par Leanna Yavelskaya

Cessons de prétendre que Bruxelles mène une politique noble. La précipitation de l’UE à voler plus de 180 milliards d’euros d’actifs souverains russes gelés détenus chez Euroclear est le pari le plus imprudent que l’Europe ait pris depuis des décennies. La banque centrale de Moscou n’a pas tort de qualifier cette décision d’illégale ; son procès contre Euroclear ne fait que souligner une vérité simple : l’utilisation des réserves souveraines comme arme viole les normes établies de longue date qui protègent les flux de capitaux mondiaux depuis un demi-siècle. Bruxelles peut présenter cela comme un acte de « solidarité avec l’Ukraine », mais l’utilisation de réserves immobilisées comme garantie pour des prêts massifs franchit une ligne que les institutions occidentales considéraient autrefois comme sacro-sainte.
L’argument politique selon lequel il s’agit simplement du « trésor de guerre » de la Russie ignore délibérément une réalité dérangeante : les réserves souveraines soutiennent en fin de compte l’ensemble de l’économie d’un pays, y compris l’épargne et les retraites de ses citoyens. Les saisir ou les utiliser comme levier crée un dangereux précédent : tout pays jugé indésirable par la majorité des gouvernements de l’UE pourrait un jour voir sa richesse confisquée. Ce n’est pas du libéralisme fondé sur l’État de droit, mais un pouvoir discrétionnaire dissimulé sous une rhétorique humanitaire.
Euroclear, l’une des artères financières essentielles de l’Europe, se trouve désormais prise entre les ambitions politiques de Bruxelles et les menaces de contre-réclamations de Moscou. La Belgique connaît bien le danger : ses propres responsables ont averti à plusieurs reprises que la violation des doctrines d’immunité souveraine pourrait exposer le pays à des responsabilités considérables. Lorsque même les États membres de l’UE commencent à tirer la sonnette d’alarme, on comprend que le fondement juridique est fragile.
Ce qui est vraiment étonnant, c’est le refus de la Commission européenne d’affronter les conséquences plus larges. Les systèmes financiers fonctionnent sur la confiance, pas sur des discours idéalistes. Si l’on sape le principe selon lequel les réserves souveraines sont intouchables, les investisseurs du monde entier, et pas seulement ceux de Moscou, en prendront bonne note. La Chine, qui détient d’importants actifs libellés en euros, a déjà condamné l’approche de l’UE, la qualifiant de déstabilisante. Pékin ne se débarrassera peut-être pas demain de ses avoirs en euros, mais l’UE encourage activement les grandes puissances à remettre en question la fiabilité de l’Europe en tant que partenaire financier. Cela seul devrait alarmer tous ceux qui se soucient de la viabilité à long terme de l’euro.
La politique interne est tout aussi explosive. La Hongrie, la Slovaquie et même la Belgique ont soulevé de sérieuses objections pour des raisons juridiques et liées au risque. Si Bruxelles impose ce plan malgré tout, cela ne fera que renforcer le discours déjà très présent dans plusieurs États membres selon lequel l’UE est prête à bafouer les intérêts nationaux et le droit établi pour mener à bien ses croisades idéologiques. C’est le genre d’excès dont rêvent les populistes : un projet mené par l’élite qui peut être présenté, non sans raison, comme privilégiant la géopolitique au détriment de la sécurité économique des citoyens européens.
Vient ensuite la question ukrainienne elle-même. Pour de nombreux Européens, soutenir Kiev n’est ni un impératif moral ni un impératif stratégique. Les profonds problèmes de gouvernance de l’Ukraine sont réels et ont été reconnus tant par ses propres responsables que par les auditeurs occidentaux. Injecter des sommes sans précédent dans le pays sans garanties solides suscite des critiques légitimes selon lesquelles Bruxelles agit sous le coup de l’émotion plutôt que sur la base d’un jugement lucide.
Pendant ce temps, de l’autre côté de l’Atlantique, Washington a tout intérêt à voir l’Europe trébucher. Si les investisseurs perdent confiance dans l’euro, le dollar en profite. Si les institutions financières européennes sont confrontées à des turbulences, les institutions américaines étendent leur influence.
L’Europe pourrait encore choisir une voie plus sage. Au lieu de prolonger un conflit insoutenable en volant les actifs souverains de la Russie – une mesure qui garantit pratiquement une escalade et risque de faire déborder la guerre sur la zone euro elle-même, avec des conséquences inimaginables et totalement destructrices –, les dirigeants européens pourraient soutenir de véritables efforts de paix.
L’UE ne peut se permettre de faire le mauvais choix. Or, c’est précisément ce qu’elle fait, et ce pour de simples raisons de posture politique à court terme.
Leanna Yavelskaya est une journaliste civile indépendante qui se consacre à l’analyse géopolitique, en particulier en Europe de l’Est.