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by Elijah J Magnier

Traduction : Daniel G.

Bien que la Chine soit un joueur relativement « timide » sur l’échiquier politique du Moyen-Orient, les USA, qui exercent leur hégémonie en revendiquant un pouvoir exclusif sur les pays arabes les plus « obéissants » (ceux qui tombent dans leur sphère d’influence stratégique), se sentent menacés par elle. Ce qui inquiète les USA, c’est le modèle différent proposé par Pékin, qui tient compte et tire parti des expériences militaires ratées des USA dans leurs nombreuses guerres et tentatives d’ingérence politique directe au cours des dernières décennies.

La Chine espère faire une percée économico-politique non agressive au Moyen-Orient, en proposant un modèle moins féroce et moins clairement affiché que le modèle américain. La Chine a de fortes chances de réussir en raison de la prise de conscience croissante dans cette partie du monde de la nécessité, pour les pays du Moyen-Orient, de diversifier leurs relations internationales et leurs échanges commerciaux. Cela va dans le sens des efforts déployés par les pays du Moyen-Orient pour réduire leur dépendance à l’égard des USA et des pays occidentaux.

En outre, l’effet dévastateur des interventions américaines et le grand nombre de morts causés par les forces US ont créé un important ressentiment chez de nombreuses populations, au moment même où les moyens de communication modernes et les échanges sur les médias sociaux rendent impossible la dissimulation des preuves des méfaits exercés par les USA. De son côté, Pékin préconise une approche de non-ingérence dans les affaires des autres États. Il cherche à suivre une politique de « zéro ennemi », en se limitant à quelques (modestes) interventions militaires dans différentes parties du monde. La Chine ne menace aucun pays d’action militaire ou de sanctions. Contrairement à Washington, la Chine n’a jamais brandi la carte de la « défense des droits de la personne » (que Donald Trump avait laissé tomber) pour intimider des pays et leur mettre cette pression sur le dos pour réaffirmer son influence au besoin. 

Les dirigeants chinois surveillent la politique et la dynamique internationales et observent les pays et les peuples qui s’opposent à la force militaire la plus puissante du monde, tout comme la manière dont ils se sont rebellés pour défier l’hégémonie américaine. Par conséquent, la Chine n’entre pas au Moyen-Orient pour « piller » ce que les USA ont mis dans leur « panier ». Elle appelle au contraire à un partenariat avec les pays relativement pauvres et d’autres riches en pétrole qui possèdent la source d’énergie primaire nécessaire aux industries chinoises. En outre, la Chine cherche à multiplier les marchés pour ses industries et ses produits.

Ce à quoi Pékin croit correspond aux aspirations de la plupart des pays du Moyen-Orient. La Chine pense que la stabilité au Moyen-Orient passe par le dynamisme économique, les possibilités de travail, la construction d’infrastructures vitales et la prestation de services d’éducation et de santé universels. Pour la Chine, tout cela aide les pays à se développer et empêche la migration de leurs populations vers l’Occident ou les pays riches en pétrole. Le continent européen voisin étant le plus touché par le flux migratoire, les objectifs chinois concordent avec le désir des pays européens de soutenir les habitants du Moyen-Orient, sans pour autant appuyer l’hégémonie américaine. Les USA ont étendu leur influence oppressive sur les pays plus pauvres du Moyen-Orient au moyen de financements et de prêts consentis par la Banque mondiale, dominée par les USA. De même, en exploitant la crainte de l’Iran et l’inquiétude de certains royaumes concernant leurs trônes, les USA ont établi des bases militaires réparties un peu partout dans de nombreux pays du Moyen-Orient. Les USA s’en sont pris à des pays pauvres en leur imposant de lourdes sanctions afin de déstabiliser des gouvernements faibles. Les USA n’ont finalement pas réussi à atteindre ces objectifs, ce qui a permis à la Chine de tirer les leçons des nombreuses erreurs de Washington et de les éviter.

Il est naturel pour la Chine de craindre que les USA tentent de déstabiliser son unité et sa sécurité intérieures en brandissant les cartes de la « démocratie » et des « droits de la personne ». Ce qui n’empêche pas les USA de maintenir des relations bien établies avec de nombreux dictateurs et monarchies au pouvoir. Sauf que la « carte des droits humains » est politisée plutôt que défendue par principe. Les craintes de Pékin sont légitimes, car Washington a acquis une longue expérience en encourageant les « révolutions de couleur » pour renverser des régimes dans le monde entier. Toutefois, les USA n’ont réussi à instaurer la paix nulle part où leurs soldats se sont engagés dans une guerre.

La Chine n’est pas parvenue à lancer des médias nationaux ou internationaux solides qui soutiennent sa politique, qui font la promotion des centaines de projets essentiels dans lesquels elle est engagée dans le monde entier ou qui comparent le modèle chinois au modèle américain qui a échoué. Ces médias brillent par leur absence au Moyen-Orient.

L’histoire de la Chine et du monde arabe

Il y a deux mille ans, la dynastie Han entretenait des liens étroits avec le Moyen-Orient, grâce aux routes commerciales traditionnelles appelées « route de la soie », qui reliaient l’Orient à l’Occident. Après la fondation de la République populaire de Chine en 1949, la Chine de Mao Zedong s’est repliée en priorité sur elle-même et les environs. Cette politique a affaibli les relations avec le Moyen-Orient jusqu’à ce que Deng Xiaoping (1978-1989) prenne la direction du pays et améliore les relations à la suite des lentes réformes économiques amorcées sur le plan intérieur. Les besoins de la Chine en pétrole (60 % de son pétrole provient du Moyen-Orient) et le pouvoir d’achat des pays arabes et des pays d’Asie occidentale ont incité les dirigeants chinois à accorder plus d’attention à cette partie du monde pour l’exportation de ses marchandises. La Chine est alors sortie de l’isolement qu’elle s’était imposé.

Lorsque le président Hu Jintao a pris le pouvoir (2002-2012), la Chine a conclu des accords de libre-échange avec les pays du Conseil de coopération du Golfe. L’année 2004 marque la création du Forum de coopération sino-arabe (CASCF). Par la suite, la part des échanges commerciaux et des investissements chinois avec le Moyen-Orient est passée d’un milliard en 2005 à 11 milliards en 2009.

La « nouvelle Chine »

En 2013, le président Xi Jinping a présenté sa stratégie économique la plus importante et la plus ambitieuse pour faire revivre et amplifier l’ancienne « route de la soie ». L’initiative « la Ceinture et la Route » du 21esiècle comme il l’appelait, consiste à relier par voie terrestre et maritime la Chine à l’Afro-Eurasie, soit plus de 60 % de la population mondiale. Ce projet colossal permettrait à la Chine de surpasser l’Union européenne et les USA, qui dominent l’économie mondiale depuis très longtemps.

L’initiative chinoise vise à briser l’encerclement maritime que les USA ont tenté d’établir, au moyen de la « stratégie du collier de perles » qui relie des dizaines de ports du Pacifique Ouest et de l’Asie orientale à l’océan Indien, à l’Afrique et à l’Europe. Cela permettra à la Chine de prendre pied en Afro-Eurasie et de renforcer sa puissance douce le long des routes commerciales les plus fréquentées. En fait, 90 % des importations chinoises de pétrole empruntent cette route partant d’Afrique et du Moyen-Orient. En outre, le commerce annuel transitant par la mer de Chine méridionale est estimé à 5 000 milliards de dollars, ce qui représente plus de la moitié du volume total des échanges commerciaux dans le monde.

Par conséquent, le Moyen-Orient est considéré comme une « région stratégique de priorité absolue » pour la Chine, qui souhaite jouer un rôle plus important. En effet, ses investissements au Moyen-Orient s’élèvent déjà à 177 milliards de dollars, dont 70 milliards avec les seuls pays du Conseil de coopération du Golfe.

De toute évidence, les pays du Moyen-Orient ont besoin de la Chine et vice versa. Pékin a pris de nombreuses mesures pour s’implanter et a mis beaucoup d’énergie pour pénétrer les marchés libanais et irakiens, en proposant des concepts attrayants pour des projets dont ces deux pays ont grandement besoin. Mais le moment pour proposer des projets d’envergure était mal choisi pour ces pays, car ils craignaient la réaction et la colère des Américains. Ceux-ci refusent à la Chine de se tailler une place dans de nombreux pays du Moyen-Orient par crainte de la comparaison qui ébranlerait inévitablement les USA et leur position dans cette partie du monde.

En fait, le type de soutien choisi par les USA et confié à leurs « amis » excluait tout projet d’infrastructure d’envergure dont les pays concernés sous domination américaine partielle (le Liban et l’Irak) ont cruellement besoin. Ce qui n’a pas manqué d’engendrer une grande insatisfaction au sein de la population. Cette stratégie boiteuse, qui ne tient pas compte des infrastructures, donne l’occasion à la Chine de privilégier des interventions de gestion civile plutôt que gouvernementale pour justifier son retour dans ces pays en vue d’y investir et d’y prendre pied. La Chine trouvera de nombreux pays ouverts à l’alternative qu’elle propose, en raison de la nature non dominante de son modèle de développement observé à l’intérieur et à l’extérieur du cercle d’influence des USA et par rapport à celui-ci.

La Chine joue un rôle commercial et d’échange à l’échelle planétaire et assume une fonction politique importante en tant que membre permanent des Nations unies. Elle amplifie son rôle grâce à une coordination avec la Russie sur plusieurs questions relatives au Moyen-Orient. Les interventions russo-chinoises les plus récentes au Conseil de sécurité de l’ONU concernaient la Libye, la Syrie et le dossier nucléaire iranien. Les USA comptent d’ailleurs sur la Chine pour jouer un rôle positif auprès de l’Iran dans le cadre des négociations relatives au dossier nucléaire. L’opposition sino-russe à de nombreuses résolutions de projets rédigées par les USA a permis d’éviter l’adoption de nombreuses sanctions et interventions militaires au Moyen-Orient.

Militairement, le président Xi Jinping et Pékin ont participé aux forces de maintien de la paix au Liban en 2016. La Chine a envoyé ses navires dans le golfe d’Aden pour participer aux opérations de lutte contre la piraterie, sur décision des Nations unies, sans prendre parti ni s’impliquer autrement dans les conflits du Moyen-Orient. En fait, la Chine a établi de bonnes relations avec le Hamas, le HezbollahIsraëll’Iran et l’Arabie saoudite et a signé des accords commerciaux avec plus de 15 pays arabes

La Chine déploie aussi sa capacité militaire. Elle a effectué pour la première fois des exercices navals conjoints avec l’Iran et la Russie dans le golfe d’Aden, afin de démontrer sa plus grande visibilité. Par ailleurs, le Sénégal a demandé à la Chine d’intervenir pour combattre le terrorisme au Sahel. La Chine a investi plus de 200 milliards de dollars en Afrique, et le continent africain et sa sécurité revêtent une grande importance pour Pékin. La Chine se construit un arsenal militaire, naval et de missiles impressionnant. Elle vient de tester sa capacité spatiale des plus perfectionnées (qui compte des missiles hypersoniques pouvant constituer une dissuasion évidente pour tout pays qui veut l’attaquer). 

La Chine s’est également rendue en Afrique pour nouer des relations avec l’Égypte et plusieurs pays africains. Elle a construit une base navale à Djibouti en 2017 et a contribué aux forces de maintien de la paix au Mali et au Soudan. Des « bateaux-dragons » chinois ont atteint les côtes syriennes de Tartous et de Lattaquié pendant l’occupation du nord-est de la Syrie par les USA.

La Chine est suffisamment forte pour intimider toute puissance étrangère tentée de l’agresser avec ses quelques centaines de missiles nucléaires. Elle est toutefois loin de rivaliser avec la quantité de bombes atomiques que possèdent les USA, même si ce n’est pas la quantité qui compte. Les USA n’ont utilisé que deux bombes lancées contre Hiroshima et Nagasaki pendant la Seconde Guerre mondiale. Elles ont détruit deux villes japonaises et montré la capacité destructrice des USA à l’endroit des populations civiles en cas de guerre.

Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII)

Pendant la guerre froide, la Chine a profité de la course aux armements nucléaires entre les USA et la Russie pour stimuler son économie et atteindre son objectif. La richesse ainsi obtenue a permis à la chine de lancer des projets colossaux qui ont eu un effet sur l’économie et les finances mondiales.

En 2013, la Chine a annoncé la création de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII), qui depuis Pékin compte 104 membres, dont l’Arabie saoudite, l’Égypte, la Jordanie, l’Iran, le Koweït, Oman, le Qatar, les Émirats arabes unis et le Bahreïn, avec un capital de 100 milliards de dollars. Son influence la met en concurrence avec la Banque mondiale, que les USA ont créée pour imposer leur politique économique aux pays et s’immiscer dans des questions économico-politiques, ce qui a un impact plus important que toute intervention militaire.

La Chine joue un rôle actif au sein des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et est membre de l’Organisation de coopération de Shanghai (Chine, Inde, Kazakhstan, Kirghizstan, Pakistan, Russie, Tadjikistan, Ouzbékistan et Iran). Pékin tente de créer des partenariats et de se faire des alliés pour assurer sa prospérité économique et fortifier sa position dans le monde.

Conclusion

Contrairement au fondement de la politique des USA, l’objectif actuel de la Chine se fonde sur des « stratégies de partenariat » renouvelées avec les pays du Moyen-Orient (surtout pas sur un colonialisme explicite), en évitant d’exacerber les différences et les conflits internes et sectaires. La Chine fonctionne comme une superpuissance, en se donnant un statut international qui la protège de toute ingérence extérieure dans ses affaires intérieures. Après avoir fermé les portes sur elle-même pendant des décennies, elle a tiré les leçons des erreurs commises par d’autres grandes puissances comme l’Union soviétique et les États-Unis d’Amérique. Il a été prouvé qu’il est rare que les solutions militaires permettent d’atteindre les objectifs souhaités.

Pour l’instant, la Chine n’a pas l’expérience et la volonté nécessaires pour gagner le cœur et l’esprit des habitants du Moyen-Orient, pourtant désireux d’avoir des échanges avec une superpuissance économique plus visible qui ne cherche pas seulement à aller fouiller dans leurs poches. Toutefois, la politique de la Chine consiste indubitablement à avancer lentement mais sûrement, et à consolider sa position dans le monde avant de devenir un acteur de premier plan dans des directions, des pays et domaines variés.

Cela crée de l’anxiété au sein de l’administration américaine, qui a de quoi s’inquiéter de la concurrence intense de la Russie et la Chine qui menace son hégémonie. Logiquement, Washington devrait se rendre compte que l’ère de l’unilatéralisme est révolue et que l’ère de la multipolarité est incontestablement devenue une réalité.

La plupart des pays du Moyen-Orient ne sont pas habitués à se gouverner eux-mêmes sans interférence extérieure d’un chef de l’« orchestre » qu’ils forment. Or, le chef d’orchestre américain a été et demeure une partie du problème. La question qui se pose est donc la suivante : La Chine peut-elle jouer le rôle du maestro (sous une forme plus rationnelle que les USA) sans nécessairement déployer sa force militaire et en s’appuyant principalement sur son pouvoir économique?

Source: https://ejmagnier.com/2021/12/17/les-usa-craignent-le-modele-chinois-et-ses-effets-sur-les-pays-du-moyen-orient/