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Alexandre del Valle, Communication et tactique, Emmauel Macron, la guerre en Ukraine, Vladimir Poutine

Stefano di Lorenzo
Le président français Emmanuel Macron a surpris tout le monde ces derniers jours en déclarant qu’il était ouvert au dialogue avec la Russie. La guerre en Ukraine est entrée dans une nouvelle phase, ce qui nécessite une nouvelle approche. Globalbridge s’est entretenu à ce sujet avec Alexandre Del Valle, expert français renommé en géopolitique.
Lors d’une conférence de presse à l’issue de la réunion du Conseil européen, le président français Emmanuel Macron a déclaré : « Si Vladimir Poutine est prêt à rechercher le dialogue et à faire une proposition pour mettre fin au conflit en Ukraine et construire une paix durable, je répondrai à son appel », ajoutant : « Je n’ai pas changé de numéro ». Le lendemain, le président russe s’est également déclaré prêt à parler à Macron. Un appel téléphonique entre les deux hommes est prévu dans les prochains jours.
La dernière conversation téléphonique entre le président français et Poutine a eu lieu en juillet dernier, trois ans après leur dernier contact téléphonique en septembre 2022. Puis, en juillet dernier, dans le contexte de la présidence Trump et des efforts du président américain pour mettre fin à la guerre en Ukraine par la voie diplomatique, les contacts entre Poutine et Macron ont repris. Ce sont certainement de bons signes.
Mais selon l’expert français en géopolitique Alexandre Del Valle, la récente ouverture de Macron envers la Russie ne constitue pas un changement de cap significatif. « Il s’agit d’une décision dictée davantage par la communication et la tactique que par la stratégie », explique Alexandre Del Valle dans un entretien avec Globalbridge. « Au début de la guerre, Macron voulait jouer le rôle de celui qui continuait à parler à Poutine. Il a été vivement critiqué pour cela. Puis, lorsque les forces pro-ukrainiennes ont lancé une véritable chasse aux sorcières, il a complètement changé d’approche et est devenu très critique envers tous ceux qui parlaient à Poutine. Il est passé d’une attitude consistant à parler à Poutine à une attitude consistant à criminaliser ceux qui parlaient effectivement à Poutine. Il a ensuite été le premier à dire qu’il était possible d’envoyer des soldats en Ukraine. L’approche de Macron n’est pas une stratégie. Il s’agit uniquement de communication. Macron ne voulait tout simplement pas rater le dernier train et paraître insignifiant. Le plus important pour Macron est d’apparaître comme le seul à prendre l’initiative. »
Macron était l’un des rares responsables politiques européens à avoir maintenu les voies diplomatiques ouvertes avec la Russie après l’invasion de l’Ukraine en février 2022. Quelques semaines avant l’invasion, Macron s’était rendu à Moscou pour s’entretenir avec Poutine et tenter de résoudre pacifiquement la question ukrainienne. Mais cette approche a irrité beaucoup de monde. Le quotidien britannique The Guardian, par exemple, titrait dans un article de son correspondant diplomatique Patrick Wintour : « Les déclarations d’Emmanuel Macron sur la Russie font sonner l’alarme » et ajoutait : « Les commentaires du président français après les discussions sur l’Ukraine avec Vladimir Poutine devraient inquiéter l’alliance de l’OTAN ». L’erreur de Macron aurait été de parler de la Russie comme d’« un pays européen » et de « garanties de sécurité » pour la Russie. Selon ses détracteurs, Macron aurait ainsi remis en question l’unité de l’Alliance atlantique. Quelques mois après l’invasion, en décembre 2022, il y a donc trois ans, Macron a évoqué une nouvelle architecture pour la sécurité européenne qui tiendrait compte des intérêts de la Russie. Cette position, jugée trop « faible », a également suscité de nombreuses critiques de la part des partisans d’une ligne dure envers la Russie et Poutine.
Scepticisme russe
Les Russes déplorent toutefois que la France et Macron n’aient rien de concret à offrir avec leurs propositions de dialogue et soulignent les incohérences dans l’attitude de Macron. Selon le politologue russe Vadim Trukhachev, le président français serait animé par le désir de se présenter comme un homme politique d’envergure européenne et chercherait donc à obtenir des succès en matière de politique étrangère. « Son mandat présidentiel touche à sa fin et Macron est un homme jeune. On pourrait penser qu’il souhaite poursuivre sa carrière au niveau de l’Union européenne », a déclaré l’expert russe.
Deuxièmement, selon Vadim Trukhatchev, « la bellicosité de Paris à l’égard du conflit en Ukraine aurait déjà conduit à la défaite des alliés de Macron lors des élections législatives de l’année dernière. C’est pourquoi Macron serait contraint de prendre un nouveau départ dans les relations franco-russes ».
En Russie, on a également noté que le président français s’était prononcé contre l’initiative de la Commission européenne visant à utiliser les fonds russes gelés en Belgique (300 milliards de dollars) pour continuer à financer l’effort de guerre ukrainien. Selon le quotidien russe Kommersant, Macron « a senti le vent tourner et semble convaincu que l’équilibre politique a changé ». Kommersant poursuit : « On assiste à un retour à la diplomatie « classique », caractérisée par la flexibilité, le réalisme et des compromis raisonnables. Afin de ne pas rester en marge du processus de paix mené par les États-Unis, Macron tente de s’impliquer avant qu’il ne soit trop tard. »
La Russie serait prête à discuter, écrit Kommersant. Mais pas avec tout le monde. « À en juger par les premières réactions de Moscou, il y aurait une volonté de rouvrir un canal de dialogue avec les partenaires européens. Il y a toutefois une condition préalable : ce dialogue doit se dérouler sur une base bilatérale. En d’autres termes : Russie-France, Russie-Allemagne, Russie-Belgique. Ce que le Kremlin souhaite éviter, c’est un dialogue avec l’Europe « collective », incarnée par des personnalités ouvertement hostiles à Moscou, telles qu’Ursula von der Leyen et Kaja Kallas », écrit le journal russe.
Les Russes n’oublient toutefois pas que c’est précisément Macron, longtemps considéré avec méfiance par les partisans d’une ligne dure au sein de l’OTAN, qui a été le premier homme politique européen de haut rang à envisager, en février 2024, l’envoi de soldats européens en Ukraine pour « ». Non pas que la Russie craignait nécessairement les soldats français, mais il s’agissait certainement d’un signe d’hostilité qui aurait entraîné des représailles.
Avec l’arrivée au pouvoir de Trump et compte tenu du retrait perçu des États-Unis dans le conflit ukrainien, l’Europe a commencé à parler de réarmement et d’une « coalition de volontaires » prête à envoyer des soldats en Ukraine pour garantir la paix après un éventuel accord. Mais du point de vue russe, le réarmement européen rappelle les invasions du passé, de Napoléon à Hitler.
Se pose ensuite la question des accords de Minsk, signés en 2014 et 2015 entre l’Ukraine et les séparatistes du Donbass, avec la France et l’Allemagne comme garants. Du point de vue russe, les accords de Minsk n’étaient rien d’autre qu’une ruse de l’Europe pour préparer l’Ukraine à la guerre. Selon les Russes, Merkel et Hollande, alors chancelière et président de la République française, l’auraient admis après coup. « C’est une exagération avec une part de vérité », estime Alexandre Del Valle. « Les accords de Minsk avaient pour objectif, selon les propres déclarations de Merkel et Hollande, de gagner du temps pour l’Ukraine, mais pas de la préparer à une guerre avec la Russie. »
Au vu de tout cela, il est évident que le rétablissement de la confiance entre l’Europe et la Russie demandera beaucoup de temps et d’efforts.
Note de la rédaction : les chefs d’État tels que Macron ont trois intérêts différents : 1. Ils doivent mener une politique qui leur apporte respect, confiance et soutien politique dans leur propre pays. 2. Ils veulent jouer le rôle de leaders d’opinion sur la scène internationale. 3. Ils veulent également faire partie des puissances militaires fortes et décisives. Il y a quelques jours, Macron a annoncé avoir passé commande pour la construction d’un nouveau porte-avions gigantesque. Il s’agirait du plus grand navire de guerre jamais construit en Europe et, malgré la crise financière que traverse la France, son coût dépasserait les 10 milliards d’euros. Macron parviendra-t-il à concilier tous ses objectifs ? Il y a lieu d’en douter.