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Par Elijah J. Magnier

Le premier ministre Benjamin Netanyahou a ouvertement discuté des buts d’Israël avec le président américain Joe Biden, en soulignant « la volonté d’Israël à atteindre ses objectifs de guerre et à éradiquer le Hamas ». Malgré les divergences apparentes dans leurs déclarations publiques, qui sous-entendent un fossé important, l’élément central de leur accord sur les objectifs d’Israël reste intact. L’apparence de désaccord est liée au fait que les USA ont demandé à Israël de s’efforcer de trouver des abris pour les personnes déplacées à Rafah avant le début de l’action militaire dans le cadre de la gestion opérationnelle du conflit. Cette gestion a involontairement affecté la campagne de réélection de Biden, non pas en termes d’objectifs, qui sont conformes aux ambitions de Netanyahou de démanteler la résistance et de procéder à des massacres et à des destructions tant que cela se fait à plus petite échelle, mais plutôt en termes d’effets néfastes associés aux actions de l’armée israélienne sur les victimes civiles et à la famine qu’elle cause à Gaza.

La stratégie de Biden consiste à faire en sorte que les négociations aboutissent à un cessez-le-feu temporaire afin de regagner une partie du soutien électoral menacé par la guerre israélienne. Cette stratégie est d’autant plus pertinente que parmi les personnes détenues par le Hamas se trouvent six Américains ayant la double nationalité. Inversement, Netanyahou est déterminé à saper les négociations ou à imposer des conditions irréalisables au Hamas, dont les dirigeants affirment avoir fait preuve de résilience et s’être restructurés pendant la guerre en cours. La question se pose avec acuité : Quelle direction ces négociations prendront-elles et la fiabilité des résultats est-elle garantie?

Le président américain, en accord avec son conseiller à la sécurité nationale Jack Sullivan, a adopté une position ferme : le Hamas doit être vaincu et ses dirigeants ne doivent pas trouver refuge à Rafah ou ailleurs. Toutefois, ils mettent en garde contre le lancement d’opérations à Rafah sans un plan minutieux d’évacuation des civils, reconnaissant ainsi que de telles actions, bien qu’elles ne soient pas explicitement interdites ou considérées comme une ligne rouge, pourraient entraîner une augmentation du nombre de victimes civiles et isoler davantage Israël (et, par extension, les USA) sur la scène internationale. 

Le consensus est que les objectifs d’Israël à Rafah peuvent être poursuivis par d’autres stratégies. La référence à « d’autres moyens » suggère l’exploration d’options rappelant l’expulsion des membres de l’OLP du Liban après l’invasion israélienne de 1982. Toutefois, le transfert du Hamas de Gaza nécessite le consentement de la Résistance (non obtenu) et l’identification d’un pays d’accueil réceptif, l’Algérie étant un candidat possible. Mais il s’agit de spéculations non confirmées comme solutions viables.

Netanyahou a décidé d’envoyer une délégation à Washington comprenant le conseiller à la Sécurité nationale Tzachi Hanegbi et le ministre des Affaires israéliennes Ron Dermer, pour des entretiens avec des responsables américains. L’ordre du jour comprendra des délibérations sur la justification stratégique de l’entrée dans Rafah, l’explication du point de vue de Netanyahou sur la minimisation des pertes civiles et la négociation des paramètres d’un cessez-le-feu, en particulier la définition des conditions non négociables de Tel-Aviv avec le Hamas. La décision de Netanyahou d’exclure les responsables de la sécurité des discussions de Washington montre qu’il est conscient de leur point de vue que le Hamas est profondément ancré dans la société palestinienne, qu’il est peu probable qu’il capitule ou qu’il modifie ses tactiques de manière significative, et que l’assassinat de ses dirigeants ne démantèlera pas l’organisation.

Netanyahou a accepté d’envoyer une délégation de négociation à Doha pour aborder la question du cessez-le-feu. Toutefois, cette délégation dispose de pouvoirs minimaux, bien inférieurs à ceux préconisés par les chefs des organismes de sécurité israéliens. Cette limitation réduit considérablement les chances de succès de ces pourparlers indirects avec le Hamas. Netanyahou a posé des conditions claires : pas de retrait des zones urbaines, de retour des civils dans le nord et d’autorisation de faire passer les camions qui font la queue au point de passage de Rafah pour soulager la faim. Ces conditions semblent destinées à prolonger le conflit et à faciliter la construction de la jetée navale, tout en évitant les concessions pouvant compromettre sa position auprès de ses alliés politiques.

Netanyahou dispose de peu de choix, tout aussi indigestes. D’abord il doit faire face à l’opposition du ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, et du ministre des Finances, Bezalel Smotrich, les éléments les plus radicaux de son gouvernement. Les deux hommes s’opposent aux négociations et prônent la poursuite des hostilités sans concession pour la libération des prisonniers israéliens ou celle des prisonniers palestiniens qui ont blessé des Israéliens, en invoquant leurs « mains ensanglantées ». Leur position amène Netanyahou à adopter une ligne plus dure dans les négociations, en blâmant le Hamas de tout échec à justifier une stratégie militaire incluant l’entrée dans Rafah, une prise de position susceptible d’apaiser ses alliés.

En revanche, les décisions de Netanyahou ont tendu les relations avec d’autres membres de son gouvernement d’urgence, notamment les ministres Benny Gantz et Gabi Eisenkot. Ces deux hommes sont membres du cabinet de guerre et s’alignent davantage sur la position de la direction de la sécurité, qui préconise des négociations et un cessez-le-feu temporaire, ainsi que des efforts pour initier la libération des prisonniers. Netanyahou a subtilement réprimandé Benny Gantz, sans toutefois le nommer : « À quiconque se rend à Washington, je dis qu’il doit apprendre à dire non à nos alliés (américains) comme je le fais ». Le premier ministre a cherché à consolider son image de leader redoutable auprès des partisans de la ligne dure, des décideurs et de la société israélienne, en se positionnant par rapport à Gantz, qui bénéficie d’un soutien plus large que celui de Netanyahou à la Knesset.

Le premier ministre doit prendre une décision cruciale qui déterminera sa longévité politique :poursuivre le conflit, faire obstruction aux négociations et refuser toute concession, même limitée, tout en limitant délibérément le pouvoir de l’équipe de négociation. Cette stratégie est conçue pour faciliter une incursion militaire à Rafah, conditionnée par la possibilité de déplacer quelque 1,5 million de personnes au nord de Rafah, permettant ainsi la poursuite des opérations militaires. Cette approche est conforme à l’objectif américain d’« éliminer le Hamas » et de faire en sorte que « les dirigeants de l’organisation n’aient plus aucun refuge ». Elle vise à démanteler ce que Netanyahou affirme être « les quatre bataillons du Hamas à Rafah après avoir vaincu 18 bataillons » dans le reste de la bande de Gaza.

La composition de l’équipe de négociation israélienne, marquée par l’absence du chef du Shin Bet (service de sécurité intérieure israélien), Ronen Bar, et celle de la délégation dirigée par le directeur du Mossad, David Barnea, en plus d’une équipe technique, témoigne d’une décision stratégique. L’absence de Ronen Bar et la limitation à l’examen de la liste des prisonniers dont le Hamas demande la libération, en particulier ceux qui sont condamnés à perpétuité, témoignent d’une position de négociation ciblée. Les pourparlers en cours, qui concernent plusieurs femmes réservistes et soldats arrêtées le 7 octobre, le soulignent.

En outre, le refus de Netanyahou d’autoriser tous les Palestiniens déplacés à retourner dans le nord de Gaza rappelle les critères sélectifs s’appliquant aux permis d’entrée à la mosquée Al-Aqsa. Cette approche vise à fragmenter les familles ou à limiter le retour dans le nord aux enfants, aux femmes et aux personnes âgées de plus de cinquante ou soixante ans, une condition que le Hamas rejette du revers de la main.

Des sources au sein du Hamas à Gaza ont déclaré sans équivoque : « Nous n’envisagerons aucune négociation sans un cessez-le-feu global et la garantie du retour de tous les habitants du nord dans leurs maisons, y compris celles qui ont été démolies. » À la suite de pertes importantes, le Hamas aurait restructuré ses forces militaires, comblé les lacunes de son organisation de combat et remplacé tous les postes vacants à la suite de la mort de nombreux combattants.

Ces sources ont également révélé ceci : « Notre commandement, tant à l’échelon primaire que secondaire, n’a pas été affecté et les pertes sont minimes. Avec des effectifs et des armes en nombre suffisant, nous sommes prêts à poursuivre le combat indéfiniment. Chaque fois que les forces israéliennes quittent une rue ou une zone, nos forces se réorganisent immédiatement, se réarment et forment de nouveaux bataillons. Les incursions terrestres des forces israéliennes ont involontairement facilité le développement de nos tactiques militaires, y compris le reminage des zones et l’établissement de nouveaux bastions défensifs. »

Le Hamas a reconnu que l’impact sur le front civil israélien était moindre, ce qu’il a attribué à l’arrêt presque complet de ses opérations offensives en dehors du périmètre de Gaza et de sonbombardement des colonies israéliennes. Toutefois, le conflit à l’intérieur des frontières de Gaza contre les forces israéliennes se poursuit sans relâche, même dans les zones qu’Israël prétend avoir sécurisées et débarrassées de toute résistance.

« Malgré les promesses incertaines, le Hamas est resté en contact avec les médiateurs qataris et égyptiens et envisage un cessez-le-feu initial de 42 jours avec la perspective d’une prolongation. Conscient de la position israélienne exprimée par Netanyahou et du soutien conditionnel des Américains à un engagement israélien à Rafah, le Hamas reste ferme dans son rejet des solutions partielles ou des promesses non garanties et insiste sur une cessation définitive des hostilités, de poursuivre la source.

« Depuis qu’Israël a ciblé les structures qu’il voulait éradiquer, notre crainte de nouvelles pertes, malgré les atrocités commises, a diminué. Notre acceptation dépend de propositions qui garantissent le retour à la normale. »

Confirmant le discours de la résistance, le général Yisrael Ziv, ancien chef de la direction des opérations de l’armée israélienne, a exprimé un point de vue critique sur le conflit en cours à Gaza : « Le Hamas continue de contrôler les zones civiles et d’attaquer les forces israéliennes, causant à Israël des revers militaires et un profond dilemme international. La conduite de la guerre, sans objectifs ni direction clairs, a déraillé. »

Cette observation souligne le passage d’un engagement militaire stratégique à des actions motivées par des représailles plutôt que par des objectifs tactiques clairs. Au début du conflit, le commandant de la 36e division blindée de l’armée israélienne, le général de brigade David Bar Kalifa, a publié un ordre de bataille manuscrit qui encourageait explicitement les représailles contre les Palestiniens. Cet ordre a été critiqué par les médias israéliens, qui ont comparé les opérations de l’armée à Gaza aux actions de « gangs sans foi ni loi ». Ces directives et les actes répréhensibles qu’elles ont inspirés ont suscité de graves accusations de crimes de guerre, et l’adhésion des forces israéliennes à ces ordres à Gaza a fait l’objet d’un examen minutieux dans le monde entier.

L’incapacité à atteindre les objectifs fixés, associée au nombre élevé de victimes civiles et à l’ampleur des destructions causées, s’écarte de toute notion traditionnelle de succès militaire. Au contraire, elle met en évidence une situation dans laquelle la résistance soutenue de l’autre partie et les pertes soutenues des forces attaquantes signifient une impasse stratégique et peut-être davantage une défaite qu’une victoire. 

La dynamique du conflit à Gaza révèle une lutte prolongée dans laquelle aucune des parties ne peut prétendre à une victoire absolue. La résilience de la résistance, caractérisée par sa capacité à se regrouper, à s’adapter et à absorber les pertes, contraste fortement avec la stratégie israélienne de destruction et de pertes civiles, sans pour autant atteindre ses objectifs déclarés de libération des prisonniers et de démantèlement du Hamas. Ce cycle continuel donne à penser que ce conflit, comme beaucoup d’autres auparavant, culminera à la table des négociations. C’est la persévérance et la patience stratégique de chacune des parties qui détermineront les modalitésde la résolution. L’histoire montre que les guerres, quelles que soient leur intensité et leur durée, se terminent souvent par un dialogue et un compromis, où la capacité à persévérer et à s’adapter peut avoir un impact significatif sur le résultat final.

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