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Nicolas Rouger

Une Palestinienne dans un quartier de Khan Younès dévasté par les bombardements israéliens, dans le sud de la bande de Gaza, le 25 avril 2024 ©AFP

La défense civile palestinienne dit avoir retrouvé près de quatre cents corps dans trois fosses communes aux abords de l’hôpital Nasser à Khan Younès, et celui d’Al Shifa à Gaza City, peu de temps après le retrait des forces israéliennes. Depuis trois jours, ses employés en combinaisons blanches s’efforcent d’identifier les corps, rapportant des détails qui font frémir jusqu’à Bruxelles et New York : certains auraient été retrouvés nus, pieds et poings liés, ensevelis sous des déchets.

L’État hébreu a vertement réfuté cette version des faits, insistant, images satellites à l’appui, que c’était les Palestiniens eux-mêmes qui y avaient enterré leurs morts. Les soldats seraient ensuite venus vérifier au bulldozer – ” tout en respectant la dignité des morts”, assure un communiqué – qu’il n’y avait pas de corps d’otages israéliens. L’Onu et l’Union européenne ont réclamé que l’accès à ces sites soit accordé à des enquêteurs indépendants, une suggestion qui sera probablement ignorée par Israël. L’État hébreu pratique depuis près de sept mois un blocus informationnel, empêchant l’accès de la presse et imposant des quotas stricts aux organisations humanitaires.

Le sentiment de vengeance palpable a décidé ce sioniste convaincu de quitter Israël avec sa famille. “Mon pays n’existe plus”, dit-il avec amertume.

Pourtant, beaucoup dénoncent des crimes de guerre à Gaza, voire pire, s’appuyant sur des vidéos filmées et publiées par des réservistes israéliens sur les réseaux sociaux. Celles-ci sont légion : tout le monde peut voir des artificiers se réjouir d’avoir abattu des quartiers entiers, des soldats se mettre en scène avec des sous-vêtements féminins, pillant des magasins ou faisant défiler des Palestiniens dénudés. Dans une séquence rappelant un film dénonçant la guerre du Vietnam, un soldat désinvolte, clope au bec, tire à la mitrailleuse sur un immeuble sans même regarder. Une autre montre un soldat franco-israélien se vanter d’avoir torturé des Gazaouis. Tout cela dans une totale impunité, et avec le soutien tacite d’une grande partie des Israéliens.

Sentiment de vengeance palpable

Tout cela est recoupé par le travail herculéen de la presse locale, pourtant victime du conflit le plus meurtrier de l’histoire pour les journalistes : une centaine d’entre eux ont été tués depuis le début de la guerre. Les images satellites témoignent aussi de la destruction. Et maladroitement, sous couvert de l’anonymat, les langues israéliennes se délient peu à peu, comme dans ces propos confiés à La Libre. On campe dans un appartement, et après on y met le feu. Tout l’immeuble y passe”, admet ainsi un soldat du rang. “Ce que j’ai vu là-bas, c’est à vomir”, affirme un officier de réserve dans une division de tanks, “les commandants sont laissés à eux-mêmes, sans supervision, la chaîne de commandement ne les retient pas”. Le sentiment de vengeance palpable a décidé ce sioniste convaincu de quitter Israël avec sa famille. “Mon pays n’existe plus”, dit-il avec amertume.

Le décompte des morts augmente moins vite – plus de 34 000 morts et 8 000 disparus selon le ministère de la santé local, qui reconnaît ne pouvoir faire que des estimations – mais maintenant des témoins disent que “l’odeur, c’est ce qu’il y a de pire”. Sous les décombres, les corps se décomposent, alors que le printemps parfois caniculaire est arrivé. La fin des manœuvres de l’armée israélienne dans la ville de Khan Younes, au sud de la bande, le 7 avril a permis l’intensification de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza, sous vive pression internationale, dont l’acheminement direct de vivres et d’eau vers le nord du territoire. Mais elle préfigure aussi une inévitable offensive sur Rafah. Plusieurs brigades de réservistes rappelés sont prêtes et n’attendent que le feu vert, dit Tsahal. L’opération dépendra de l’évacuation d’une partie du million et demi de Gazaouis réfugiés dans cette ville devenue de toile.

Bataillon décrié mais soutenu

L’exercice sera compliqué, et devrait prendre au moins deux semaines. En attendant, l’Égypte espère toujours faire avancer une trêve en échange de la libération de plusieurs dizaines d’otages israéliens. Après plus de 200 jours, 133 demeurent aux mains du Hamas, dont 30 sont morts (au bas mot), un autre échec à imputer au gouvernement israélien.

« Personne ne nous apprendra ce qu’est la moralité »

Yoav Gallant, ministre israélien de la Défense

Mardi, le Congrès américain a voté pour envoyer 17 milliards de dollars d’aide militaire supplémentaire à Israël. Mais Washington semble prêt à manier le bâton autant que la carotte. Pendant le week-end, plusieurs officiels américains ont confirmé dans la presse que le bataillon israélien de Netzach Yehuda tomberait sous le coup de sanctions. “Judée éternelle” recrute exclusivement chez les ultraorthodoxes, souvent en rupture avec leur communauté insulaire, et était pendant longtemps stationnée en Cisjordanie. Le bataillon, aujourd’hui déployé dans Gaza, a été mis en cause à de multiples reprises dans des affaires de violence contre les Palestiniens.

“Le commandement, l’armée et le peuple vous soutiennent”, a dit le ministre de la Défense, Yoav Gallant, aux soldats du bataillon, pendant une visite sur le front. “Personne ne nous apprendra ce qu’est la moralité”, a-t-il ajouté. Le soutien quasi unanime à Netzach Yehuda à travers le paysage politique en Israël montre que le gouvernement et l’armée ne sont pas à même d’enquêter sur leurs propres exactions. Seule exception qui confirme la règle, l’enquête sur les frappes qui ont tué les sept humanitaires de l’ONG américaine World Central Kitchen au centre de la bande de Gaza le 1er avril. Elle avait pris moins de quarante-huit heures.

La Libre