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Une rébellion est en cours en Europe

Thomas Fazi

Le Premier ministre belge a appris à ses dépens qu’il n’est pas nécessaire d’être un populiste démagogue pour s’attirer les foudres de l’UE. Jusqu’à récemment, le conservateur modéré Bart De Wever était resté largement à l’écart des projecteurs européens. Cela lui était relativement facile, étant donné que son parti appartient au groupe des conservateurs et réformistes européens de centre-droit au Parlement européen, qui s’est fortement aligné sur la Commission d’Ursula von der Leyen concernant l’Ukraine. Pourtant, en l’espace de quelques mois, il est devenu l’ennemi public numéro un de l’establishment bruxellois.

Son crime ? S’être opposé au projet de Bruxelles de saisir les avoirs russes gelés en Europe. La grande majorité d’entre eux sont déposés chez Euroclear, une chambre de compensation basée à Bruxelles qui est au cœur du règlement des opérations sur titres à l’échelle mondiale. Pour le lobby pro-guerre européen, mené par la France et l’Allemagne, la confiscation était présentée comme le seul moyen de continuer à financer l’effort de guerre de l’Ukraine — ou, à défaut, de forcer les États membres à assumer collectivement cette charge par d’autres moyens, de plus en plus extraordinaires.

La Belgique avait toutefois des raisons impérieuses de s’y opposer. La confiscation – ou l’expropriation fonctionnelle – des actifs de la banque centrale russe violerait l’un des principes les plus sacro-saints de la finance internationale : la neutralité et l’inviolabilité des réserves souveraines. Enfreindre ce principe créerait non seulement un dangereux précédent, mais exposerait également la Belgique à des conséquences juridiques, financières et géopolitiques potentiellement graves, Euroclear étant domiciliée dans ce pays.

Comme l’a souligné Robert Volterra, l’un des avocats internationaux les plus respectés de Londres, la confiscation des actifs russes serait « absolument illégale » et hanterait l’UE pendant des générations. Les conséquences juridiques pourraient être énormes. La Russie disposait de multiples voies de recours et avait commencé à les explorer, ayant déjà intenté un procès à Moscou contre Euroclear.

À partir de là, la Russie pourrait intenter un procès devant les tribunaux belges, potentiellement jusqu’à la Cour suprême. Les juges belges seraient alors contraints de déterminer si les droits de propriété russes en vertu du droit national ont été violés et si le principe de l’immunité souveraine a été enfreint. Sur ces deux points, l’argumentation de la Russie serait solide. Si la Russie l’emportait, Euroclear serait elle-même responsable. Compte tenu des sommes en jeu, la chambre de compensation serait presque certainement déclarée insolvable, ce qui déclencherait les mécanismes de garantie des dépôts au niveau national et européen.

Dans un tel scénario, Euroclear serait à son tour contrainte de poursuivre l’État belge, qui aurait ordonné l’expropriation effective des actifs de ses clients. Les perspectives d’une telle action en justice seraient loin d’être négligeables. Au-delà de la Belgique, la Russie pourrait également saisir la Cour de justice européenne, la Cour internationale de justice et plusieurs instances d’arbitrage internationales. Même en mettant de côté les litiges — on pourrait faire valoir que dans le contexte actuel, il serait difficile de trouver un juge occidental disposé à statuer en faveur de la Russie —, il est difficile de voir comment la Belgique pourrait justifier son refus de débloquer les réserves russes si et quand un accord de paix sera finalement conclu.

Il n’est donc guère surprenant que la Belgique se soit révélée l’un des opposants les plus virulents à ce projet. M. De Wever a clairement averti que la confiscation équivaudrait à « un acte de guerre », la comparant à une intrusion dans une ambassade étrangère pour la dépouiller de son contenu et le vendre. On pourrait raisonnablement conclure qu’il défend simplement les intérêts de son pays en faisant respecter le droit international. Et pourtant, pour cela, il a été victime d’une campagne de dénigrement de la part des milieux politiques et médiatiques de l’UE. Il a été accusé d’agir sous la pression de la Russie, voire pire, d’être lui-même un agent russe. Dans le même temps, Bruxelles a menacé de « traiter la Belgique comme la Hongrie » si elle continuait à s’opposer au projet. C’est ce qui arrive lorsque même des gouvernements fidèles à l’UE osent sortir du rang.

« Il n’est guère surprenant que la Belgique soit devenue l’un des opposants les plus virulents à ce projet. »

Malgré la pression massive, De Wever a campé sur ses positions. Et il a été rejoint par un front de dissidents de plus en plus nombreux. La Hongrie et la Slovaquie ont ouvertement rejeté le projet, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán accusant la Commission de « violer systématiquement le droit européen ». L’Italie, la Bulgarie et Malte ont également exprimé des réserves.

Après tout, les implications économiques et financières d’une confiscation s’étendraient bien au-delà de la Belgique. Une fois brisée l’hypothèse selon laquelle les réserves souveraines détenues à l’étranger sont à l’abri de toute saisie politique, nul ne peut prédire quelles en seraient les conséquences. Les pays commenceraient à considérer les actifs libellés en euros non pas comme une réserve de valeur sûre, mais comme un passif politique pouvant être confisqué à la discrétion de Bruxelles. Le message serait sans équivoque : vos actifs ne sont en sécurité que tant que vous restez politiquement dociles. Il en résulterait presque certainement une fuite des capitaux hors d’Europe, encore plus rapide qu’elle ne l’est déjà.

Néanmoins, face à une résistance croissante, Bruxelles a eu recours la semaine dernière aux pouvoirs d’urgence prévus à l’article 122 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne pour geler indéfiniment les avoirs russes, affirmant que cela lui permettrait d’agir à la majorité qualifiée plutôt qu’à l’unanimité. Or, cela constitue une violation flagrante du traité. L’article 122 s’applique strictement aux mesures économiques d’urgence prises en réponse à des catastrophes naturelles ou à des perturbations économiques graves. Il ne s’applique pas à la politique étrangère, qui exige sans équivoque l’unanimité. Le sort des actifs souverains gelés de la Russie relève toutefois manifestement de la politique étrangère. Prétendre le contraire est un tour de passe-passe extra-légal.

Il s’agit là d’un autre exemple de prise de pouvoir par Bruxelles. Si l’article 122 – ou toute autre disposition – peut être étendu pour justifier la saisie d’actifs souverains étrangers et l’imposition de dettes massives à des États membres réticents, il peut être utilisé pour contourner l’unanimité dans un large éventail de décisions de politique étrangère.

La menace a toutefois fonctionné. Vendredi, lors de la réunion du Conseil européen, la Commission n’est pas parvenue à obtenir un accord sur l’utilisation des avoirs russes gelés. Elle a en revanche obtenu un accord sur un prêt distinct de 90 milliards d’euros, garanti par le budget de l’UE et souscrit par tous les États membres à l’exception de trois (la Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque), qui ont obtenu une dérogation. En réalité, l’obstacle politique a été contourné non pas en changeant de stratégie, mais en transférant directement le risque financier aux contribuables européens. Comme l’a clairement indiqué Mme von der Leyen avant le sommet, il n’y avait guère de place pour la dissidence : « Personne ne quittera le sommet de l’UE tant que la question du financement de l’Ukraine ne sera pas résolue. »

Incroyablement, l’accord prévoit que le prêt ne devra être remboursé par l’Ukraine que si et quand la Russie acceptera de payer des réparations de guerre, transformant ainsi des réparations hypothétiques futures en financement immédiat. Cette idée relève au mieux d’un vœu pieux. Il est très improbable que la Russie accepte des réparations contraignantes, même en cas d’accord de paix, ce qui signifie qu’il y a peu de chances que l’Ukraine rembourse un jour le prêt. Cela est d’autant plus frappant que l’Europe a déjà dépensé beaucoup : les parlements de l’UE ont approuvé au moins 187 milliards d’euros d’aide à l’Ukraine, en plus des coûts indirects considérables.

Cet épisode illustre le fonctionnement de l’UE : elle crée de faux dilemmes qui empêchent tout véritable choix politique. Les États membres ont été confrontés à un choix difficile : soit accepter de confisquer les avoirs gelés de la Russie, soit se préparer à garantir collectivement un nouveau prêt massif. Une troisième option n’a jamais été sérieusement envisagée : cesser d’investir dans une stratégie qui s’est avérée être un échec et s’efforcer plutôt de mettre fin à la guerre par la voie des négociations.

Pourtant, il est facile de comprendre pourquoi l’UE ne peut se permettre d’affronter l’échec de sa stratégie ukrainienne, qui a infligé d’immenses dommages économiques à l’Europe sans rien apporter sur le champ de bataille, et qui a laissé l’Ukraine dans une situation pire qu’au début de la guerre. Reconnaître cette réalité aurait un coût politique énorme pour les élites de l’UE, en particulier celles qui ont le plus investi dans le discours de la victoire à tout prix – d’où leur détermination à maintenir la guerre à tout prix. C’est pourquoi, même après avoir échoué à s’entendre sur la confiscation, Bruxelles a fait passer un prêt massif, soutenu par le budget, comme substitut. Les conséquences seront lourdes : les Ukrainiens continueront à souffrir et à mourir dans une guerre impossible à gagner, tandis que l’Europe restera enlisée dans un état permanent de guerre économique et de confrontation militaire par procuration avec la Russie, avec un risque constant d’escalade vers un conflit direct.

Si cette sombre trajectoire a un côté positif, c’est que l’imprudence de ces choix ne fera qu’exacerber les contradictions d’un projet qui pousse le continent au bord du gouffre, forçant finalement à un règlement de comptes, tant au sein des États membres qu’entre les citoyens européens. En effet, la Commission a peut-être réussi à éviter une humiliation catastrophique, mais ce faisant, elle a révélé la nature de plus en plus autoritaire de l’Union, prête à passer outre les intérêts nationaux et à rejeter les contraintes juridiques, les normes démocratiques et la rationalité économique fondamentale au nom de croisades idéologiques. Par ailleurs, l’énorme charge financière imposée par le dernier accord ne fera qu’aggraver les fractures internes et pousser les budgets nationaux à leur limite, d’autant plus qu’il est clair qu’il entraînera un détournement supplémentaire de ressources destinées aux infrastructures européennes délabrées, aux hôpitaux sous-financés et aux écoles surchargées.

Et l’Ukraine est loin d’être le seul point chaud. Bruxelles a également du mal à obtenir le soutien nécessaire à l’accord de libre-échange Mercosur avec l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. Là aussi, la résistance s’intensifie. La France mène depuis longtemps l’opposition, Emmanuel Macron ayant récemment réitéré que l’accord manquait de réciprocité en matière de normes de production, de réglementation des pesticides et de sécurité alimentaire. Le front s’est considérablement élargi cette semaine, lorsque la Première ministre italienne Giorgia Meloni a qualifié l’accord de « prématuré », invoquant des garanties insuffisantes pour l’agriculture européenne. La position de l’Italie est cruciale, car elle laisse entrevoir la possibilité d’une minorité de blocage au sein du Conseil, qui comprend également la Pologne, la Hongrie et l’Autriche.

Les manifestations ont ajouté à la pression. Jeudi, des centaines de tracteurs ont convergé vers Bruxelles, tandis que des agriculteurs de toute l’Europe dénonçaient ce qu’ils considèrent comme une concurrence déloyale. Les garanties proposées n’ont guère contribué à apaiser l’opposition, ce qui a conduit à un nouveau report de la ratification de l’accord au Conseil européen.

Ainsi, alors que les contradictions au sein de l’UE continuent de s’accumuler, il est de plus en plus difficile d’imaginer comment Bruxelles pourra gérer encore longtemps ce mouvement de rejet. L’Union commence à ressembler à un empire en ruine, qui s’appuie non seulement sur la répression, la censure et la manipulation électorale pour maintenir son contrôle, mais aussi sur des tactiques toujours plus agressives dirigées même contre les gouvernements pro-UE eux-mêmes. En imposant des engagements toujours plus imprudents au nom de l’unité, elle ne fait que préparer le terrain pour une implosion encore plus catastrophique à l’avenir.

UnHerd