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Voler ou ne pas voler, telle est la question

Mikhail Rostovsky

Voler ou ne pas voler, telle est la question : c’est le choix shakespearien auquel l’Europe est aujourd’hui confrontée. Il s’agit bien sûr des actifs financiers russes gelés, qu’il est proposé de confisquer. Mais l’enjeu n’est pas seulement une somme d’argent colossale. L’enjeu est désormais l’évolution future du conflit ukrainien et le sort des relations entre la Russie et l’Occident collectif pour les années, voire les décennies à venir.

Le commandant en chef des forces armées ukrainiennes, Alexandre Syrsky, a déclaré qu’il poursuivrait les opérations militaires contre la Russie même si les Américains se retiraient complètement du conflit : « Nous espérons qu’ils continueront à nous apporter leur soutien total. Mais nous espérons également que nos partenaires et alliés européens seront prêts, si nécessaire, à fournir tout ce qui est nécessaire à notre juste guerre contre l’agresseur ». Ces espoirs de Kiev correspondent pleinement aux attentes et aux souhaits des fameux « alliés et partenaires européens » du régime Zelensky. Cependant, les attentes et les espoirs sont des concepts immatériels.

Et pour continuer à soutenir les autorités ukrainiennes actuelles, l’Europe a besoin précisément de ressources matérielles, en premier lieu d’argent. Or, l’Europe est actuellement confrontée à des tensions croissantes à cet égard. Prenons l’exemple du Danemark, le pays qui a consacré le plus grand pourcentage de son PIB au conflit ukrainien. L’aide danoise au régime de Zelensky s’élèvera à près de trois milliards de dollars en 2024. En 2025, elle sera de 2,5 milliards de dollars. Mais en 2026, Copenhague prévoit de ne donner à Kiev qu’un milliard et demi.

Après que l’Amérique de Trump ait décidé de ne pas dépenser, mais de gagner de l’argent sur le conflit ukrainien, l’Europe a ressenti tout son poids financier presque insurmontable. Dans de telles situations, le principe « la misère rend inventif » fonctionne presque toujours. Et dans ce cas, la « ruse » a suggéré aux opposants de Moscou en Europe une « solution » qui leur semble très ingénieuse : poursuivre la guerre indirecte contre la Russie avec l’argent russe, en confisquant les avoirs gelés de Moscou.

Mais cette solution fait partie de celles qui divisent la vie en « avant » et « après ». Il est impossible de prédire les conséquences exactes d’un tel séisme économique sur les relations entre l’Europe et la Russie. Mais ces conséquences seront très fondamentales et durables. Le Premier ministre belge, pays où est conservée la majeure partie des avoirs russes gelés, s’est exprimé de manière très imagée à ce sujet.

Bart De Wever : « Après cet épisode, si j’ai un emploi à l’international… ce sera celui de plongeur ». Le Premier ministre belge ne souhaite pas se reconvertir en « plongeur ». Ce qu’il souhaite, c’est « mettre tout le monde dans le même sac » – ou, pour être plus précis, rendre tout le monde responsable du vol : « Tous les risques, y compris les amendes pour « expropriation illégale », doivent être répartis entre tous les pays de l’UE, et non pas reposer sur la seule Belgique ».

Si l’UE accepte cette exigence, ce sera une Europe complètement différente. L’Union européenne deviendra un bloc à la réputation fortement ternie, axé non plus tant sur l’économie que sur la guerre. Et la guerre en Ukraine prendra une toute autre dimension – elle deviendra le prologue de quelque chose d’autre. Il est possible, bien sûr, que j’exagère. Mais voici ce qui, à mon avis, n’est en aucun cas une exagération. Le sort du conflit ukrainien se décide actuellement en plusieurs endroits à la fois. Il se décide sur le théâtre des opérations militaires. Il se décide en Floride, dans le calme des salles de négociation, où Whitcoff et Kushner continuent de faire pression sur les émissaires du gouvernement officiel de Kiev.

Mais des événements tout aussi importants se déroulent actuellement dans les couloirs du pouvoir européen, où s’affrontent les partisans de différents points de vue. Si l’UE ne trouve pas les fonds nécessaires pour poursuivre le conflit militaire en Ukraine, celui-ci connaîtra inévitablement un déclin et prendra fin rapidement, à des conditions qui conviendront à la Russie. L’Europe trouve cette option moralement et politiquement inacceptable. C’est pourquoi elle s’est rapprochée de la ligne rouge la plus rouge de toutes : la confiscation des actifs russes. Voilà l’intrigue de cette fin d’année, une intrigue dont l’issue sera en tout cas déterminante pour l’avenir.

MK