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Parmi les ministres de l’Education nationale ayant utilisé les services de l’Ecole alsacienne, on a failli oublier le troisième, à savoir Jean-Pierre Chevènement, même s’il semble que ce fut transitoire. Mais il a bien été le héraut de la formule « élitisme républicain » rapprochée abusivement d’une formule attribuée à Langevin.

claude lelièvre, Historien de l’éducation

« Le Monde » du 7 novembre 2002 : « Luc Ferry, un peu agacé par l’information qu’il a mis ses enfants dans le privé catholique, indique que « d’anciens ministres ont mis leurs enfants dans le privé’’ , et que l’’on n’en a pas lu une ligne dans la presse’’». Puis de lâcher un nom : ‘’Chevènement’’ ! Vérification faite, ce n’est pas tout à fait exact. Jean-Pierre Chevènement a, certes, utilisé les services de l’Ecole alsacienne, rue d’Assas à Paris. « Mais ce n’était pas au moment où il était à l’Education nationale [de 1984 à 1986], et seulement pour quelques mois, le temps d’un déménagement’’, indique une proche. »

Parallèlement, il est avéré que le ministre de l’Education nationale Jean-Pierre Chevènement a voulu donner une apparence foncièrement démocratique à la formule ‘’élitisme républicain’’ en la rapprochant d’une formulation prêtée à Paul Langevin , un ancien président du GFEN et surtout de la commission qui a élaboré le célèbre ‘’Plan Langevin Wallon’’ (du nom de ses deux présidents successifs)

Dans sa thèse « L’Ecole exception médiatique ; la presse face aux enjeux des changements pédagogiques ; 1959-2008 » ( soutenue à l’université Paris Sorbonne en juin 2014), Yann Forestier souligne que « le ministre justifie son combat pour l’élitisme par une citation du Plan Langevin Wallon qui aurait , selon lui, préconisé « la sélection des meilleurs par la promotion de tous ». Or le Plan Langevin-Wallon opposait ces deux termes: « L’enseignement doit offrir à tous d’égales possibilités de développement, ouvrir à tous l’accès à la culture, se démocratiser moins par une sélection qui éloigne du peuple les plus doués que par une élévation continue du niveau culturel de l’ensemble de la nation » ( p. 440) 

Effectivement, le « Plan Langevin-Wallon », une sorte de ‘’compromis historique’’ en la matière ( cf la fin de mon dernier livre paru aux éditions Le Bord de l’eau : « L’école républicaine ou l’histoire manipulée ; une dérive réactionnaire » ) ne va pas du tout dans le sens de la ligne dominante nettement élitiste énoncée par Jean-Pierre Chevènement, tant s’en faut 

Mais à vrai dire, ce qui l’a généralement emporté depuis – dans les résultats scolaires comme dans les politiques scolaires – c’est moins « une élévation continue du niveau culturel de la nation » qu’une « sélection qui éloigne du peuple les plus  »doués’‘ ». Bon, si l’on veut avancer et être vraiment républicains, il n’y a pas d’autre choix que de clarifier, encore clarifier, toujours clarifier cette question. Et être très vigilant quant à la mouvance (voire aux tentations) des uns et des autres et au(x) sens des différentes formulations qui circulent…

Au milieu de l’entre-deux-guerres, le philosophe Alain, très connu pour ses « Propos sur l’éducation », n’y était déjà pas allé par quatre chemins (alors qu’il était pourtant dans la mouvance radicale-socialiste) : « Nous choisissons quelques génies et un certain nombre de talents supérieurs ; nous les estampillons, et nous faisons d’eux une aristocratie d’esprit qui s’allie à l’autre, et gouverne tyranniquement au nom de l’égalité ; admirable égalité, qui donne tout à ceux qui ont déjà beaucoup. Selon mon idée, il faudrait agir tout autrement […]. Tout l’effort des pouvoirs publics devrait s’employer à éclairer les masses par le dessous et par le dedans, au lieu de faire briller quelques pics superbes, quelques rois nés du peuple, et qui donnent un air de justice à l’inégalité. Mais qui pensent à ces choses ? Même les socialistes ne s’en font pas une idée nette .» (in « Les Cent un Propos » d’Alain)

claude lelièvre