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par Denis COLLIN

12, 5 mil­lions d’élèves dans le pri­maire et le secondaire, aux­quels il faut ajou­ter plus de 2,5 mil­lions d’étudiants dans l’ensei­gne­ment supé­rieur, un mil­lion de pro­fes­seurs, sans comp­ter les parents d’élèves — si on estime la moyenne des famil­les à 2 enfants, cela donne entre 12 et 13 mil­lions de parents d’élèves. L’école, ça pèse lourd dans la nation ! Et au-delà du poids du nombre, l’ensei­gne­ment détient les clés d’une bonne partie de notre avenir. Or, chose curieuse, la ques­tion de l’ensei­gne­ment a été pres­que absente des grands débats des der­niè­res élections pré­si­den­tiel­les et légis­la­ti­ves.

Les désas­treu­ses consé­quen­ces de Parcoursup et la liqui­da­tion hon­teuse du bac­ca­lau­réat, voilà deux éléments qui auraient dû sus­ci­ter l’inter­ven­tion poli­ti­que active hos­tile à Macron. Et bien, rien ! Silence radio ou pres­que. Quand l’admi­nis­tra­tion de l’Éducation natio­nale est prise la main dans le sac à tri­cher sur les notes du bac pour se fabri­quer un bon bilan et une ren­trée plus facile en temps d’aus­té­rité, qui pro­teste ? Il est vrai que les affai­res scan­da­leu­ses d’un État cor­rompu jusqu’à la moelle sont si nom­breu­ses qu’on ne sait plus où donner de la tête !

Il est urgent que la ques­tion de l’école soit res­sai­sie dans toute son ampleur et sa radi­ca­lité. L’école est un enjeu social et poli­ti­que majeur et nous devons d’abord cons­ta­ter que, sous cou­vert de démo­cra­ti­sa­tion de l’école, nous assis­tons depuis les années 1960-1970 a une entre­prise per­verse de démo­li­tion de l’école comme lieu de trans­mis­sion des savoirs et d’acqui­si­tion de diplô­mes garan­tis à valeur natio­nale et sa trans­for­ma­tion en « lieu de vie » chargé de per­met­tre l’épanouissement des « élèves au centre », qui devien­dront sans trop forcer employa­bles et flexi­bles — qu’ils ne sachent plus rien ou pres­que n’est pas grave, bien au contraire.

Il est impos­si­ble de faire l’his­toire de cette décom­po­si­tion lente d’une ins­ti­tu­tion dont ne par­lait jadis qu’avec res­pect et qu’aujourd’hui tous mépri­sent. On ne revien­dra ni sur la réforme Fouchet, ni sur le col­lège unique de M. Haby, ni sur les mul­ti­ples inven­tions toutes plus arbi­trai­res les unes que les autres qui ont désor­ga­nisé l’ins­ti­tu­tion et miné l’auto­rité de maî­tres. Le point le plus impor­tant est peut-être la réforme Jospin de 1989. Il s’agis­sait d’une loi d’orien­ta­tion redé­fi­nis­sant la nature et les mis­sions de l’école. Aux côtés de Jospin, on trouve celui qui devien­dra le pire minis­tre de l’Éducation natio­nale, le futur sar­ko­zyste Claude Allègre, mais également Pierre Moscovici et l’âme damnée de Jospin, Olivier Schrameck. Que du bon monde !

Le résul­tat est à la hau­teur des concep­teurs. La loi intro­duit plu­sieurs inno­va­tions rava­geu­ses :

  • L’école ne vise pas à instruire (transmettre des connaissances) mais à développer des compétences. Le livret de compétences comme instrument d’évaluation vise à remplacer la notation des devoirs qui contrôlent l’acquisition de connaissances. Schrameck n’avait d’ailleurs que mépris pour les professeurs trop instruits.
  • L’élève doit être « au centre » du système. Autrement dit, le client a toujours raison. Cette thèse « élévocentriste » s’accompagne de « droits » de la défense pour les élèves traduits en conseil de discipline, droits dont les parents aisés ont abondamment usé pour protéger leur progéniture dans les situations les plus invraisemblables. Car placer « l’élève au centre », c’est instituer un tête-à-tête entre le professeur et l’élève, une confrontation entièrement affective (« le prof m’aime pas ») là où le médiateur ultime devrait être le savoir, seul socle objectif.
  • La loi préconise une « pédagogie de contrat » dans laquelle l’élève fixe avec son enseignant les objectifs et les méthodes. L’élève devant « construire son propre savoir », le professeur est maintenant soumis aux desiderata des élèves.
  • Les établissements doivent élaborer des « projets d’établissement » qui finalement ne peuvent conduire qu’à l’éclatement de l’éducation nationale, la mise en concurrence des établissements et la fin des programmes nationaux.
  • La loi crée aussi une machine à décerveler les futurs professeurs, les IUFM.
  • Dans son discours présentant sa loi à l’Assemblée, Jospin en a fixé l’objectif : « faire de notre École, l’École de la réussite de tous les enfants ». Que veut dire réussir ? On ne le saura pas, mais tous les ministres successifs se sont évertués à mettre en œuvre ce programme : tout le monde aura le bac, sauf ceux qui en feront la demande expresse.
    Il est aisé de voir que tous les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, ont repris la partition écrite par Jospin et se sont évertués à en tirer les conséquences ultimes. Le résultat est connu : le niveau des élèves français s’effondre dans les classements internationaux, le baccalauréat n’a plus aucune valeur, comme viennent d’ailleurs de la signifier les universités suisses et l’école est devenue un capharnaüm sur lequel règnent en maîtres les parents d’élèves et les petits caïds.

Je revien­drai sur l’état des lieux de l’école dans un pro­chain arti­cle. Mais il y a d’ores et déjà un mot d’ordre simple : défaire tout ce qu’on fait les mal­fai­sants Jospin et Allègre et res­tau­rer, à minima, l’école d’avant 1989.

La Sociale