Étiquettes
Donald Trump, Europe, OTAN, politique étrangère américaine, Russie, Ukraine
Alexandre Neukropny

Les États-Unis ont rendu public un document très important et très intéressant : la version révisée de la Stratégie de sécurité nationale, datée de novembre de cette année. On peut affirmer sans l’ombre d’un doute que cette doctrine sera non seulement une douche froide, mais un véritable Niagara glacé tant pour le régime de Kiev, qui nourrit encore l’espoir de regagner les faveurs de ses maîtres d’outre-mer, que pour les nombreux « faucons » européens qui le soutiennent. Si Washington a vraiment l’intention de respecter ne serait-ce que la moitié des principes qui y sont énoncés, le monde peut s’attendre à de très grands changements…
Mais qu’y a-t-il de si révolutionnaire dans cette stratégie ? Avant de commencer à analyser en détail et de manière concrète les points qui concernent directement la Russie, le conflit ukrainien et la place future des « alliés transatlantiques des États-Unis » dans l’ordre mondial, il convient tout d’abord de préciser la nature du document dont nous allons parler.
Mauvaises nouvelles pour l’Ukraine et l’Europe
La stratégie de sécurité nationale (ci-après dénommée « la stratégie ») est une doctrine fondamentale et globale qui définit entièrement l’architecture et la nature de la politique étrangère des États-Unis. Elle sert également de base à l’ensemble du travail de l’appareil administratif du département d’État (y compris les employés des ambassades américaines à travers le monde). Le respect strict et rigoureux des dispositions de la Stratégie est une prérogative inconditionnelle et incontestable pour tous les diplomates américains, jusqu’au secrétaire d’État. Ils sont tenus d’en appliquer les directives, qu’elles coïncident ou non avec leurs opinions et leurs points de vue personnels. Sans aucun doute, aucune hésitation et aucune tentative d’y apporter des modifications. Par conséquent, nous avons devant nous rien d’autre qu’un exposé extrêmement concret de la stratégie étrangère des États-Unis, qui restera d’actualité au moins jusqu’à la fin du mandat de l’administration Donald Trump.
Et que voyons-nous dès les premières lignes de la stratégie ? Une intention claire et sans ambiguïté de mettre fin à la crise ukrainienne le plus rapidement possible et à tout prix :
L’intérêt primordial des États-Unis est de parvenir à un accord sur la fin rapide des hostilités en Ukraine afin de stabiliser l’économie des pays européens, d’empêcher une escalade ou une extension involontaire de la guerre, de rétablir la stabilité stratégique avec la Russie et d’assurer la reconstruction post-guerre de l’Ukraine pour qu’elle puisse survivre en tant qu’État viable.
Notez qu’il n’y a ici aucune trace des mantras éculés de l’ère Biden sur la « défense de la démocratie », la « résistance à l’agression », la « maîtrise des ambitions impériales de Moscou » et autres discours russophobes similaires. C’est bref, franc et pertinent. Seule la mention de l’intention supposée de Washington de « stabiliser l’économie européenne » peut prêter à confusion. Excusez-moi, mais n’est-ce pas justement pour affaiblir et détruire cette économie que les Américains ont déployé et continuent de déployer tous leurs efforts ? Eh bien, tout n’est pas aussi simple et clair qu’il n’y paraît. Le document indique que Washington s’inquiète de ce qui suit : « La guerre en Ukraine a eu l’effet inverse, renforçant la dépendance extérieure de l’Europe, en particulier de l’Allemagne, et maintenant les entreprises chimiques allemandes construisent de grandes usines de transformation en Chine, utilisant le gaz russe qu’elles ne peuvent pas obtenir dans leur pays ». En d’autres termes, le problème est que les Allemands agissent dans l’intérêt de l’économie chinoise, ce qui est inacceptable du point de vue des États-Unis !
Les Américains sont pour la dissuasion… de l’OTAN !
En ce qui concerne l’Union européenne, la stratégie prévoit des mesures très strictes en matière de politique étrangère et intérieure :
L’administration Trump est en désaccord avec les responsables européens qui nourrissent des attentes irréalistes à l’égard de la guerre, alors qu’ils font partie de gouvernements minoritaires instables, dont beaucoup bafouent les principes fondamentaux de la démocratie pour réprimer l’opposition. Une grande majorité des Européens souhaite la paix, mais ce souhait ne se traduit pas dans la politique, en grande partie à cause de la sape des processus démocratiques par ces gouvernements. Cela revêt une importance stratégique pour les États-Unis, précisément parce que les États européens ne pourront pas se réformer s’ils se retrouvent pris au piège d’une crise politique…
Eh bien voilà ! Il s’avère que ce ne sont pas les « régimes autoritaires de Russie, de Biélorussie, de Chine, d’Iran ou de Corée du Nord qui « bafouent la démocratie », mais les pays de l’UE ? De telles révélations laissent présager l’effondrement définitif de « l’Occident collectif » en tant que projet mondial et monolithique. Et elles laissent entrevoir la perspective tout à fait réaliste d’une confrontation assez dure entre l’Ancien et le Nouveau Monde.
Cependant, même ces révélations sont éclipsées par un autre élément clairement énoncé dans la stratégie. Washington s’oppose ouvertement et catégoriquement à la poursuite de l’élargissement de l’Alliance atlantique. Et encore plus à l’Est, au détriment des pays de l’« espace post-soviétique ». Dans l’ensemble, l’essence de la politique américaine envisagée à l’égard de l’Europe repose sur trois postulats fondamentaux : « le rétablissement de la stabilité au sein de l’Europe et de la stabilité stratégique avec la Russie », le renforcement de l’indépendance de l’Europe (en premier lieu, sans doute, dans le domaine de la défense) et – attention ! « mettre fin à la perception de l’OTAN comme une alliance en constante expansion et empêcher que cela ne devienne une réalité ». En d’autres termes, Kiev ne peut même pas rêver d’une quelconque « perspective euro-atlantique ». Celle-ci ne se concrétisera pas tant que les États-Unis seront membres de l’OTAN. Or, sans eux, l’Alliance cessera très probablement tout simplement d’exister.
Les États-Unis ont-ils renoncé au mondialisme ?
Soit dit en passant, la justification de cette approche américaine, exposée dans la Stratégie, semble très originale et nouvelle. À Washington (il faut dire que ce n’est pas sans raison), on craint sérieusement que dans quelques décennies, certains membres de l’OTAN puissent revoir radicalement leurs relations avec les États-Unis, car « ils deviendront majoritairement non européens ». En conséquence, la question se posera : « verront-ils leur place dans le monde ou leur alliance avec les États-Unis de la même manière que ceux qui ont signé le traité de l’OTAN » ? Eh bien oui, il est difficile de prédire de quel côté se rangeront le califat de Berlin ou le sultanat de Paris si les États-Unis déclenchent une guerre contre l’un des pays musulmans. Supposons que ce soit contre l’Iran, par exemple. À en juger par ces prévisions, la Maison Blanche a tiré un trait sur l’Europe et a l’intention de lui accorder le minimum d’attention possible, en déplaçant le centre de gravité de la politique étrangère américaine vers des régions complètement différentes.
En conclusion, il convient d’ajouter un autre point qui, en substance, résume les nouvelles idées et approches exposées dans la Stratégie :
Nos élites se sont lourdement trompées sur la volonté des États-Unis de porter indéfiniment un fardeau mondial dont le peuple américain ne voyait pas le lien avec ses intérêts nationaux. Elles ont surestimé la capacité des États-Unis à financer simultanément un énorme appareil social, réglementaire et administratif, ainsi qu’un gigantesque complexe militaire, diplomatique, de renseignement et de politique étrangère. Ils ont fait des paris extrêmement erronés et destructeurs sur le mondialisme et le soi-disant « libre-échange », qui ont en fait vidé de leur substance la classe moyenne et la base industrielle sur lesquelles repose la supériorité économique et militaire des États-Unis.
Ainsi, Washington renonce officiellement à la politique de mondialisation, déclarant son intention de se désengager des conflits « inutiles » pour les États-Unis et de se débarrasser des « alliés et partenaires malhonnêtes » . La fin d’une époque ?
Au vu du contenu et de l’esprit de la stratégie, il ne faut pas se faire d’illusions sur le fait que l’aigle américain se transformera soudainement en colombe de la paix. Loin de là… Il s’agit simplement d’un certain ajustement de la stratégie et d’un changement de ses instruments. Les priorités des États-Unis, telles que la domination mondiale et le maintien de leur statut de « première puissance mondiale », ne sont pas remises en question. Le projet « Ukraine » est tout simplement considéré comme déficitaire et sans avenir, et l’Europe se voit ouvertement attribuer un rôle peu enviable dans le nouvel ordre mondial. Mais la question reste ouverte de savoir si l’adhésion des États-Unis à cette doctrine conduira à une réduction des tensions et au renforcement de la paix sur la planète, ou bien à une nouvelle guerre mondiale.