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Lors de sa visite à Marseille jeudi dernier, Emmanuel Macron a donné certaines indications ou perspectives qui peuvent être comprises comme un « précipité » en ce début de second quinquennat de ce qui était à l’ordre du jour depuis quelque temps et à l’horizon depuis la loi Debré instituant le cadre des établissements privés sous contrat.

claude lelièvre, Historien de l’éducation

Vers la fin de l’ouvrage « L’Ecole d’aujourd’hui à la lumière de l’histoire » paru aux éditions Odile Jacob en mars 2021, j’avais déjà mis en évidence la problématique posée dès la mise en place de la loi Debré, et son actualité renouvelée.

« En présentant son projet de loi à l’Assemblée nationale le 23 décembre 1959, Michel Debré avait déclaré que « l’enseignement privé représente aussi une forme de collaboration à la mission d’éducation nationale, qui le fait participer à un service public ».

Le Bulletin du secrétariat général à l’enseignement catholique du 15 mai 1969 a rendu compte de cette orientation, et l’a reprise à son compte : « L’enseignement libre constitue un appoint indispensable à l’œuvre éducative de l’État : il gère une partie importante du service public d’enseignement. Partant de cette constatation, la loi Debré, dans ses grandes lignes, ne fait que reprendre en les adaptant au domaine de l’enseignement des techniques déjà employées dans d’autres secteurs : la sauvegarde de l’esprit d’initiative et de responsabilité conduit à recourir au procédé de la gestion d’une activité d’intérêt général par une personne ou un organisme de droit privé. Au sein même du secteur public économique, le récent rapport Nora a préconisé l’accroissement de l’autonomie des entreprises publiques ou semi publiques. »

La sociologue Lucie Tanguy a pu conclure dans un numéro de la Revue française de sociologie de 1972 : « Le débat qui précède et suit la loi Debré de décembre 1959 n’est plus posé dans les seuls termes idéologiques (laïcité, neutralité, liberté). De la justification d’interventions de l’État dans les processus économiques (comme les fusions et la décentralisation des entreprises), on déduit l’élargissement de la notion de service public recouvrant l’aide de l’État à des entreprises privées ; on légitime l’octroi d’un nouveau statut à l’enseignement privé, lequel ne fera que corroborer cette idée de service privé d’utilité publique. » (Revue française de sociologie, XIII, 1972, p.338.)

On ne devrait donc pas être autrement surpris de la déclaration faite en mai 1995 par Guy Bourgeois (le président de l’association Créateurs d’écoles et l’éphémère directeur de cabinet du ministre de l’Education nationale François Bayrou)) qui prend clairement appui sur une certaine lecture de la loi Debré pour tenter de généraliser la « gestion contractuelle privée » à l’enseignement public lui-même, dans le sens d’une reconnaissance institutionnalisée du  »droit à la différence » se mariant avec un certain  »esprit d’entreprise » innovant et conquérant : « Le grand mérite de la loi Debré est d’avoir organisé la gestion contractuelle du service public. Alors pourquoi la limiter à l’enseignement privé ? On vient de s’apercevoir que la loi Debré peut permettre de régler des situations aussi complexes que celles des écoles bretonnes ou basques. Elle doit permettre aussi la création ou le maintien en vie d’« écoles différentes » comme les écoles Steiner ou Montessori. Bref, le moment paraît venu de donner un second souffle à la loi Debré. Au lieu d’engendrer l’uniformité, elle pourrait permettre de réintroduire la différence et l’innovation. » (Le Monde de l’éducation, mai 1995.)

On peut se demander à quel point cela est en route depuis la loi Dussopt de « transformation de la fonction publique » du 7 août 2019 (qui va dans le sens d’une certaine généralisation de la « contractualisation » et des « contractuels » à l’intérieur même de la fonction publique) »

Eh bien, cela semble se  »précipiter »

claude lelièvre