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antisémitisme, Antisemitism Awareness Act, Congrès américain

Le Congrès américain implose mentalement – le spectacle peut être suivi en direct. Attaquée sur des fronts toujours plus nombreux, la caste occidentale se met à faire n’importe quoi. Le texte que le Congrès des Etats-Unis vient de faire passer, aux deux Chambres et sur une base bi-partisane (Républicains et Démocrates), appelé « Antisemitism Awareness Act », est a priori très inquiétant. Il est une tentative de pénaliser la critique de l’Etat d’Israël au titre de la pénalisation de l’antisémitisme. En réalité, les membres du Congrès n’ont pu faire passer que des recommandations au Ministère américain de l’Education. D’une part, le premier amendement de la Constitution américaine protège de manière stricte la liberté d’expression. D’autre part, le texte se réfère à la « définition opérationnelle » de l’antisémitisme par l’International Holocaust Remembrance Alliance qui est contradictoire et sans consistance juridique. On est dans une version américaine du « en même temps » qui en dit plus sur la panique de la classe dirigeante à constater que la jeunesse du monde est imperméable aux arguments fallacieux visant à assimiler critique du gouvernement israélien, antisionisme et antisémitisme.
On aurait à première vue toutes les raisons de s’inquiéter à propos de l’Antisemitism Awareness Act, texte « bi-partisan et bi-caméral », voté par le Congrès américain à la recherche d’instruments pour faire taire les étudiants humanistes qui défendent la cause palestinienne sur les campus.
Nous avons reproduit ci-dessus le texte voté par le Congrès américain. Quand on le lit bien, c’est un pistolet à eau par rapport à l’objectif recherché.
L’obstacle insurmontable du Premier amendement
Adopté en 1791, le Premier Amendement à la Constitution américaine dit:
« Congress shall make no law respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercise thereof; or abridging the freedom of speech, or of the press; or the right of the people peaceably to assemble, and to petition the Government for a redress of grievances. »
« Le Congrès n’adoptera aucune loi relative à l’établissement d’une religion, ou à l’interdiction de son libre exercice ; ou pour limiter la liberté d’expression, de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement ou d’adresser au Gouvernement des pétitions pour obtenir réparations des torts subis. »Constitution des Etats-Unis d’Amérique
La définition contradictoire de l’antisémitisme par l’IHRA
Faute de pouvoir voter une loi qui enfreindrait la constitution américaine, le Congrès des Etats-Unis s’appuie, dans ses recommandations au Ministère de l’Education (Education Department), sur la « définition opérationnelle de l’antisémitisme » donnée par l’International Holocaust Remembrance Alliance:
L’IHRA est la seule organisation intergouvernementale dont le mandat est axé sur la résolution des problèmes contemporains liés à l’Holocauste et au génocide des Roms. Nous encourageons l’éducation, la mémoire et la recherche sur ce qui s’est passé dans le passé, afin de construire un monde sans génocide à l’avenir.holocaustremembrance.com
Plaidant pour un « monde sans génocide », l’IHRA offre une plateforme pour poser la question de savoir comment l’Etat d’Israël peut à la fois invoquer la mémoire de la Shoah pour demander qu’on le respecte et procéder au massacre de 34 000 civils gazaouis (au moins) comme il l’a fait depuis le mois d’octobre. En pleine procédure de la Cour Internationale de Justice pour savoir si le comportement de l’armée israélienne à Gaza doit être caractérisé comme un ensemble de mesures génocidaires, le recours à la plateforme de l’IHRA est à double tranchant pour l’usage que veulent en faire les parlementaires américains.
Mais regardons de plus près la définition de l’antisémitisme proposée par l’IHRA:
“L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte.”
Les exemples suivants, destinés à guider le travail de l’IHRA, illustrent cette définition:
L’antisémitisme peut se manifester par des attaques à l’encontre de l’État d’Israël lorsqu’il est perçu comme une collectivité juive. Cependant, critiquer Israël comme on critiquerait tout autre État ne peut pas être considéré comme de l’antisémitisme. L’antisémitisme consiste souvent à accuser les Juifs de conspirer contre l’humanité et, ce faisant, à les tenir responsables de «tous les problèmes du monde». Il s’exprime à l’oral, à l’écrit, de façon graphique ou par des actions, et fait appel à des stéréotypes inquiétants et à des traits de caractère péjoratifs.
Parmi les exemples contemporains d’antisémitisme dans la vie publique, les médias, les écoles, le lieu de travail et la sphère religieuse, on peut citer, en fonction du contexte et de façon non exhaustive:
- l’appel au meurtre ou à l’agression de Juifs, la participation à ces agissements ou leur justification au nom d’une idéologie radicale ou d’une vision extrémiste de la religion;
- la production d’affirmations fallacieuses, déshumanisantes, diabolisantes ou stéréotypées sur les Juifs ou le pouvoir des Juifs en tant que collectif comme notamment, mais pas uniquement, le mythe d’un complot juif ou d’un contrôle des médias, de l’économie, des pouvoirs publics ou d’autres institutions par les Juifs;
- le reproche fait au peuple juif dans son ensemble d’être responsable d’actes, réels ou imaginaires, commis par un seul individu ou groupe juif, ou même d’actes commis par des personnes non juives;
- la négation des faits, de l’ampleur, des procédés (comme les chambres à gaz) ou du caractère intentionnel du génocide du peuple juif perpétré par l’Allemagne nationale-socialiste et ses soutiens et complices pendant la Seconde Guerre mondiale (l’Holocauste);
- le reproche fait au peuple juif ou à l’État d’Israël d’avoir inventé ou d’exagérer l’Holocauste;
- le reproche fait aux citoyens juifs de servir davantage Israël ou les priorités supposés des Juifs à l’échelle mondiale que les intérêts de leur propre pays;
- le refus du droit à l’autodétermination des Juifs, en affirmant par exemple que l’existence de l’État d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste;
- le traitement inégalitaire de l’État d’Israël, à qui l’on demande d’adopter des comportements qui ne sont ni attendus ni exigés de tout autre État démocratique;
- l’utilisation de symboles et d’images associés à l’antisémitisme traditionnel (comme l’affirmation selon laquelle les Juifs auraient tué Jésus ou pratiqueraient des sacrifices humains) pour caractériser Israël et les Israéliens;
- l’établissement de comparaisons entre la politique israélienne contemporaine et celle des Nazis;
- l’idée selon laquelle les Juifs seraient collectivement responsables des actions de l’État d’Israël.
holocaustremembrance.com
On voit bien l’instrumentalisation de ce texte que voudraient faire les membres du Congrès des Etats-Unis. Pourtant, l’effet boomerang potentiel est rapidement évident à la lecture:
(1) Il s’agit d’une définition politique et non juridique. Sans parler des formules abstraites, qui ne peuvent fonder aucune poursuite pénale: Ainsi: » le traitement inégalitaire de l’État d’Israël, à qui l’on demande d’adopter des comportements qui ne sont ni attendus ni exigés de tout autre État démocratique ».
(2) « Critiquer Israël comme on critiquerait tout Etat » n’est pas répréhensible.
(3) Toute personne respectueuse de l’état de droit sera d’accord pour rejeter « l’idée selon laquelle les Juifs seraient collectivement responsables des actions de l’Etat d’Israël ». Or que font les parlementaires américains et les gouvernants occidentaux en général sinon vouloir que nous considérions Israël comme un bloc et interdire toute désolidarisation du gouvernement Netanyahu?
Ce sont les dirigeants occidentaux et non les étudiants manifestants qui veulent infliger une « punition collective » à la population d’Israël.
Les ravages du « en même temps »
La classe politique américaine pense qu’il est possible de sauver l’universalisme américain et de soutenir le gouvernement Netanyahu. Elle doit préserver le Premier Amendement mais voudrait en même temps porter atteinte à la liberté d’expression.
Par conséquent, cela donne un texte de recommandations au Ministère de l’Education qui s’appuie sur une « définition opérationnelle » de l’antisémitisme pleine de contradictions, en particulier celle qui se trouve en son cœur: on n’aurait pas le droit de critiquer l’Etat d’Israël (comme « Etat juif », alors que tout est fait par les gouvernements israéliens depuis des décennies, pour traiter les citoyens israéliens arabes comme des citoyens de seconde classe) mais on aurait le droit de le critiquer comme on critique tout autre Etat.
On a donc une démarche consistant à proclamer Israël comme un objet politique exceptionnel et en même temps le droit de le traiter comme les autres. C’est incohérent, contraire à la logique. L’Occident a perdu sa boussole intellectuelle.
On comprend bien la panique de la caste dirigeante occidentale. Elle met en scène son implosion cognitive.