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|  Par Pierre Puchot

En Israël, il ne se passe désormais plus trois jours sans qu’une manifestation contre la guerre à Gaza ne fasse l’objet d’une violente répression de la part des militants d’extrême droite. Jafar Farah dirige le centre Mossawa, dédié à l’étude des discriminations subies par la communauté arabe en Israël. « Une manifestation de haine à cette échelle, plus seulement de la part des colons de Cisjordanie, je n’ai jamais vu cela, c’est un phénomène nouveau », dit-il.

En Israël, il ne se passe désormais plus trois jours sans qu’une manifestation contre la guerre à Gaza ne fasse l’objet d’une violente répression de la part des militants d’extrême droite, souvent armés de barres de fer et défilant aux cris de « mort aux Arabes ! ». À Tel Aviv, la manifestation de samedi 26 juillet, qui a rassemblé 5 000 personnes, a dû être fortement encadrée par les forces de l’ordre, ce qui n’a pas empêché les incidents, comme on peut le voir dans cette vidéo, et le séjour à l’hôpital de plusieurs dizaines d’opposants à la guerre en cours.

Le phénomène a pris une ampleur considérable depuis le 18 juillet dernier à Haïfa, lorsque des milliers de militants ont attaqué une manifestation contre l’offensive terrestre à Gaza, et battu notamment l’adjoint au maire Suhail Assad : « J’ai eu peur pour ma vie et celle de mon fils », nous confiait la semaine passée cet élu âgé de 62 ans. « Ils étaient des milliers quand nous n’étions que quelques centaines. Heureusement, des citoyens se sont parfois interposés, sans quoi je ne sais pas bien comment cela aurait fini. »

À Haïfa, la communauté arabe est l’une des plus importantes d’Israël. Un lointain souvenir de la ville d’avant 1948, avant le grand exode et les centaines de milliers de Palestiniens expulsés à travers tout le pays, ce que les Palestiniens appellent la Nakba, la « catastrophe ».

Ancien journaliste, déjà très actif lors de la guerre du Liban en 1982 alors qu’il était étudiant, Jafar Farah (dont on peut aussi lire un portrait ici) dirige le centre Mossawa, dédié à l’étude des discriminations que subit en Israël la communauté arabe (20 % de la population totale du pays) et au lobbying auprès des institutions, du parlement et du gouvernement pour qu’elles cessent. « Les Juifs de Haïfa ne comprennent pas ce que les Arabes ressentent quand Gaza est bombardée, estime Jafar Farah. Ils ne comprennent pas pourquoi nous sommes en colère. Ils nous regardent et nous disent : « Mais comment, vous devriez être contents, Israël vous protège aussi. » Contents ? Contents que les réfugiés soient tués, encore et encore ? Eux voudraient que nous soyons contents, faute de quoi, nous sommes considérés comme des traîtres, comme une cinquième colonne qu’il faut transférer en dehors d’Israël. C’est ce que pense Liberman (le ministre d’extrême droite des affaires étrangères – ndlr). »  Entretien avec Jafar Farah.

Mediapart : Vendredi 25 juillet, Israël s’est doté d’un nouveau président, le député du Likoud Reuven Revlin, qui se dit favorable à l’annexion de la Cisjordanie et à la mise en place d’un seul État. Même si son pouvoir est avant tout symbolique, que pensez-vous de son accession à la présidence ?

Jafar Farah : Je connais Reuven Revlin depuis 10 ans en tant que membre de la Knesset. Il croit en effet en la solution à un État, dans l’égalité civile. Mais il sera très compliqué pour lui de former une coalition pour mener Israël vers cette solution, car les partisans d’un seul État en Israël au sein de la droite veulent imposer un État d’apartheid. Pas un État qui apporte l’égalité, la dignité, mais un État juif avec une occupation claire et nette. Revlin peut arriver à des choses intéressantes du point de vue des droits civils, mais pas des droits nationaux. Car il croit en un État juif, point à la ligne. En ce qui concerne les droits civils, il voudra sans doute aboutir à des compromis concernant les citoyens palestiniens à laquelle la droite israélienne n’est pas prête, comme l’autonomie dans les territoires occupés, l’égalité devant l’emploi, les allocations de ressources. Il sera davantage actif sur les questions antiracistes. Je ne vois pas en revanche comment le mur (dit de « séparation », qui sépare Israël de la Cisjordanie, lire notre précédent reportage – ndlr) pourrait s’insérer dans son projet.

J’ai rencontré son équipe il y a trois semaines, lorsque j’étais avec la famille Abou Khoudaïr, celle du jeune Mohammed, tué et brûlé vif. Il a demandé à rendre visite à la famille, ce que peu de gens du Likoud et de la droite auraient fait. En outre, si vous avez écouté les discours jeudi 24 juillet lors de la passation, Shimon Pérès a présenté Israël comme l’État qui permettra d’aboutir à la solution à deux États…

Oui, c’est l’image que Shimon Pérès a sur le plan international, l’homme des accords d’Oslo qui porte cette solution à deux États (revoir ici les images de 1993).

Je ne suis pas sûr que Pérès, au bout du compte, soit vraiment un partisan de la solution à deux États. Pérès fait partie du problème, et non de la solution.

Il reste un symbole important à l’échelle internationale. 

Et c’est justement l’un des problèmes auxquels nous faisons face aujourd’hui. Je m’explique : aujourd’hui, « Bougie » Herzog (de son vrai prénom Isaac, qui dirige le parti travailliste) et Tzipi Livni soutiennent l’entrée en guerre. Or si tout deux sont sur cette position, la communauté internationale adoptera la même. Le centre gauche israélien se présente au public et à la communauté internationale en ayant endossé les idées de la droite. Et à la fin, la population devient encore plus à droite que la droite elle-même, parce que la gauche elle-même est de droite. Si « Bougie » Herzog soutient la guerre, pourquoi les Américains seraient-ils contre la guerre ?

Pérès, je l’appelle « l’homme de la thérapie par le discours ». Il dit à la communauté internationale ce qu’elle veut entendre. Mais sur le terrain, il bâtit des colonies. Il parle de paix, mais il œuvre pour la séparation. Le mur de « séparation » était une idée de la gauche, que Sharon n’a fait que reprendre. Et quand vous dites : « Ils sont là-bas, et nous ici », vous parlez de séparation, et non de paix, de coexistence.

Est-ce pour cela que l’on trouve un si grand gouffre entre le centre gauche en Israël et des partis de gauche comme Hadash ou Balad (qui accueillent sur leurs listes des citoyens arabes israéliens et comptent 4 élus chacun à la Knesset) ?

Bien sûr, et aussi avec la communauté arabe. Notre communauté envisage la paix dans le sens d’une ouverture des frontières. En dépit de l’occupation, du mur, des frontières, des centaines de Palestiniens, citoyens d’Israël, vivent et travaillent à Ramallah. 7 000 Palestiniens étudient dans les universités jordaniennes. Dans le même jour, je peux aller à la Knesset à Jérusalem rencontrer Revlin, et me rendre ensuite à Ramallah pour voir Abou Mazen (Mahmoud Abbas). C’est un trajet d’une demi-heure.

La population juive vit au contraire dans l’isolement, et elle ne comprend pas le potentiel de ce petit territoire. Quand ils vous parlent de paix, la seconde question qu’ils vous posent est si vous êtes prêt à « bouger ». Mais tout le monde bouge ! À Amman, à Ramallah, à Jérusalem, à Haïfa. Les Palestiniens d’Israël sont déjà dans la mentalité de la solution à deux États. La population juive d’Israël est toujours dans la mentalité de l’isolement, et Pérès a contribué à cela.

Quand les Israéliens parlent de paix, ils ne parlent pas d’ouverture de frontière, de voyage, d’échange, mais de séparation. Et c’est très dangereux pour nous, car même si vous pouvez construire des murs autour de la Cisjordanie et de Gaza, vous ne pouvez pas en construire un avec moi, avec Haïfa. Or la séparation qui est mise en œuvre est aussi effective entre les Juifs et les Arabes de Haïfa. Si la séparation n’est pas physique, elle est mentale. Les Juifs de Haïfa ne comprennent pas ce que les Arabes ressentent quand Gaza est bombardée. Ils ne comprennent pas pourquoi nous sommes en colère. Ils nous regardent et nous disent : « Mais comment, vous devriez être contents, Israël vous protège aussi. » Contents ? Contents que les réfugiés soient tués, encore et encore ? Or eux voudraient que nous soyons contents. Faute de quoi, nous sommes considérés comme des traîtres, comme une cinquième colonne qu’il faut transférer en dehors d’Israël. C’est ce que pense Liberman (le ministre d’extrême droite des affaires étrangères – ndlr).  

«La mentalité de l’isolement ne nous mènera pas à la solution à 2 Etats, mais à une nouvelle guerre»

Le passage de la rhétorique de la solution à deux États à celle de l’État unique, qui est à la fois promue par des Palestiniens de Cisjordanie et des députés de l’extrême droite israélienne, est en train de semer une grande confusion à l’étranger.

Les gens qui, au sein de la droite israélienne, promeuvent la solution à un État unique, ne nous amèneront nulle part. Et ce serait l’une des plus grandes erreurs des Palestiniens que de jouer leur jeu. Cela a été si difficile jusqu’à aujourd’hui de convaincre la communauté internationale du droit des Palestiniens à l’autodétermination… La première étape, après 1948, a été de faire reconnaître les Palestiniens en tant que tels. À l’époque, même les Arabes ne voulaient pas reconnaître l’existence du peuple palestinien. (L’un de ses adjoints entre dans la pièce, et lui fait passer plusieurs feuilles imprimées.) Ce sont des statuts et déclarations de Facebook des policiers de Haïfa. Ces derniers jours, certains appellent les chefs d’entreprise qui emploient des Palestiniens d’Israël à les renvoyer, la population à surveiller les Arabes, c’est assez terrible… bref. De 1948 à 1967, ce sont les Jordaniens qui négocient en notre nom. Plus tard, notre droit à l’autodétermination fut reconnu au plan international. Puis vint le troisième enjeu, celui de l’établissement d’un État. À force de lutte, nous avons passé toutes ces étapes. Et voilà que nous dirions à notre peuple : « Non, non, nous préférons la solution à un État. » Cela n’apporterait que confusion au sein de la communauté internationale, et mènerait le mouvement de solidarité internationale à une impasse. Nous devons nous en tenir à cet objectif de la solution à deux États. Il faut arrêter de jouer avec cela, cela met en danger le combat mené par les Palestiniens depuis 1948. C’est exactement ce que la droite israélienne cherche, que l’on tombe dans le piège.

La ville de Haïfa. Juillet 2014. La ville de Haïfa. Juillet 2014. © Pierre Puchot

Quelles sont les conséquences de la guerre de Gaza sur les Palestiniens d’Israël ? Samedi 19 juillet, un adjoint au maire et son fils ont été tabassés à Haïfa lors d’une manifestation contre l’offensive israélienne.

Il y a plusieurs niveaux. Le premier est celui du fascisme en Israël. Il a toujours existé ici : des gens qui voulaient tuer les Arabes, des députés de la Knesset qui voulaient un État « nettoyé » des Arabes, qui décrivent les Arabes comme un cancer, nous voyons cela depuis des décennies. Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est l’impunité pour les crimes commis. La première fois que j’ai vu le phénomène auquel nous assistons aujourd’hui, ce fut pendant la guerre contre le Liban en 1982. Les Israéliens tuaient des gens au Liban en disant : « C’est eux, ils nous ont tiré dessus ! » Et après, ils tuaient encore et ils disaient : « C’est une erreur ! » Cette manière de penser est majoritaire aujourd’hui en Israël, d’accabler tous les autres sans endosser soi-même sa part de responsabilité pour les crimes commis.

Il y a aujourd’hui en Israël vingt pour cent de la population qui a commis les crimes de la Nakba en 1948 en chassant les Palestiniens, et qui vit dans le déni. Et ce que nous voyons depuis 1982, c’est une armée israélienne qui commet des crimes contre les civils, et qui continue à le faire de guerre en guerre, en toute impunité. Moralement, c’est un désastre. Car ce jeune qu’ils envoient prendre son avion, détruire les maisons à Gaza et tuer des familles, il revient après pour étudier avec mon enfant à l’université !

Les jardins Bahai, l'un des symboles de Haïfa.Les jardins Bahai, l’un des symboles de Haïfa. © Pierre Puchot

Ce que nous voyons désormais, c’est le fruit de cette escalade de violence : des gens qui ne sont pas seulement dans le déni, mais veulent commettre des crimes contre leurs voisins, ici, à Haïfa. On l’a vu : ces personnes ne tapent d’ailleurs pas seulement sur les Arabes, mais aussi sur les Israéliens opposés à la guerre. Samedi 19 juillet, des milliers de gens ont attaqué quelques centaines de personnes qui manifestaient contre la guerre. J’ai moi-même été très violemment frappé, plusieurs ont failli être tués et se sont retrouvés à l’hôpital. Le fossé entre citoyens arabes et juifs se creuse en Israël. Je suis né à Haïfa, j’ai grandi ici, il y a eu des périodes très difficiles, mais ce fascisme-là, on ne l’avait encore jamais vu. Depuis 2000, il y a eu une escalade, certes, et des dizaines de meurtres de citoyens arabes bien sûr, la répression de la police, et même parfois de la population juive. Mais une manifestation de haine à cette échelle, plus seulement de la part des colons de Cisjordanie, mais à Haïfa, à Saint-Jean-d’Acre, à Jaffa, à Nazareth, je n’ai jamais vu cela, c’est un phénomène nouveau. Et l’on voit derrière les forces politiques en mouvement, les colons qui viennent dans les grandes villes pour instiguer la haine et la violence, et ainsi prouver que la solution à deux États ne peut pas marcher. Ces organisations de colons veulent encore compliquer davantage le Proche-Orient. Jadis, nous étions côte à côte avec le maire de Haïfa pour interdire l’entrée de la ville à ces organisations fascistes. Aujourd’hui, des représentants de la ville appartiennent au parti de Liberman. L’adjoint au maire est battu en pleine rue, et la municipalité ne fait rien, il n’y a même pas eu de réunion d’urgence d’organisée. Bien au contraire, la maire adjointe du parti de Liberman l’a critiqué pour avoir manifesté contre la guerre.

«La moitié de la communauté vit sous le seuil de pauvreté»

Outre les guerres répétées, liez-vous cette escalade aux différents textes passés à l’assemblée depuis l’élection de la nouvelle majorité en 2013 ?

La communauté arabe d’Israël détient aujourd’hui 11 sièges sur 120 à la Knesset. Il suffirait donc de 50 députés favorables à l’établissement d’un État palestinien pour obtenir une majorité et permettre à la solution à deux États de voir le jour. Les colons l’ont très bien compris, et c’est pour cela que la droite a fait voter dernièrement quantité de projets de loi qui nous visent de manière spécifique. C’est la loi sur la Nakba (voté en 2011, le projet de loi voulu par le parti d’Avigdor Liberman, Israel Beyteinou, prévoyait à l’origine une peine de trois ans d’emprisonnement pour quiconque se prêterait publiquement à des cérémonies commémorant la Nakba. La formule définitive évoque des amendes infligées aux autorités publiques qui financeraient l’organisation d’événements publics commémorant la Nakba en lieu et place du jour de l’Indépendance – ndlr), la loi qui, dans la commission pour l’emploi et contre les discriminations, établit une différenciation entre Arabes : les chrétiens et les musulmans. Je suis chrétien, et j’ai été le premier Arabe membre de cette commission, et je sais bien qu’il y a eu quantité de pressions de la part de la droite. Cette commission est un outil de promotion des droits de l’Homme et des minorités en Israël. Désormais, pour miner son travail, ils (plus précisément, le député du Likoud Yariv Levin, qui a élaboré et porté le projet, voir notre article précédent – ndlr) ont fait passer une loi qui oblige à nommer un pourcentage de membres musulmans, un autre de chrétiens. Pourquoi pas des pourcentages d’ashkénazes et de mizrahim, tant qu’ils y sont ?

Parmi tant d’autres textes, il y a également le « Prawer Plan » (élaboré par le gouvernement, il prévoit à terme l’expulsion de 30 000 à 40 000 bédouins du Néguev – ndlr), et toute la législation qui y est liée, pour autoriser toujours plus de constructions de moshavim et de kibboutz dans le Néguev.

Dans un autre registre, la loi votée en 2000 imposait qu’en 2012, le taux d’employés arabes dans la fonction publique soit de 12 %. Il est aujourd’hui de 9,25 %. Même la loi n’est pas appliquée ! Ce qu’a conquis la communauté arabe israélienne année après année est aujourd’hui sujet à de multiples attaques de la part de la droite.

Le centre Mossawa à Haïfa. Le centre Mossawa à Haïfa. © Pierre Puchot

En dépit des multiples divisions au sein de la coalition gouvernementale, il y a donc une véritable cohérence politique, qui a un effet particulièrement nocif selon vous sur la communauté arabe israélienne.

Effectivement, cette politique affecte tout particulièrement la communauté bédouine dans le Néguev, à travers notamment les évacuations forcées des villages (à lire ici et , deux articles parus dans la presse israélienne sur le sujet), facilitées par l’absence de visibilité de la communauté arabe dans la presse internationale. Un village comme Al Araqi a été détruit des dizaines de fois ! La communauté arabe israélienne est isolée et peu médiatisée. Rien que ce mois-ci, 400 personnes ont été arrêtées. Vendredi 18 juillet, une manifestation à Haïfa a été réprimée par 600 policiers, et 30 manifestants arabes ont été arrêtés.

Pourtant, l’un des arguments de la droite israélienne pour imposer une annexion de la Cisjordanie est le caractère « démocratique » selon eux de l’État d’Israël, y compris concernant les Palestiniens d’Israël.  Que répondez-vous à cela ?

Sur le plan social et économique, il suffit de regarder les chiffres. La moitié de la communauté arabe vit sous le seuil de pauvreté. Cela engendre un cercle vicieux, qui ne permet pas à la majorité de cette communauté d’avoir un accès satisfaisant aux études supérieures, et par conséquent au marché de l’emploi. Et le chômage touche même en masse ceux qui sont allés à l’université. C’est particulièrement vrai pour les femmes : 18 000 femmes de la communauté diplômées de l’université sont aujourd’hui sans emploi.

Dans le même temps, si vous allez le dimanche à 5 heures du matin sur l’autoroute numéro 6, vous trouverez un flux massif de voitures venues du Nord vers le Néguev, pour construire les nouveaux quartiers des villes d’Ashdod, d’Askelon, de Sderot, la ligne de train… tandis que les villages arabes ne sont habités que le week-end. Qui construit les infrastructures en Israël ? Les Chinois et les Arabes. C’est une main-d’œuvre peu qualifiée qui, à 50 ans, est rejetée hors du marché du travail. Et les jeunes de la communauté n’ont pas d’espoir d’y être intégrés. Cette frustration économique s’ajoute à une frustration politique qui a provoqué, selon notre étude, près de 34 manifestations et répressions de la part de la police dans les villages arabes cette année.

Moins de 6 % du budget de l’État sont alloués aux projets de développement destinés à la communauté arabe d’Israël. Ce qui veut dire que dans nos quartiers, nos régions, il n’y a pas de zones industrielles, de transports publics. Nous ne pouvons pas construire d’université, nous n’en avons donc toujours pas. Dans le secteur du logement, c’est la même chose : nous manquons de terres, nous avons tellement de difficultés à obtenir des permis de construire, que le député d’extrême droite Uri Ariel fait lui-même pression pour que nous puissions construire à Nazareth (située au nord d’Israël, Nazareth est la ville d’Israël qui comporte la plus forte communauté d’Arabes israéliens – ndlr), pour éviter que nous n’allions habiter dans le quartier de Nazareth Ilit avec les Juifs ! Et je pourrais vous parler du domaine culturel, de l’absence de la moindre cinémathèque arabe sur l’ensemble du territoire israélien, d’un théâtre important… Nos enfants grandissent dans une communauté sans infrastructure culturelle. Des colonies juives de Cisjordanie comme Ariel disposent de centres culturels importants, quand la ville de Nazareth, une ville de 80 000 habitants, attend encore le sien. La réalité de ce pays, c’est cela.

Source: Mediapart.fr