après le sommet entre Donald Trump et son homologue russe Vladimir Poutine en Alaska en août dernier, les dirigeants européens soutiennent publiquement les efforts de Trump pour mettre fin à la guerre, tout en manœuvrant pour saboter toute initiative qui s’écarte de leurs objectifs maximalistes – et irréalisables – d’une capitulation totale de la Russie en Ukraine.
Leur objectif ne semble pas être de négocier une paix meilleure, mais plutôt de vider la proposition américaine de sa substance jusqu’à ce qu’elle devienne inacceptable pour Moscou. Cela garantirait un retour à la situation initiale, à savoir une guerre prolongée et sans fin, même si c’est précisément cette dynamique qui, compte tenu des réalités actuelles du champ de bataille, favorise la Russie et affaiblit davantage l’Ukraine.
La réaction européenne à la proposition de Trump a été rapide et révélatrice. Selon Bloomberg, Keir Starmer, Friedrich Merz et Emmanuel Macron, respectivement dirigeants de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne et de la France, se sont empressés de se joindre à Zelensky pour rejeter les éléments clés du plan Trump. Berlin s’est imposé comme le principal faucon du trio européen et serait en train d’élaborer une contre-proposition beaucoup plus conforme à la position de l’Ukraine.
Pendant ce temps, la haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères, Kaja Kallas, a exposé la grande stratégie du bloc pour parvenir à la paix avec une simplicité dévastatrice : premièrement, affaiblir la Russie ; deuxièmement, soutenir l’Ukraine. C’est tout. On chercherait en vain dans ce « plan de paix » une issue diplomatique, une vision pour une future architecture de sécurité européenne, ou même une reconnaissance élémentaire des compromis nécessaires pour mettre fin aux tueries. Car il ne s’agit pas d’un plan, mais d’une pure démonstration de vertu qui se traduit par un conflit perpétuel sur le terrain, avec une destruction accrue de l’Ukraine et des risques croissants d’escalade et d’extension de la guerre en Europe.
Pourtant, le rejet instinctif du plan Trump par les politiciens européens, qui le qualifient de « capitulation », est erroné. Comme l’affirme Mark Galeotti, spécialiste de la Russie, bien que le plan soit « mal rédigé et incomplet », il ne s’agit « pas d’un simple appel à la capitulation de l’Ukraine » et « en tant que point de départ pour mettre fin aux tueries, il est prometteur ».
Un examen approfondi révèle une structure visant à instaurer une paix stable, même si elle est imparfaite : une armée ukrainienne forte de 600 000 hommes, ce qui correspond selon les analystes à ce que Kiev peut soutenir ; une approche subtile concernant les territoires occupés du Donbass et de la Crimée, qui évite la reconnaissance forcée de jure de la souveraineté russe sur ces territoires ; et un mécanisme permettant de canaliser 100 milliards de dollars d’actifs russes gelés vers la reconstruction de l’Ukraine.
La question territoriale sera probablement la plus épineuse à négocier. En revanche, exiger que l’Ukraine renonce à adhérer à l’OTAN ne devrait pas être un obstacle à l’accord : les dirigeants européens qui s’opposent aujourd’hui au projet de Trump savent très bien que l’Ukraine ne rejoindra pas l’OTAN, en partie parce qu’eux-mêmes ne se sont pas montrés prêts à se battre directement pour cela. Alors, quel est l’intérêt de prolonger la guerre en insistant sur quelque chose dont les deux parties – les membres actuels de l’OTAN et l’Ukraine – savent qu’il ne se produira pas ?
En outre, les dispositions du plan Trump visant à protéger les droits des minorités et les droits religieux des différents groupes en Ukraine auraient suscité des objections. Mais le plan stipule explicitement que les critères de réalisation de ces droits doivent être basés sur les cadres de l’UE, et non sur les impositions unilatérales de la Russie. De plus, dans une société multiethnique et multiconfessionnelle, la protection des droits des minorités constitue un investissement à long terme dans la sécurité de l’Ukraine et devrait être saluée par ceux qui se prétendent ses partisans.
Il est essentiel de noter que cette ouverture diplomatique potentielle ne découle pas d’une position de faiblesse de la part de la Russie. Poutine a explicitement déclaré que « la dynamique actuelle sur la ligne de front […] conduit à la réalisation des objectifs [de la Russie] par des moyens militaires ». Pourtant, à un moment critique, il a également confirmé que la Russie avait reçu le plan américain en 28 points et était prête à négocier sur cette base. Poutine a reconnu que ce plan pourrait servir de base à un règlement définitif. Cela ne signifie pas que le Kremlin rejette d’emblée la diplomatie, mais qu’il en teste les possibilités.
L’Europe est aujourd’hui confrontée à un choix difficile. Elle peut poursuivre dans la voie actuelle, en dénigrant le plan, en encourageant Kiev à y insérer des clauses restrictives, en formulant ses propres contre-propositions déraisonnables et en espérant le faire échouer à Washington même.
Mais ce pari comporte un risque énorme. Que se passerait-il si Trump, en combinant pression et persuasion, réussissait à convaincre le président Zelensky – manifestement affaibli par les scandales de corruption majeurs qui ont éclaboussé son entourage – que l’acceptation du plan était la moins mauvaise option pour l’Ukraine ? Si Kiev signait et que Moscou s’engageait, l’Europe risquerait de se retrouver complètement exclue du règlement qui mettrait fin à la plus grande guerre sur son continent depuis des décennies. N’ayant proposé aucune alternative crédible au-delà d’une nouvelle guerre, son influence s’évaporerait et elle serait contrainte de se conformer aux termes d’un accord qu’elle n’aurait pas contribué à élaborer.
Cherchant apparemment à éviter ce scénario, Merz s’est entretenu vendredi avec Trump lors d’un appel qu’il a qualifié de « bon », mais sans donner plus de détails en raison de son caractère confidentiel.
Il reste à voir ce qui en ressortira, mais pour aller de l’avant, il est essentiel de garder à l’esprit que tout plan réaliste nécessitera des compromis douloureux. Un règlement durable restera impossible tant que les principales parties prenantes en Europe refuseront d’aller au-delà d’une stratégie dont les seuls éléments consistent à affaiblir un camp et à armer l’autre.
En s’efforçant de vider de sa substance la seule négociation sérieuse sur la table, l’Europe ne protège pas l’Ukraine ; elle la condamne à davantage d’effusions de sang et se condamne elle-même à une insignifiance stratégique. À l’heure actuelle, l’alternative au plan imparfait mais réel de Trump n’est pas un meilleur accord, mais une guerre sans fin, dont l’Europe devra assumer seule les conséquences.
Eldar Mamedov est un expert en politique étrangère basé à Bruxelles et chercheur non résident au Quincy Institute.
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