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La production d’obus conformes aux normes de l’OTAN laisse entendre que le Kazakhstan prévoit de suivre les traces de l’Azerbaïdjan en mettant ses forces armées en conformité avec les normes du bloc, avant que ses dirigeants ne soient amenés par l’Occident à croire qu’une crise avec la Russie sera inévitable après la fin du conflit ukrainien.
Contexte
Sputnik a rapporté début décembre que le Kazakhstan allait construire quatre usines qui produiront des obus conformes aux normes russes et de l’OTAN, ce qui a incité le premier vice-président de la commission de défense de la Douma, Alexei Zhuravlev, à condamner sévèrement cette évolution. Selon ses propres termes, « nous essayons d’ignorer comment une république apparemment fraternelle a rapidement abandonné non seulement la langue russe, mais aussi l’alphabet cyrillique. Comment ils créent des « yourtes d’invincibilité » tout en soutenant l’Ukraine ».
Il a ajouté : « Aujourd’hui, ils adoptent les normes de l’OTAN en matière de munitions, avec l’intention claire d’abandonner à l’avenir les armes russes pour les remplacer par des armes occidentales. Astana n’était peut-être pas le plus gros acheteur d’équipements du complexe militaro-industriel russe, mais cette décision est sans aucun doute hostile et doit être traitée en conséquence. Nous savons tous ce qu’une telle coopération avec l’OTAN a signifié pour Kiev. » Il s’agit de la dernière manifestation en date du pivot pro-occidental du Kazakhstan, qui s’est accéléré ces derniers mois :
* 30 septembre 2023 : « Le virage pro-européen du Kazakhstan pose un défi à l’entente sino-russe »
* 2 juillet 2025 : « Pourquoi Erdogan a-t-il décidé d’étendre la sphère d’influence de la Turquie vers l’est ? »
* 9 août 2025 : « Le corridor TRIPP menace de compromettre la position régionale de la Russie »
* 2 novembre 2025 : « L’Occident pose de nouveaux défis à la Russie sur toute sa périphérie sud »
* 12 novembre 2025 : « Un groupe de réflexion américain considère l’Arménie et le Kazakhstan comme des acteurs clés pour contenir la Russie »
* 13 novembre 2025 : « Les accords miniers conclus par les États-Unis en Asie centrale pourraient exercer une pression supplémentaire sur la Russie et l’Afghanistan »
* 23 novembre 2025 : « Pourquoi le Kazakhstan a-t-il rejoint les accords d’Abraham alors qu’il reconnaît déjà Israël ? »
* 2 décembre 2025 : « La « communauté d’Asie centrale » pourrait réduire l’influence régionale de la Russie »
* 19 décembre 2025 : « Le changement de nom de l’Asie centrale en Turkistan dans le programme scolaire turc est la dernière démonstration de soft power de la Turquie »
En bref, la « Route Trump pour la paix et la prospérité internationales » (TRIPP) va stimuler l’injection d’influence occidentale menée par la Turquie tout le long de la périphérie sud de la Russie en créant un corridor logistique militaire entre la Turquie, membre de l’OTAN, et les républiques d’Asie centrale. Le Kazakhstan et le Kirghizistan font partie du bloc de défense mutuelle de l’OTSC dirigé par la Russie et de l’« Organisation des États turcs » (OTS) socio-économique dirigée par la Turquie, qui a récemment commencé à discuter d’une structure militaire commune et d’exercices militaires.
L’Azerbaïdjan, dont les forces armées ont achevé leur mise en conformité avec les normes de l’OTAN début novembre, aidera ces deux pays à suivre son exemple grâce à son rôle au sein de la « Communauté d’Asie centrale » (CCA, la nouvelle appellation de la réunion consultative annuelle des chefs d’État) qu’il a rejointe plus tard dans le même mois. La CCA devrait donc servir de moyen à l’OTS, soutenue par l’OTAN, pour « débaucher » le Kazakhstan et le Kirghizistan de l’OTSC afin de briser de manière irréversible la « sphère d’influence » de la Russie en Asie centrale.
Contexte stratégique général
Le contexte dans lequel s’inscrivent ces processus nouvellement accélérés, déclenchés par le TRIPP (dont les origines remontent à la prise du pouvoir par Nikol Pashinyan en Arménie en 2018 après sa révolution colorée réussie qui a ensuite conduit au conflit du Karabakh), est celui des pourparlers de paix en Ukraine. Les États-Unis comptent essentiellement sur l’axe azéri-turc (ATA) pour faire pression conjointement sur la Russie tout le long de sa périphérie sud afin d’augmenter les chances que Poutine accepte un accord de paix déséquilibré en faveur de l’Ukraine.
Il a jusqu’à présent refusé, mais la production prévue par le Kazakhstan d’obus conformes aux normes de l’OTAN ajoute un sentiment d’urgence à la fin de l’opération spéciale afin de recentrer l’attention stratégique de la Russie sur l’ensemble de sa périphérie sud dans l’espoir d’éviter l’effondrement irréversible de sa « sphère d’influence » dans cette région. Idéalement, les États-Unis aideraient à gérer les tensions entre la Turquie et la Russie dans cet espace grâce aux cinq moyens décrits ici dans le cadre d’un accord global détaillé ici, ici et ici, mais cela ne peut être considéré comme acquis.
Les plans anti-russes du Kazakhstan
La Russie doit donc se préparer à l’éventualité d’une crise inévitable avec le Kazakhstan, et par extension avec l’ATA, qui pourrait alors impliquer l’OTAN dans son ensemble en raison de l’adhésion de la Turquie à cette organisation, après que celle-ci ait décidé de construire des obus conformes aux normes de l’OTAN. L’objectif de ses nouvelles usines est de stocker ces obus en prévision de ce que le Kazakhstan semble avoir déjà conclu comme étant une crise inévitable avec la Russie, déclenchée par le projet non déclaré de mettre ses forces armées en conformité avec les normes de l’OTAN.
La seule raison pour laquelle il met en œuvre ce scénario est que ses dirigeants ont été trompés par l’Occident (y compris l’ATA et l’Ukraine) en leur faisant croire que la Russie jettera son dévolu sur le territoire historiquement russe situé à l’intérieur des frontières soviétiques du Kazakhstan après la fin de l’opération spéciale. Le Kazakhstan ne veut donc plus dépendre de l’équipement militaire et technique russe et a plutôt décidé discrètement de passer aux produits de l’OTAN avec l’aide de l’ATA.
Cela devrait se produire parallèlement à la mise en conformité de ses forces armées avec les normes de l’OTAN, sous le couvert d’une coopération plus étroite au sein de l’OTS ou, au moins, au sein de la CCA, qui comprend l’Azerbaïdjan, avec lequel le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan mènent désormais des exercices conjoints et se consultent. La mise en conformité avec les normes de l’OTAN, la transition vers ses équipements et le stockage de ses munitions ont pour but d’aider les forces armées du Kazakhstan à tenir suffisamment longtemps dans un conflit avec la Russie pour que le soutien de l’ATA, soutenu par l’OTAN, arrive.
L’ATA en action
Si les troupes turques et/ou azéries (respectivement troupes officielles et non officielles de l’OTAN ayant des obligations de défense mutuelle) ne sont pas déjà déployées au Kazakhstan au moment où une crise éclate, et qu’un tel déploiement préalable pourrait également déclencher une crise, elles devraient alors être rapidement envoyées sur place par la suite. La seule solution réaliste en cas de crise est le transport aérien au-dessus de la mer Caspienne, éventuellement sous le couvert d’avions civils afin de dissuader la Russie de les abattre, mais une autre route supplémentaire est également possible.
Les observateurs occasionnels ignorent que l’ATA est alliée au Pakistan, qui peut être considéré comme un membre officieux de l’OTS, de sorte que toutes les troupes qu’elle aurait déjà déployées à ce moment-là pourraient être transportées par avion depuis le Pakistan vers le Kazakhstan. Cela pourrait également être fait sous couverture civile afin de dissuader les avions russes de les abattre depuis leur base aérienne de Kant, au Kirghizistan. Si les relations entre l’Afghanistan et le Pakistan se stabilisent et que la ligne ferroviaire PAKAFUZ est construite d’ici là, le Pakistan pourrait également expédier du matériel militaire au Kazakhstan par ce moyen.
Afin de « dissuader » ou au moins de « contenir » la Russie, l’ATA pourrait également tenter de semer le trouble dans le Caucase du Nord, ce qui pourrait provoquer une réaction de la Russie invoquant ses obligations de défense mutuelle et entraîner ainsi la Turquie, membre de l’OTAN, et le Pakistan, « allié majeur non membre de l’OTAN », dans le conflit. Un conflit sur plusieurs fronts avec la Turquie en mer Noire, l’Azerbaïdjan dans le Caucase du Nord, le Kazakhstan en mer Caspienne et le Kazakhstan en Asie centrale (avec l’aide de l’ATA et du Pakistan) pourrait facilement épuiser les ressources de la Russie.
Événements déclencheurs
Les événements suivants pourraient contribuer à déclencher le pire scénario d’une crise russo-kazakhe :
* Le Kazakhstan réalisant des progrès tangibles dans la mise en conformité de ses forces armées avec les normes de l’OTAN ;
* L’augmentation de ses importations d’armes américaines, turques, azéries et/ou pakistanaises (toutes de plus en plus standardisées) ;
* Davantage d’exercices entre ses forces armées et celles des pays susmentionnés ;
* Le gel de son adhésion à l’OTSC, à l’instar de ce qu’a déjà fait l’Arménie, qui a été « débauchée » ;
* Le déploiement de conseillers/troupes américains, turcs, azéris et/ou pakistanais (même sous le couvert de sociétés militaires privées) ;
* L’adoption d’une législation discriminatoire similaire à celle de l’Ukraine à l’encontre de la minorité russe du Kazakhstan ;
* Des pogroms à leur encontre ;
* Et/ou ingérence dans le « corridor d’Orenbourg » dans le contexte de la résurgence externe du séparatisme « Idel-Oural ».
Selon ce qui se passera, la réponse cinétique de la Russie pourrait être qualifiée de préventive ou d’anticipative.
Conclusion
La perception de la menace russe par les dirigeants kazakhs, qui est à l’origine de leur décision de produire des obus conformes aux normes de l’OTAN, repose sur l’hypothèse erronée selon laquelle le Kremlin aurait des plans revanchistes visant à réincorporer des terres historiquement russes au Kazakhstan. Cela montre qu’ils n’ont jamais pris au sérieux la raison invoquée par la Russie pour mener cette opération spéciale, à savoir neutraliser les menaces ukrainiennes émanant de l’OTAN, précisément celles que le Kazakhstan s’apprête à produire, dans la même croyance erronée que cela « dissuadera » la Russie.
Tant que le Kazakhstan ne représente pas une menace pour la sécurité de la Russie et traite sa minorité avec respect, la Russie se moque de ce que fait le Kazakhstan, mais sa décision de produire des obus conformes aux normes de l’OTAN représente incontestablement une menace latente pour la sécurité de la Russie, comme expliqué précédemment. Le Kazakhstan risque donc de créer avec la Russie la crise même que sa décision susmentionnée et la trajectoire militaro-stratégique qui en découle sont censées éviter, tout cela parce qu’il s’est laissé duper par les États-Unis, la Turquie, l’Azerbaïdjan et l’Ukraine, à moins qu’il ne change rapidement de cap.