Moscou réserve un accueil glacial au secrétaire d’Etat américain

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Rex Tillerson à son arrivée à l’aéroport international de Vnoukovo, près de Moscou.  © Reuters/Maxim Shemetov

Le premier contact à haut niveau entre l’administration Trump et le Kremlin souffre de l’attaque chimique perpétrée en Syrie la semaine dernière. Rex Tillerson ne sera finalement pas reçu par Vladimir Poutine

D’épaisses volutes de fumée noire ont accueilli hier après-midi l’avion du secrétaire d’État américain Rex Tillerson à l’aéroport Vnukovo de Moscou. «Incendie de gazon» ont expliqué les autorités. Au même moment, le président russe ironisait sur les accusations d’attaque chimique en Syrie: «C’est barbant, les filles» (citation d’un roman satirique soviétique). S’exprimant devant les médias à l’issue d’un entretien avec le président italien Sergio Mattarella, Vladimir Poutine notait: «Cela rappelle beaucoup les événements de 2003, lorsque les représentants des États-Unis ont présenté des soi-disant armes chimiques découvertes en Irak, après quoi une campagne militaire a débuté en Irak, qui s’est terminée par la destruction du pays, l’émergence de la menace terroriste et la création de l’État Islamique sur la scène internationale».

La Russie comme ennemi commun, voilà l’excellente plate-forme trouvée par les pays européens pour se rapprocher de l’administration Trump, s’est encore moqué le président russe en référence au soutien envers les frappes américaines contre une base aérienne de l’armée régulière syrienne le 7 avril. Prenant un ton sérieux, il a indiqué que la Russie dispose d’informations selon lesquelles de nouvelles «provocations – je ne peux pas les appeler autrement – se préparent dans d’autres régions de Syrie, y compris la banlieue de Damas, où on planifie la propagation de substances afin d’accuser ensuite les autorités syriennes».

Moscou ne dévie donc pas d’un iota de son soutien envers Bachar al-Assad. Le Ministère russe de la défense affirme que l’attaque chimique sur le village de Khan Chaïkhoun le 4 avril était un bombardement de l’aviation syrienne contre un dépôt d’armes chimiques contrôlé par l’opposition. L’attaque a fait au moins 80 morts, dont de nombreux enfants.

A la veille de sa première visite à Moscou en tant que secrétaire d’État américain, Rex Tillerson avait présenté un tableau radicalement différent de la situation. Pour lui, le règne du président syrien Bachar al-Assad «touche à sa fin» et la Russie va voir son rôle «devenir négligeable au Moyen-Orient si elle continue à le soutenir». S’exprimant en marge d’une réunion des ministres des affaires étrangères du G7 (dont la Russie a été exclue en 2014), Rex Tillerson a indiqué que la Russie continue de participer aux négociations et «peut jouer un rôle important». Le G7 n’a pas décidé de nouvelles sanctions contre la Russie, comme l’avait proposé la Grande-Bretagne.

Mais le secrétaire d’État américain a aussi enfoncé le clou en accusant la Russie d’incompétence ou d’inattention concernant l’accord passé en 2013 avec les États-Unis pour la destruction complète des stocks d’armes chimiques syriens. Ces accords avaient été conclus à la suite du bombardement au sarin de la Ghouta (une banlieue de Damas alors contrôlée par les rebelles) qui avait fait au moins mille morts. À l’époque, Moscou avait soutenu que l’opposition était responsable du bombardement, tandis que les capitales occidentales pointaient toutes du doigt l’armée régulière.

Officieusement, les accusations à l’encontre de la Russie vont beaucoup plus loin. Une source officielle à Washington a indiqué mardi à l’agence américaine AP qu’une enquête préliminaire a conclu que la Russie avait été informée au préalable de l’attaque chimique syrienne sur Khan Chaïkhoun. Selon cette même source, un drone de l’armée russe aurait survolé l’hôpital où étaient traitées les victimes de l’attaque au sarin. Un avion aurait ensuite bombardé cet hôpital pour faire disparaître les preuves de l’attaque chimique.

Le durcissement soudain de l’administration Trump sur le dossier syrien a fortement et désagréablement surpris Moscou. C’est la campagne militaire russe en Syrie qui avait permis à Vladimir Poutine de revenir au centre du jeu international, face à des Occidentaux passifs. En renversant la situation militaire en faveur de Bachar al-Assad, Vladimir Poutine avait fait de la Syrie son protectorat, jusqu’à ce qu’il soit percé de manière humiliante par 60 missiles américains.

Le ton acerbe du président russe mardi et son refus de recevoir Rex Tillerson, comme il était prévu à l’origine, signalent une frustration grandissante envers l’administration Trump. Rex Tillerson ne rencontrera finalement que son homologue Sergueï Lavrov mercredi, pour ce qui sera le premier contact de haut niveau entre la nouvelle administration Trump et le Kremlin. On voit mal comment les deux camps pourraient trouver une position commune alors qu’ils ne parviennent pas à s’entendre, ne serait-ce que sur les faits.

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