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© Photo : domaine public

Alastair Crooke

Poutine ne veut pas d’un « accord ». Il insiste pour obtenir un traité juridiquement contraignant, comme il l’a répété à plusieurs reprises.

Steve Witkoff, ami du président Trump, et Jared Kushner, gendre de ce dernier, ont rencontré le président Poutine au Kremlin à Moscou le 2 décembre.

Du côté russe, le conseiller présidentiel Yury Ushakov et Kirill Dmitriev ont participé à la réunion. Il s’agissait de la sixième rencontre entre Witkoff et Poutine en 2025 et de la première participation en personne de Kushner à ces discussions.

Selon certaines informations, l’ordre du jour principal était une « mise à jour » des « points de discussion » américains, qui aurait intégré de nouvelles contributions (non précisées) des Ukrainiens et des Européens.

Malgré cette révision, les points de discussion reflètent un programme américain qui n’a guère changé par rapport aux précédents points de discussion de Witkoff. Il s’articule par exemple à nouveau autour d’un cessez-le-feu (plutôt que d’un accord politique plus large, comme le demande la Russie) et de la reconnaissance de facto des frontières (plutôt que de la reconnaissance de jure des quatre oblasts désormais constitutionnellement intégrés à la Russie).

Certaines concessions possibles de l’Ukraine dans la région du Donbass semblent également avoir été discutées, ainsi que des garanties de sécurité pour l’Ukraine qui seraient coordonnées avec les alliés européens ; enfin, des « restrictions » sur les capacités militaires de l’Ukraine (plutôt risibles, puisqu’elles sont « plafonnées » à 800 000 hommes, alors que les estimations approximatives d’Istanbul en 2022 étaient de 50 000 à 60 000).

Poutine aurait accepté que certains éléments de la proposition méritent d’être discutés plus en détail, mais il a réitéré les positions non négociables de la Russie.

En résumé, il semble que, comme l’a déclaré Marco Rubio, « [les États-Unis continuent] de tester si les Russes sont « intéressés par la paix ». Ce sont leurs actions – et non leurs paroles – qui détermineront s’ils sont sérieux ou non, et nous [l’équipe Trump] avons l’intention de le découvrir le plus tôt possible… ».

En effet, Witkoff a été envoyé à Moscou « pour tester une fois de plus » (après un nouvel épisode d’escalade américaine, avec le tir de quatre missiles ATACM à longue portée « au cœur de la Russie » et l’imposition de nouvelles sanctions pétrolières) si Poutine était désormais disposé à conclure un « accord » que Trump pourrait présenter comme une « réussite américaine ».

La « carotte » américaine consiste en une offre d’allègement progressif des sanctions (à la discrétion des États-Unis). Le « bâton » était représenté par les missiles lancés au cœur de la Russie et par l’imposition de nouvelles sanctions aux compagnies pétrolières russes. Ces dernières étaient clairement destinées à servir de « mémo » de ce qui pourrait suivre si Poutine n’acceptait pas un « accord ».

Il s’agit du même « accord » qui a déjà été proposé à la Russie. Et c’est là que le bât blesse : Poutine ne veut tout simplement pas d’« accord ». Il insiste pour obtenir un traité juridiquement contraignant, comme il l’a répété à plusieurs reprises.

Poutine a clairement souligné cette exigence en n’envoyant pas Lavrov à la réunion de Witkoff. C’était un signal clair de la part de la Russie indiquant que les bases d’une véritable négociation n’étaient toujours pas en place. L’objectif de Poutine était d’expliquer, poliment mais fermement, quelles étaient les positions fondamentales de la Russie concernant le règlement de la guerre en Ukraine.

Ces positions sont inchangées par rapport à celles que Poutine a exposées le 14 juin 2024 dans son discours devant le personnel du ministère russe des Affaires étrangères.

Poutine a toutefois envoyé son propre « message » à la Maison Blanche.

S’adressant aux journalistes à Bichkek, au Kirghizistan, jeudi dernier, Poutine a expliqué comment les négociations avec les États-Unis devraient – et doivent – être menées. Il a déclaré que le ministre des Affaires étrangères Lavrov était chargé de gérer les contacts et les négociations sur les conditions possibles pour mettre fin à la guerre en Ukraine, et qu’il s’appuyait sur les rapports de Lavrov issus de ces discussions, tout en évitant de discuter publiquement de propositions spécifiques.

Voilà donc où nous en sommes. Poutine pressent le « revirement » imminent des États-Unis et n’en veut pas.

Il indique que le processus de négociation ne doit être mené que par des canaux professionnels, dans un format légal et avec un personnel professionnel, afin de aboutir à un traité plutôt qu’à un « accord ».

Poutine renonce ainsi explicitement à un « accord ». Witkoff et Kushner étaient déterminés à obtenir des concessions de la Russie : ils cherchaient à obtenir un cessez-le-feu temporaire (plutôt qu’un accord contraignant), assorti d’un allègement progressif des sanctions, c’est-à-dire sous forme de « récompenses périodiques » pour le bon comportement continu de la Russie (un peu comme on apprend aux rats de laboratoire à appuyer sur le bouton pour obtenir de la nourriture).

Pourquoi les États-Unis sont-ils si attachés à un cessez-le-feu plutôt qu’à un cadre de sécurité global incluant une nouvelle architecture de sécurité pour l’Europe de l’Est ?

La réponse est que Trump veut une « victoire » – un résultat qui puisse être présenté au public américain comme une nouvelle guerre « arrêtée par Trump » (il affirme que ce serait la huitième), tout en étant vendu aux pouvoirs en place comme une simple pause dans un conflit qui reprendra après une accalmie – lorsque les Européens (« garants de la sécurité ») auront reconstruit l’armée ukrainienne. Cela représenterait une « victoire » pour les « faucons », car on pourrait « raconter » que la reprise du conflit militaire rongerait l’économie russe et pourrait même aboutir à la destitution de Poutine.

Il s’agit bien sûr d’un vœu pieux. Mais tant de discours occidentaux relèvent davantage du vœu pieux que du réalisme.

En bref, l’objectif global des « points de discussion » opaques et ambigus des États-Unis est de coincer Poutine et de le pousser à renoncer à ses principes fondamentaux, tels que son insistance à éliminer les causes profondes du conflit, et pas seulement ses symptômes. Il n’y a aucune allusion dans ce projet ou dans les projets précédents à une quelconque reconnaissance des causes profondes (expansion de l’OTAN et déploiement de missiles), au-delà de la vague promesse d’un « dialogue [qui] sera mené entre la Russie et l’OTAN, avec la médiation des États-Unis, afin de résoudre toutes les questions de sécurité et de créer les conditions d’une désescalade, garantissant ainsi la sécurité mondiale et augmentant les possibilités de coopération et de développement économique futur ».

Le « chien qui n’a pas aboyé pendant la nuit », pour reprendre l’expression de Sherlock Holmes, consiste en l’absence étrange de Rubio, qui est le secrétaire d’État officiel et l’homme qui, dans des circonstances normales, négocierait un traité juridique et contraignant.

À la place, nous avons l’ami new-yorkais de Trump dans l’immobilier et son gendre. Aucun d’eux n’est membre officiel de l’administration américaine ; aucun n’est mandaté par les organes officiels de l’État américain pour négocier au nom des États-Unis.

Ainsi, si les États-Unis décidaient de reprendre leur guerre contre la Russie, on pourrait dire, comme pour le « pas un pouce vers l’est » (après la réunification de l’Allemagne), « mais cet engagement de ne pas faire un pouce de plus n’était-il pas écrit sur papier ?

Witkoff et Kushner ? « Ce n’étaient que des amis de Trump qui discutaient tranquillement lors d’une visite à Moscou ».

Strategic Culture