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Emilie El Khoury, Queen’s University, Ontario

La guerre dévastatrice à Gaza est entrée dans son septième mois et les chiffres sont alarmants : plus de 33 000 Palestiniens ont été tués. Près d’un tiers de la population souffre d’une insécurité alimentaire catastrophique et plus de deux millions de personnes (la quasi-totalité de la population) ont été déplacées.

Plus de 9 000 Palestiniens (dont environ 460 mineurs) ont été emprisonnés par Israël et plus de 17 000 enfants palestiniens ont été séparés de leurs parents. La plupart des Israéliens pris en otage par le Hamas se trouvent toujours à Gaza.

La guerre s’éternise et menace de s’étendre à d’autres pays. Le 1er avril, Israël a bombardé le consulat iranien à Damas, en Syrie, tuant des responsables militaires iraniens.

Depuis le début de la guerre, Israël est engagé dans une guerre non déclarée contre l’Axe de la Résistance, qui vise à résister aux États-Unis et à leurs alliés dans la région. Cet axe, composé de l’Iran et de groupes armés alliés dans la région, vise à soutenir les groupes palestiniens de Gaza en engageant Israël sur plusieurs fronts.

Au Yémen, Ansarullah (communément appelé les Houthis) a lancé un blocus de la mer Rouge visant les navires liés à Israël. En Irak, des milices soutenues par l’Iran ont lancé des attaques contre les troupes américaines dans la région. Mais le plus remarquable est l’implication du groupe armé libanais Hezbollah, qui a engagé directement l’armée israélienne le long de la frontière israélo-libanaise depuis des mois.

Le Hezbollah a été créé le 16 février 1985 pendant la guerre civile libanaise. Le groupe a été fondé principalement en réponse à l’invasion israélienne du Liban en 1982 et à l’occupation de certaines parties du sud, ainsi qu’à la disparition du chef religieux Moussa Al-Sadr en 1978.

Depuis lors, le Hezbollah est devenu un État dans l’État, développant une structure religieuse et sociopolitique complexe. Son aile politique occupe des sièges au parlement libanais et le groupe fournit des services publics vitaux dans de nombreuses régions du pays, consolidant ainsi sa base de soutien. Sur le plan militaire, il dispose d’une puissante branche armée d’environ 100 000 combattants, qui dépasse en nombre les 84 000 soldats de l’armée officielle libanaise.

Après la fin de la guerre civile, les groupes armés libanais ont accepté de désarmer dans le cadre du processus de paix. Cependant, le Hezbollah ne l’a pas fait, affirmant qu’il désarmerait lorsqu’Israël ne serait plus une menace pour le Liban et lorsque les Palestiniens seraient libres.

Le retrait d’Israël du Sud-Liban en 2000 et la volonté du Hezbollah de l’affronter lui ont valu le soutien de nombreuses personnes au Liban et dans le monde arabe en général.

Certains pays occidentaux comme les États-Unis, le Canada et l’Australie classent le Hezbollah parmi les organisations terroristes, tandis que l’Union européenne ne désigne que sa branche armée comme telle depuis 2013. Cela s’explique par les liens présumés du Hezbollah avec des attaques contre des cibles américaines et occidentales au Liban, bien que le Hezbollah ait toujours nié toute implication.

Affrontements frontaliers

Dans son premier discours après le 7 octobre, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a déclaré que le groupe avait engagé des combats avec Israël depuis le 8 octobre.

Le Hezbollah s’est déployé le long de toute la frontière israélo-libanaise, plongeant le sud du Liban et le nord d’Israël dans un état de guerre informelle.

Ce déploiement constitue une violation de la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui a mis fin à la guerre de 2006. Bien qu’il y ait eu des escarmouches entre Israël et le Hezbollah au cours des 18 dernières années, elles ont toujours été contenues et le Hezbollah ne s’est pas déployé le long de l’ensemble de la frontière depuis 2006.

Le groupe n’est pas le seul à avoir violé la résolution 1701. Israël l’a régulièrement violée, notamment en détruisant des infrastructures.

Les responsables du Hezbollah et d’Israël ont échangé des menaces, renforçant les craintes d’une guerre plus destructrice. Le 8 janvier 2024, le ministre israélien de la défense Yoav Gallant a menacé de « copier-coller » la destruction de Gaza sur Beyrouth si le Hezbollah ne cessait pas ses attaques.

Dans un récent discours, M. Nasrallah a qualifié le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu de « fou », ajoutant qu’Israël veut faire la guerre au Liban mais « ne peut pas faire face à Gaza ».

Les commentaires de M. Nasrallah semblent avoir pour but d’indiquer que toute guerre au Liban pourrait être tout aussi désastreuse pour Israël. Le Hezbollah a la capacité de viser n’importe quel endroit d’Israël avec son arsenal de missiles.

Gérer les perceptions du public

Le Liban est divisé en ce qui concerne le soutien au Hezbollah. Le pays est confronté à de profondes crises politiques et économiques. La présidence est vacante depuis 2022 en raison d’une impasse politique entre les factions politiques. Parallèlement, le Liban est confronté à une crise économique qui a plongé plus de 80 % de la population dans la pauvreté.

Selon un sondage réalisé en novembre 2023, 93 % des chiites libanais avaient une opinion positive du Hezbollah, contre seulement 34 % des sunnites et 29 % des chrétiens. Le soutien au Hamas était plus répandu, 79 % des Libanais ayant une opinion positive.

Depuis 2020, le soutien au Hezbollah s’est renforcé chez certains Libanais, indépendamment de leur appartenance religieuse, en raison des services sociaux qu’il fournit, mais cela ne signifie pas qu’ils approuvent sa politique ou son idéologie.

La guerre accroît l’instabilité politique, les tensions religieuses et sociales et a des répercussions sur l’économie. Avec l’effondrement de l’économie et des services gouvernementaux, de nombreux Libanais se sont tournés vers les services sociaux humanitaires fournis par le Hezbollah.

Cela a permis de maintenir une certaine stabilité et un certain ordre dans le désordre institutionnel de l’État libanais. Sans ces services, le système risquerait de s’effondrer davantage, ce qui aggraverait la précarité de la situation.

La pression monte sur le Hezbollah pour qu’il justifie sa stratégie. À cette fin, M. Nasrallah a vanté l’impact des attaques du groupe, déclarant qu’Israël était en train de perdre dans le nord du pays. Plus de 200 000 Israéliens ont été déplacés et beaucoup refusent de rentrer par crainte des attaques du Hezbollah.

Cependant, le Sud-Liban paie également un lourd tribut. Plus de 347 Libanais ont été tués par des attaques israéliennes, la plupart étant des membres du Hezbollah, mais aussi plus de 50 civils. Selon l‘Organisation internationale pour les migrations, près de 94 000 personnes ont dû quitter le Sud-Liban pour fuir les attaques israéliennes.

Le secteur agricole a subi d’importants dégâts, avec plus de 800 hectares de terres endommagées par les bombardements israéliens. Cette situation a un impact dévastateur sur l’économie du Sud-Liban, où l’agriculture est une industrie majeure.

Compte tenu de cet impact sur la vie civile, il est impératif de donner la priorité aux solutions diplomatiques qui mettent fin à la violence, en accordant une attention particulière à la sécurité alimentaire et au secteur agricole au Liban. Parallèlement, des efforts doivent être déployés pour instaurer une paix durable entre des peuples épuisés par le conflit.

The Conversation