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Hicham Mourad

Pour accélérer les livraisons d’armes à Israël, en guerre contre Gaza, l’Administration américaine a eu recours à un moyen détourné afin de contourner l’obligation d’obtenir l’approbation du Congrès.

C’est ce qu’ont révélé des responsables américains lors d’un récent briefing classifié au Congrès. Les Etats-Unis ont ainsi discrètement livré plus de 100 ventes d’armes à Israël depuis le début de la guerre le 7 octobre, pour une valeur de plusieurs centaines de millions de dollars. Les ventes renfermaient des milliers de munitions à guidage de précision, de bombes, de destructeurs de bunkers, d’armes légères et d’autres aides létales. C’est la dernière indication de l’implication étendue de Washington dans la guerre, malgré les profondes réserves exprimées par le président Joe Biden sur la stratégie militaire d’Israël qui a fait plus de 30 000 morts et 70 000 blessés, a mis la population palestinienne au bord de la famine et a réduit la bande de Gaza en ruines.

Le subterfuge utilisé pour échapper à la surveillance du Congrès consistait à subdiviser les ventes d’armes en petites transactions dont la valeur est inférieure au montant nécessitant une approbation du pouvoir législatif. Seules trois ventes d’armes à Israël ont été rendues publiques depuis le début de la guerre : 320 millions de dollars de kits de bombes de précision en novembre, 106 millions de dollars pour 14 000 obus de chars et 147,5 millions de dollars de fusibles et autres composants nécessaires à la fabrication d’obus d’artillerie de 155 mm en décembre. Les livraisons d’obus de chars et d’artillerie en décembre ont également échappé à l’examen du Congrès parce qu’elles ont été effectuées sous une « autorité d’urgence », une disposition permettant à l’Administration de vendre directement des armes en invoquant l’intérêt national. Ce fut le cas pour les 100 autres ventes d’armes, livrées discrètement à Israël.

Pris ensemble, ces paquets d’armes constituent un transfert massif de puissance de feu à un moment où Washington se plaint du fait qu’Israël n’a pas répondu à ses appels à limiter les pertes civiles, à autoriser davantage d’aide humanitaire à Gaza et à s’abstenir d’utiliser la rhétorique appelant au déplacement permanent des Palestiniens. Les experts militaires conviennent de dire que l’offensive israélienne ne serait viable sans ce niveau de soutien américain, faisant des Etats-Unis le pourvoyeur principal de munitions pour aider Israël à remplacer les dizaines de milliers de bombes qu’il a larguées sur l’enclave, dans ce qui est l’une des campagnes de bombardements les plus intenses de l’histoire militaire.

La poursuite de ce soutien massif à Israël, malgré les atrocités qu’il commet à Gaza, a de plus en plus isolé les Etats-Unis sur la scène internationale. Plus important, elle a déclenché des pressions croissantes de l’opinion publique américaine et les protestations des jeunes progressistes du Parti démocrate et de la communauté arabe aux Etats-Unis, ce qui risque de compromettre les chances de réélection de Biden à la présidentielle de novembre. En conséquence, l’Administration américaine a exercé des pressions sur Israël pour qu’il atténue l’intensité de son offensive militaire, réduise les pertes humaines parmi les Palestiniens et autorise davantage d’aide humanitaire, en vain. C’est pour cela que l’Administration, voulant se racheter et améliorer son image de marque assez détériorée, mais aussi exaspérée par l’attitude non coopérative d’Israël, a décidé de prendre la tête d’une opération d’aide humanitaire à la population palestinienne.

La semaine dernière, le Département de la défense a effectué pour la première fois des parachutages d’aide sur l’enclave palestinienne, dont la région du nord complètement isolée par l’armée israélienne. Biden a également annoncé que les Etats-Unis construiraient une jetée flottante au large de la côte de Gaza, sur laquelle l’aide alimentaire peut être déchargée de navires en provenance du port chypriote de Larnaca, ainsi qu’une chaussée pour qu’elle soit conduite à terre. Cette initiative est assez inhabituelle, voire paradoxale, les Etats-Unis lançant une opération d’aide aux Palestiniens touchés par une offensive militaire menée par un allié armé par Washington. Il y a également de sérieuses inquiétudes quant au fait que le soulagement apporté par l’initiative sera tardif et insuffisant pour des civils confrontés à la famine. La question qui s’impose est de savoir qui sera chargé de la distribution de l’aide déchargée sur la côte. En raison des restrictions imposées par Israël, la présence des organisations humanitaires est proche de zéro dans le nord de Gaza, où les 300 000 habitants sont les plus exposés à la famine. En outre, Israël aura toujours son mot à dire sur l’efficacité de l’acheminement de l’aide. Des inspecteurs israéliens seront postés dans le port de Larnaca pour examiner les cargaisons d’aide entrant à Gaza. Ces inspections fourniront à Israël un outil pour réguler le flux d’aide au nom de la sécurité. Le gouvernement israélien, composé d’une coalition qui comprend des ministres opposés à l’entrée de toute aide à Gaza, pourra sans doute y jouer un rôle d’obstruction.

Al Ahram