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Hossam el-Hamalawy est un journaliste et universitaire militant qui mène des recherches sur l’armée et les services de sécurité égyptiens.

Picture by Hladnikm

L’ouvrage Hyper-Zionism: Germany, the Nazi Past and Israel (Hyper-sionisme : l’Allemagne, le passé nazi et Israël) de Hans Kundnani se présente comme un travail écrit avec une grande franchise.

Il se lit comme une intervention, un avertissement et un règlement de comptes avec un pays qui a élevé sa culture du souvenir et son devoir moral supposé envers Israël au rang de religion civique.

Ce recueil est festif dans le sens où il rend hommage à la dissidence et à la clarté à un moment où ces deux valeurs sont réprimées.

Elle est littéraire dans son engagement à faire entendre la voix, triste dans son portrait d’une société hantée par un passé qu’elle prétend maîtriser, et passionnée dans son refus d’accepter le silence.

Kundnani a conçu un ouvrage qui confronte la moralité publique allemande à son point le plus fragile.

Son terrain est celui où l’histoire devient politique, la mémoire devient discipline et la solidarité devient suspecte.

Il en résulte non pas un ouvrage académique aride, mais un document vivant sur une rupture politique.

Une phrase sacrée et son lourd tribut

Le livre s’ouvre sur une expression qui a façonné la politique étrangère allemande et la surveillance interne de la liberté d’expression : Staatsrason ou « raison d’État ».

Elle fonctionne presque comme un sceau gravé dans la pierre, une formule répétée si souvent que beaucoup en oublient la construction politique.

Les éditeurs et les contributeurs insistent pour ne pas la traiter comme un tabou ou une vérité éternelle, mais comme un choix stratégique qui a évolué à travers des décisions contingentes, des négociations diplomatiques, des incertitudes et des leçons de l’histoire mal interprétées.

Après octobre 2023, l’invocation inconditionnelle du Staatsrason s’est transformée en quelque chose qui s’apparente à une liturgie.

Le soutien inconditionnel à Israël a été présenté comme une preuve de crédibilité démocratique.

La conditionnalité, la retenue, voire le langage des droits humains fondamentaux ont été présentés comme dangereux.

L’hyper-sionisme décrit cette transformation non pas à travers une polémique, mais à travers une analyse de ses effets : les livraisons d’armes ont augmenté, la protection diplomatique s’est intensifiée et la critique a été classée dans la catégorie de la trahison nationale.

Le coût est visible au niveau national. Les artistes, les universitaires, les travailleurs culturels, les militants et même les écoliers se sont retrouvés sous surveillance.

Une simple publication, signature ou phrase pouvait déclencher une panique administrative. La culture mémorielle, qui aspirait autrefois à élargir les horizons moraux, les contrôle désormais.

Pourtant, le livre ne traite jamais la mémoire de l’Holocauste en Allemagne comme un fardeau dont il faut se débarrasser. Il la traite comme une responsabilité qui a été réduite et instrumentalisée.

La tristesse réside dans la prise de conscience que les leçons tirées du deuil peuvent se transformer en un instrument d’exclusion.

Un mythe revisité

L’une des sections les plus captivantes de l’ouvrage revisite une histoire souvent racontée comme une fable de réconciliation : l’évolution des relations germano-israéliennes des années 1950 à nos jours.

Les contributeurs démantèlent ce mythe romantique, révélant une relation façonnée par la stratégie de la guerre froide, la réhabilitation du pouvoir et les calculs diplomatiques.

Même les réparations, loin d’être de purs gestes moraux, étaient mêlées à des manœuvres géopolitiques et, parfois, à une pensée antisémite résiduelle parmi les élites ouest-allemandes.

Cette démystification ne diminue en rien la dignité des efforts de réconciliation réels entrepris par des individus, des survivants ou la société civile.

Au contraire, elle révèle comment les récits officiels des États aplatissent la complexité. En replaçant l’histoire dans son contexte chaotique, le livre libère les lecteurs du poids étouffant des récits officiels.

Et dans cette ouverture, une question plus précise se pose : si la relation a commencé dans le registre de la realpolitik, pourquoi est-elle désormais présentée comme un devoir moral éternel ? La réponse, à travers les chapitres, est claire.

L’histoire est moins une question d’histoire que de politique : le désir de l’Allemagne post-réunification de se présenter comme rachetée, responsable et forte.

Israël devient non seulement un partenaire, mais aussi un symbole de la vertu allemande. Une fois établi, ce rôle symbolique devient intouchable.

Le passage de l’universel au particulier

Le chapitre de Kundnani retrace un changement discret qui a pris une forme spectaculaire au cours des deux dernières décennies : le passage des leçons universalistes de l’Holocauste à une approche exclusive et particulariste axée uniquement sur la responsabilité envers Israël.

Au cours des décennies précédentes, le slogan « Plus jamais ça » était invoqué pour soutenir les luttes universelles en faveur des droits humains, les coalitions antiracistes et même les politiques multiculturelles.

Au moment où Angela Merkel a déclaré que la sécurité d’Israël faisait partie de la raison d’État allemande, le cadre universel s’était rétréci. Une leçon singulière avait été reformulée en une obligation singulière.

Le livre situe ce changement non seulement dans le leadership politique, mais aussi dans la fusion du soutien des élites de tous les partis.

Paradoxalement, les Verts agissent souvent comme les gardiens les plus affirmés de l’inconditionnalité, l’enveloppant dans le langage de l’antifascisme progressiste.

Les sociaux-démocrates y participent par une chorégraphie morale. Les chrétiens-démocrates l’incarnent par leur fermeté et leur inquiétude historique. À force de répétition, cette position devient un consensus.

La tristesse ici est discrète mais indéniable. Une société démocratique peut sombrer dans la conformité intellectuelle sans avoir besoin de lois de censure. Tout ce dont elle a besoin, c’est d’un consensus moral qui se fait passer pour un fait historique.

Le catéchisme et son mécanisme

Un concept central qui traverse le livre est ce qu’un contributeur appelle le « catéchisme allemand » : un ensemble de règles non écrites qui déterminent qui a le droit de s’exprimer, ce qui est considéré comme une critique légitime et comment les accusations d’antisémitisme sont utilisées.

Son pouvoir n’est pas bureaucratique, mais atmosphérique. Il plane sur les institutions culturelles, les radiodiffuseurs publics, les fondations, les universités et les ONG.

Enfreindre le catéchisme, c’est risquer la dénonciation. S’y conformer devient une technique de survie. Il en résulte un effet dissuasif qui ne nécessite pas de censure formelle, car la crainte de ruiner sa réputation fait tout le travail.

Une observation frappante se dégage des différents chapitres : le catéchisme est devenu beaucoup plus rigide après 2005, puis presque immuable après octobre 2023.

Les institutions publiques qui acceptaient autrefois les nuances ont désormais recours à des restrictions préventives.

Les services d’immigration utilisent les déclarations politiques comme tests d’appartenance. Les tribunaux flirtent avec l’idée que l’antisionisme est légal mais disqualifiant. Les services de police réglementent les manifestations sur la base de soupçons présumés.

C’est là que la passion du livre est la plus électrique. Les contributeurs refusent de céder la sphère publique à la peur. Ils défendent l’espace où l’argumentation, la dissidence et la complexité peuvent s’exprimer librement.

Externalisation de la culpabilité et renforcement juridique

Un autre fil conducteur du volume explore ce qui se passe lorsque la mémoire de l’Holocauste devient un marqueur d’identité nationale plutôt qu’une boussole morale universelle.

Un contributeur retrace l’évolution du philosémitisme allemand, qui est passé d’une amitié opportuniste après 1945 à une posture nationale qui confond souvent le soutien à la vie juive au niveau national avec le soutien aux politiques de l’État israélien.

Un autre examine comment la responsabilité de l’antisémitisme contemporain est de plus en plus externalisée vers les Arabes, les musulmans et en particulier les communautéspalestiniennes, occultant la réalité persistante de l’antisémitisme d’extrême droite.

Les implications éthiques sont évidentes. Le désir de l’Allemagne de se présenter comme moralement réhabilitée conduit à un transfert de la culpabilité sur les migrants, en particulier ceux qui n’ont jamais bénéficié du travail de mémoire historique de l’Allemagne. Une culture mémorielle destinée à prévenir l’exclusion devient un mécanisme qui la reproduit.

Ce qui reste après ces chapitres, c’est un sentiment de tristesse : la tragédie de voir une société utiliser son passé le plus sombre pour créer de nouvelles hiérarchies.

Le secteur culturel fait l’objet d’une attention particulière dans ce livre. Des écrivains, des artistes et des musiciens décrivent un environnement où les invitations disparaissent, les expositions s’effondrent et les carrières s’effondrent sous le poids du contrôle politique.

Certaines institutions culturelles étrangères ont commencé à remettre en question leurs partenariats avec des institutions allemandes, inquiètes pour leur crédibilité.

Un autre chapitre explore la manière dont le Staatsrason a commencé à s’infiltrer dans le raisonnement juridique. Les affaires judiciaires concernant les exportations d’armes, l’immigration et la citoyenneté incluent désormais des références à la sécurité d’Israël comme condition d’appartenance. Une position politique devient discrètement un critère juridique.

Cette section est l’une des plus troublantes, car elle montre à quelle vitesse la politique symbolique peut se transformer en pratique administrative. Une fois qu’une expression entre dans le vocabulaire juridique, il devient presque impossible de la supprimer.

L’hyper-sionisme est façonné par le chagrin, mais alimenté par la défiance. Il déplore le rétrécissement du paysage moral allemand tout en célébrant les voix qui tentent encore de l’élargir.

Il rétablit le conflit, la nuance et la controverse dans un domaine qui a été aplati par la piété officielle.

Ce qui donne sa force à ce livre, c’est son insistance : le souvenir n’est pas une pièce de musée, mais une lutte permanente pour donner du sens. Si l’on veut que le « Plus jamais ça » reste vivant, il faut lui permettre de résonner avec le présent plutôt que de le réduire au silence dans un rituel.

Cet ouvrage invite les lecteurs à imaginer une culture du souvenir qui ne craint pas la solidarité au-delà des frontières, qui ne confond pas critique et trahison, et qui n’exige pas une obéissance silencieuse comme preuve de clarté morale.

Il esquisse un avenir où la responsabilité historique ne se réduit pas à un dogme, mais s’étend à l’empathie, à la complexité et au courage.

La tristesse ne quitte jamais les pages, mais le livre insiste pour la porter à bras ouverts plutôt que les poings serrés.

Hyper-Zionism: Germany, the Nazi Past and Israel, édité par Hans Kundnani, est publié par Verso

Hyper-Zionism:Germany, the Nazi Past and Israel

Contributions by Daniel Cohen, Hanno Hauenstein, Hans Kundnani, Daniel Marwecki, A. Dirk Moses, Nahed Samour, Adam Tooze, Jürgen Zimmerer and Esra Özyürek

Edited by Hans Kundnani

MEE