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C’est le seul endroit qui échappe à la censure et à la peur qui verrouillent toute la société.

Majid Hosseini

L’escalier du Syndicat des journalistes, le seul lieu qui effraie le régime al Sissi

Depuis le déclenchement de la guerre à Gaza, le régime égyptien a réussi à museler toute manifestation pro-palestinienne et toute contestation de sa position dans cette guerre, que ce soit dans les rues du Caire ou d’autres villes. Seul un endroit résiste à la censure et la peur de la dictature du président al Sissi : l’escalier du Syndicat des journalistes. À chaque mobilisation sur ses marches, il effraie le régime. Celui-ci craint que les slogans des Égyptiens tournent en revendications révolutionnaires, contre le pouvoir.

« Le monde entier proteste, sauf l’Égypte gouvernée par des militaires », « Oh, Palestine, nous sommes désolés, nous sommes aussi occupés », et « El Arjani (l’homme d’affaires du Sinaï) et Hala (entreprise qui contrôle le passage à Rafah et facture des milliers de dollars aux Gazaouis voulant passer en Égypte), vous êtes les agents d’Israël »… Le 3 avril dernier, à moins d’un kilomètre de la place Tahrir, en plein centre du Caire, près de 300 manifestants et journalistes criaient ces slogans sur l’escalier du Syndicat des journalistes. Hasard du calendrier, au même moment se tenait la prestation de serment du président al Sissi pour un nouveau mandat.

Dès le début du mois sacré de ramadan, l’escalier du Syndicat des journalistes a accueilli chaque semaine des dizaines des manifestants pour exprimer leur soutien au peuple palestinien. Toutefois, le nombre de manifestants a connu une hausse les deux dernières semaines. Leur ton, également, a haussé contre la politique du gouvernement al Sissi.

Colère de l’appareil sécuritaire

« Les deux premières semaines du ramadan, on a évité de critiquer ouvertement l’implication du régime dans le blocus de Gaza et son approbation implicite des crimes israéliens contre le peuple palestinien », dit à La Libre, Mohamed Abdellah, un des jeunes qui a participé à toutes les manifestations pro-Palestine devant le Syndicat des journalistes. « Mercredi dernier, on était tellement que ça nous a encouragés à critiquer directement le régime », ajoute ce jeune membre d’un parti d’opposition.

Toutefois, cette manifestation a suscité la colère de l’appareil sécuritaire. Quelques heures plus tard, dix personnes ont été arrêtées dès leur retour à leur domicile. Mohamed Abdellah a dû fuir son appartement à toute vitesse pour se cacher chez un ami, sans oublier d’éteindre son portable pour ne pas être localisé. « C’était une nuit de panique. Parmi les personnes arrêtées, il y avait quatre de mes amis. Celui qui tombe dans leur main ne voit pas facilement la lumière à nouveau », ajoute le jeune homme.

Même situation pour Mahmoud Hassan, journaliste dans un site d’opposition, qui a éteint son portable et a prié pour ne pas être arrêté. Le lendemain, quatre autres de ses collègues ont été arrêtés.

La police a finalement décidé de libérer les jeunes interpellés dimanche dernier, sous la pression des partis d’opposition et suite à la polémique médiatique. Une libération sous condition : l’interdiction au Syndicat des journalistes d’organiser des manifestations similaires à l’avenir. « Le régime a peur. Il voit que les manifestations hebdomadaires devant le Syndicat des journalistes vont plus loin que l’expression du soutien aux Palestiniens. Elles dénoncent la politique du régime lui-même. Aussi, de nouveaux visages venant des quartiers populaires apparaissent parmi les manifestants », précise Mahmoud Hassan.

Histoire de la contestation

N’en déplaise aux autorités, cet escalier s’est bâti la réputation de dernier refuge de l’opposition pour protester contre les régimes récents en Égypte. « L’escalier du Syndicat des journalistes a un rôle important dans la contestation et la mobilisation des Égyptiens face au pouvoir », explique à La Libre Ammar Ali Hassan, ancien professeur de politique sociale à l’Université de Helwan au Caire.

Pendant l’ère Moubarak, quand le régime a muselé l’espace public, des ouvriers (entre autres) n’ont trouvé que cet escalier pour protester contre leurs conditions de travail. « Même si cet endroit ne peut accueillir que quelques centaines de personnes, il a toujours joué un rôle important dans l’organisation de petites manifestations, devenues à leur tour le noyau dur de grandes contestations, comme la révolution du 25 janvier 2011 », ajoute ce professeur.

En 2016 et 2017, les marches du Syndicat ont ainsi été le centre de la contestation contre la cession par le régime de deux îles à l’Arabie saoudite. Des dizaines de personnes avaient été arrêtées pendant ces manifestations.

La Libre